ACID – L’Acid ouvre sa semaine cannoise avec L’Aventura, sixième long métrage de la cinéaste française Sophie Letourneur. Un geste loin d’être anodin, tant celui de la réalisatrice fait écho au cinéma mis en avant par l’association : un cinéma à l’écoute de la vie et du réel, de leurs pleins comme de leurs vides.
C’est dans un petit chaos – celui de la vie quotidienne familiale – que commence L’Aventura. Cette « aventure », c’est celle de Claudine, 11 ans, de son petit frère, Raoul, 3 ans, et de sa maman (Sophie Letourneur). Ah, et de leur beau-père aussi, Jean-Phi (Philippe Katerine)… Mais il arrivera un peu plus tard. Comme souvent.
Valises en vrac poussées comme on peut, Raoul sous le bras, la petite famille embarque dans l’Intercités de nuit, direction le Sud. L’objectif : rejoindre Jean-Phi qui fait le trajet en voiture, pour embarquer dans un ferry pour la Sardaigne. Ce sont les différentes voix de la famille qui narreront le reste du road-trip. En effet, L’Aventura se structure autour de séquences dans lesquelles Claudine tente d’enregistrer les souvenirs des jours passés. Et d’autres qui mettent en scène lesdites séquences.
Présents du passé
À l’écran, donc, le passé doublement mis en scène. D’abord, narré au présent (de narration) via la reconstitution orale matérialisée par les voix et souvenirs des différents membres de la famille. Puis, le passé mis au présent par les images. Les deux registres de narration se recouvrent parfois, mais viennent le plus souvent s’entrechoquer. En ressortent non pas une, mais des histoires d’un voyage familial.
De petits décalages en écarts d’interprétation, Sophie Letourneur sonde, avec L’Aventura, et après Voyages en Italie, la cellule familiale. Celle-ci apparaît alors, non pas comme un tout uni, mais bien comme l’agrégation d’individus liés par des liens qui semblent aussi aléatoires que nécessaires.
Pour en arriver à ce constat, l’arme principale de la réalisatrice réside en la reconstitution quasi documentaire du chaos du quotidien familial. Si tout est (re)joué, les enregistrements documentaires existent bel et bien. L’Aventura est une mise en abyme du processus de tournage.
Images et fragments sonores coulent en continu, créant ainsi un magma aussi drôle qu’épuisant. C’est que le film épouse les contours de ce road-trip, qui se vit non pas sur le mode de la grande expédition, mais bien plutôt de l’enchaînement de moments aussi précieux qu’insignifiants.
Bricolage familial
C’est le quotidien d’une famille hétérosexuelle recomposée, qui se voit ainsi exposé dans tout ce qu’il a de plus banal, répétitif et éreintant. En tout cas pour la mère, incarnée par Sophie Letourneur, dont les cernes et poches sous les yeux communiquent aisément l’épuisement vécu au spectateur. Car si le film est drôle et burlesque, notamment en raison du comique de répétition et du jeu gaguesque de Philippe Katerine, le dispositif laisse un arrière-goût doux-amer.
Car c’est bien la mère qui court partout, qui est sans cesse privée de baignade et de tranquillité, au profit de l’amusement et du repos du beau-père, peu impliqué dans la logistique et le soin apporté aux enfants.
Mais c’est aussi Claudine qui se voit sans cesse voler la vedette par son petit frère, Raoul, surprotégé par la mère. D’où les conflits de narration lors des séquences d’enregistrement. Le dispositif n’épargne personne. Pas même Jean-Phi dont la médiocrité sera tournée en dérision tout au long du film.
Et si la cellule familiale n’explose pas en plein vol, c’est bien parce que la mère et la fille se révèlent bien plus douées en bricolage et rafistolage que les deux autres individus. À coups de compromis et de petits renoncements, ce sont elles qui font tenir ces histoires de famille en un récit unifié, et ces quatre individus en une unité : la belle et heureuse famille.