CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2025 – « Un poète » : L’art de rater

Un poète
© Epicentre Films

UN CERTAIN REGARDUn poète raconte la rencontre entre Óscar, un poète écorché vif et Yurlady, une jeune adolescente. Le réalisateur colombien Simón Mesa Soto signe un film très drôle sur l’échec.

Poète. C’est comme ça que se définit Óscar Restreppo (Ubeimar Rios). Plus jeune il a publié un recueil de poésie qui lui a valu un petit succès. Depuis, pas grand-chose. Il vivote chez sa mère, et a du mal à tenir son rôle de père auprès de sa fille qui préfère l’éviter. Les relations familiales et amicales sont pour le moins tendues. Óscar n’écrit plus trop mais éprouve la souffrance de sa condition de poète. Il boit, beaucoup, et se lance dans des diatribes sur les écrivains de son pays avec une certaine aversion pour l’icône Gabriel García Márquez . Quand il se réveille, le réel est toujours aussi dur à supporter.

Tentative de transmission

Óscar finit par accepter un poste d’enseignant dans un collège. Là-bas, il y fait la rencontre de Yurlady (Rebeca Andrade), une de ses élèves qui écrit à ses heures perdues. Les poèmes de Yurlardy sont très bons, et Oscar la convainc se s’inscrire à un festival de poésie. Commence alors un récit de transmission, qui a en apparence tout pour s’imposer comme un arc narratif salvateur pour Óscar.

Sobre et prof, Óscar parvient un temps à sortir de son marasme intérieur. Sa vie se calque sur les écrits de la jeune Yurlady. Celle-ci accueille son nouveau statut de poète avec plus de flegme que d’intérêt. La rencontre entre les deux met également en lumière leurs origines sociales. Yurlady vient d’un quartier populaire de Medellín. Les organisateur·ice·s du festival l’encouragent notamment à exploiter cette position subalterne pour la lecture qu’elle doit donner.

L’espace du festival devient ainsi celui d’une fiction politique que le cinéaste montre de manière caustique, en exploitant surtout son ressort pathétique. Globalement, les adultes sont montrés comme des losers. Une génération de vieux briscards boomers, à côté de la plaque moralement et politiquement, guidés par des valeurs capitalistes plutôt qu’artistiques. La jeune génération de poètes de Medellín est également présente à ce festival, en apparence plus aiguisée et consciente. On sent beaucoup de plaisir à filmer la médiocrité qui sévit dans cette scène culturelle de Medellín.

Éloge de l’échec

Le film ne creuse pas la fracture générationnelle qu’il souligne. Il préfère se resserrer sur Óscar et Yurlady et leur manière d’occuper ces espaces – celui du festival, mais également d’une émission télé à laquelle Yurlady participe – , et d’exister au sein des rapports de pouvoir qui les régissent. Il demeure une sorte d’incapacité complète d’Óscar à s’adapter. Un problème d’adhésion à ces espaces, à ces codes, dans lequel est entraînée la jeune Yurlady. L’alcool sera encore une fois la porte de sortie privilégiée. C’est le portrait de deux personnages impossible à récupérer.

La réussite d’Un poète, c’est qu’il finit toujours par embrasser la voie du ratage. Il reconduit sans cesse l’échec qui caractérise la vie d’Óscar, et n’a pas peur de pousser cette logique jusqu’au bout. De cette trajectoire ratée, Simón Mesa Soto tire des scènes très drôles et acerbes. Il met ainsi en scène l’échec comme espace de résistance. Car l’espace de l’échec, c’est celui qui se situe hors des stratégies de pouvoir, et des mensonges.

La voie de l’échec c’est aussi ce qui permet de ne pas réduire les personnages à leurs origines, ou à un récit de success story méritocratique de transfuge de classe. Simón Mesa Soto met en scène des personnages qui s’appartiennent complètement. C’est une forme d’éthique de la vérité qui est à l’œuvre, tant la radicalité dans la représentation de l’échec prouve le degré d’idéalisme et de pureté dans les intentions. La figure du poète, chez Óscar et chez Yurlardy, c’est celui ou celle qui garde son intégrité, au risque de passer pour un fou, ou de renoncer à la gloire. Óscar finira quand même par s’accorder un peu plus à la vie, et trouver sa place auprès de ceux et celles qu’il a trop longtemps ignoré·e·s.

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