CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2025 – « Renoir » : Valse des ombres 

© Loaded Films

EN COMPÉTITION – Deuxième long métrage de Chie Hayakawa, Renoir prend place durant l’été 1987 à Tokyo. À travers le regard d’une jeune fille de onze ans, la réalisatrice japonaise développe une réflexion autour d’une enfance confrontée à la mort et à la solitude. 

Il y a trois ans, Chie Hayakawa présentait Plan 75 dans la sélection Un Certain Regard du Festival. Tableau dystopique d’une société où un « accompagnement logistique et financier » était mis en place pour que les personnes âgées puissent mettre fin à leurs jours. Ce long métrage ancrait déjà la cinéaste dans la mise en scène de la fin de vie, la mort, et des enjeux sociaux qui s’y retrouvent. En ce sens, Renoir s’inscrit dans la lignée de son grand frère. Le long métrage investit à son tour la thématique de la mort, et son impact sur celles et ceux qui restent. Avec une écriture et une esthétique d’une grande acuité, Chie Hayakawa livre ici un regard plus personnel sur la fin de vie.

Phase terminale

1987. La famille Okita – Fuki (Yui Suzuki), onze ans, son père Keiji (Lily Franky), et sa mère Utako (Hikari Ishida) – vit dans un appartement à Tokyo. L’été approche. Atteint d’un cancer, Keiji a de plus en plus de mal à faire face au quotidien sans des soins plus intensifs, et une présence médicale permanente. Par sécurité pour lui, et pour préserver Fuki ainsi qu’elle-même, Utako décide de d’hospitaliser son mari. Mère et fille se retrouvent alors à deux. Leur quotidien varie entre travail et école, repas préparés avalés devant la télévision, et visites à l’hôpital. 

Fuki, la protagoniste principale, vit dans une grande solitude. Utako est souvent absente, et n’a que peu de temps à consacrer à sa fille, même lorsqu’elle est à la maison. La jeune fille traverse donc assez seule l’approche de la mort de son père. Loin de se morfondre à longueur de temps, Fuki fait montre d’une véritable distance vis-à-vis de la mort. 

Une sensation que Chie Hayakawa parvient à retranscrire avec réalisme, cela jusque dans les détails – silences, regards perdus, sourires inattendus. Et pour cause. La mort et le deuil, la réalisatrice les a également vécus durant son enfance, suite au décès de son propre père. 

Et si le parcours de Fuki résonne avec celui de Chie Hayakawa, l’on peut percevoir un autre alter ego de cette dernière dans le personnage de la professeure d’anglais. Lors d’une scène où Fuki, s’entraînant à parler en anglais à l’oral, évoque sa situation familiale à la jeune femme – avec ce flegme qui lui est propre -, cette dernière lui confie qu’elle aussi a vécu cette épreuve, petite. L’on assiste là au regard de l’adulte sur l’enfant qui traverse la même chose. Et l’adulte, qui cherche à soutenir l’enfant, cherche peut-être, aussi, à réconforter son propre soi enfant. D’ailleurs, c’est la professeure qui finit en larmes, face à Fuki presque de marbre. 

© Eurozoom

Visible, invisible

Dès les premières séquences, l’on comprend que Fuki éprouve une certaine fascination vis-à-vis de la mort. Et, plus généralement, des liens avec le « monde invisible  ». Pour un devoir d’écriture, elle choisit de faire le récit de sa propre mort. À la maison, elle ne peut détacher son regard de shows télévisés autour de la télépathie. Elle pousse cet intérêt à la pratique, en proposant à une femme de son entourage de l’hypnotiser pour se décharger émotionnellement de la mort de son mari. Ses jeux favoris consistent à deviner la pensée de la personne en face. Quelle carte du jeu, quel objet sur la table ?

Quant à la mort prochaine de son père, ou celle des autres, Fuki ne verse pas une larme. Elle peine aussi à saisir la tristesse d’autrui. Il n’est pas question d’insensibilité, au contraire. La jeune fille est extrêmement sensible à cet univers mystique, à la puissance de l’inconscient qu’il met en exergue. Fuki cherche constamment à y déceler des indices, des signes. Certes, elle affiche un certain recul. Néanmoins, cela ne se fait pas sans curiosité et une réelle profondeur, toutes deux appuyées par la gravité que donne l’actrice Yui Suzuki à son personnage. 

Oscillant entre la vie et la mort, Fuki multiplie les connexions et les expériences. Écoutant au hasard des rencontres téléphoniques, elle finit par entrer elle-même en lien avec un inconnu. Il y a également des scènes qu’elle visualise, mais dont la distinction entre réalité et imaginaire est poreuse. 

Peindre l’abstrait

Chie Hayakawa met en scène cette ambivalence en exploitant la manière dont ses personnages occupent l’espace. La réalisatrice joue avec leur présence, leur absence. Elle les met en valeur, ainsi que leur environnement, au moyen d’un travail approfondi de la gestion des ombres, des lumières, et des couleurs.

Hormis un tableau repéré par Fuki, qui commence d’ailleurs par demander si le peintre est vivant ou mort, le personnage de Renoir, qui donne son titre au film, n’est pas au cœur du scénario. Sa figure s’incarne plutôt en creux, à travers une réflexion photographique pour le moins développée. Tons pastels, contrastes, cadres soignés : l’esthétique propre au mouvement pictural majeur qu’est l’impressionnisme se ressent plan après plan – jusque dans la couleur d’une glace, identique à celle du congélateur duquel elle sort. 

Entre longs silences, clairs-obscurs, et éclats de rire, Chie Hayakawa livre ainsi la trajectoire d’une enfant dont le regard cherche constamment à percer l’épaisseur de ce monde invisible. Véritable manifeste impressionniste, Renoir peint avec finesse une autre manière de vivre l’approche de la mort et du deuil. 

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