Après son premier long-métrage en 2020, La Troisième Guerre, avec Anthony Bajon, le réalisateur italien Giovanni Aloi réalise Le Domaine. Il y dresse le portrait d’une jeunesse désabusée dans un univers où le danger plane sur la vie quotidienne.
Dans la ville industrielle de Saint-Nazaire, Damien (Félix Lefebvre) est un étudiant sans rêves. Il accepte un emploi dans un relais de chasse tenu par deux malfrats locaux, Mallaury (Patrick d’Assumçao) et son cousin Pasquini (Raphaël Thiéry). Ces derniers utilisent leur domaine pour couvrir des activités illégales, mêlant jeux d’argent, chasse et prostitution. Librement inspiré de la tuerie de Belhade en 1985, avec une esthétique s’apparentant aux films noirs, Le Domaine est un film puissant qui dresse le portrait d’adolescent·e·s désabusé·e·s prêt·e·s à tout pour trouver un sens à leur vie.
Le portrait d’une jeunesse sans rêves
Construit sur la base du flash back, Le Domaine est narré par la voix off de Félix Lefebvre. L’on suit l’histoire du point de vue de Damien, un étudiant à la dérive, errant entre les cours, le dortoir de la résidence universitaire et le port de Saint-Nazaire. Le film se déroule à travers le regard de celui-ci. En témoignent les nombreux gros plans sur les yeux et les travellings qui donnent l’impression d’une caméra flottante. Il se focalise davantage sur la psychologie du personnage, ses sensations et sa perception des événements qu’il se remémore, sans se soucier du réalisme.
Giovanni Aloi dresse le portrait d’une jeunesse sans rêves, dépourvue d’ambition et prête à tout pour avoir de l’argent ainsi qu’un peu de reconnaissance. Pour Damien, c’est en s’associant à Mallaury, pour Celia (Lola Le Lann), c’est en se dénudant devant une caméra. Avec leurs habits blancs, les personnages féminins ne sont plus que les fantômes d’elles-mêmes. Le sens de leur vie passe par la mise en danger de leur propre existence. Lorsqu’une nuit, Damien demande à Celia de partir sur un coup de tête vers la côte d’Azur, leur sentiment d’emprisonnement est palpable, même à travers l’écran.
Le Domaine joue sur la sensation d’enfermement sous le ciel gris de Saint-Nazaire, où l’on s’ennuie à mourir. Coincé·e·s dans un entre-deux entre l’enfance et le monde des adultes, ces personnages n’arrivent pas à faire des choix, et se laissent dépasser par les événements.

Un anti film de gangsters ?
Dès les premières secondes, le registre dramatico-tragique est posé. Le film s’ouvre sur des plans sur un chemin caillouteux éclairé par les phares rouges d’une voiture, puis sur les regards noirs et déterminés des personnages.
Le Domaine s’apparente au genre de films noirs, avec un twist différent. Mallaury et Pasquini sont convaincus qu’ils sont des gangsters, alors qu’ils sont juste deux petits malfrats de Saint-Nazaire, un peu minables. La soif de pouvoir et l’appât du gain les motivent à se comporter en pseudo-parrains de la mafia. Ainsi, comme les mafieux des films américains, ils n’ont aucun scrupule à tirer au paintball sur des jeunes filles, et à menacer quiconque leur barre la route.
Damien, lui aussi, se croit dans un film de Scorsese. D’ailleurs, cette narration en voix off articulée en flash back rappelle la structure des Affranchis. Son rôle de bras droit de Mallaury donne un sens à sa vie, et il se retrouve aveuglé par le semblant de reconnaissance qu’il reçoit, et qui le pousse ainsi à rester.

À plusieurs reprises, Damien se demande si ces activités illégales ne seraient pas sa réelle vocation. Contrairement à tout ce qu’il entreprend, il semble se trouver un talent pour le crime. D’ailleurs, Damien est le seul à tuer un animal lors d’une sortie de chasse. Les autres invités en sont tous incapables.
Au fur et à mesure qu’il s’intègre au domaine, Damien se métamorphose physiquement. Il arbore, comme un déguisement, les apparats stéréotypiques des mafieux que l’on voit dans les films. Sa transformation se fait d’autant plus claire lorsqu’il se rend à une soirée étudiante avec Celia dans sa résidence universitaire. Les autres étudiant·e·s jouent au babyfoot, portent des sandales et des tee-shirts basiques, tandis que Damien fait tâche avec ses cheveux plaqués en arrière et son costume en cuir noir. Ces derniers se moquent du fait que Damien soit venu en compagnie d’une escorte.
Le Domaine pose des questions de taille : jusqu’où peut-on risquer sa vie en échange d’un peu d’argent et de reconnaissance ? Et, finalement, quel est le prix des rêves ?
Le Domaine de Giovanni Aloi (Capricci, 1h31), sortie le 14 mai.