CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2025 – « Promis le ciel » : Permettre les rêves

Promis le ciel
© ManekiFilms_HeniaProduction

UN CERTAIN REGARD – C’est le deuxième long-métrage de la cinéaste franco-tunisienne Erige Sehiri qui a ouvert le bal de la compétition Un certain regard. Promis le ciel raconte l’immigration subsaharienne en Tunisie à travers les pérégrinations de trois femmes ivoiriennes.

Installée à Tunis, Marie (Aïssa Maïga), pasteure ivoirienne et ancienne journaliste, accueille chez elle Jolie (Laetitia Ky), étudiante de 24 ans, et Naney (Debora Lobe Naney), une jeune mère qui cherche à faire venir sa fille, et à traverser la Méditerranée. Les femmes recueillent également Kenza, quatre ans, rescapée d’un naufrage et orpheline. Promis le ciel chronique ce refuge féminin et le délitement progressif de celui-ci, alors que le climat politique tunisien se fait de plus en plus violent à l’égard de la population issue de l’Afrique Subsaharienne.

Tunisie, terre d’exil

Erige Sehiri reprend un dispositif similaire à celui utilisé dans son premier-long métrage, Sous les figues. Soit la mise en scène d’un espace féminin au milieu d’une société qui s’emploie à les précariser et les exclure. Dans Sous les figues, cet espace advenait dans le milieu rural du nord-ouest de la Tunisie. Le film représentait une population locale de travailleur·euse·s pendant une journée de récolte, incarné·e·s par des acteur·ice·s non professionnel·le·s.

Promis le ciel renverse ce regard, et appréhende la Tunisie depuis un point de vue étranger dans le décor urbain de Tunis. Sehiri filme la ville depuis le regard ces femmes ivoiriennes, qui confère à celle-ci une forme d’abstraction. Tunis est une entité appréhendée depuis une forme d’extériorité impossible à dépasser. Un terrain miné d’insécurité et de rapports de défiance avec la population et les autorités locales. C’est ce positionnement extérieur à la ville que la cinéaste s’emploie à figurer. En resserrant la trajectoire de migration sur le continent africain, le film met en lumière des rapports de pouvoirs rarement examinés à l’écran, entre le Maghreb et l’Afrique Subsaharienne.

Impossible communauté

Comment parvenir à créer une communauté au sein d’une société qui cherche à vous exclure ? Le film met en scène les liens qui se nouent, notamment à travers la religion. Marie, pasteure, guide et prêche la parole de Dieu dans sa paroisse, auprès des fidèles. Elle ne cesse de rappeler que Dieu a un « plan » pour chacun·e. Une ode à la persévérance répétée plusieurs fois, pour tenter d’harmoniser et de transcender le réel, autrement synonyme de racisme, d’exclusion, et de pression financière.

Les personnages sont ainsi pris en étau dans un monde moderne qui les rejette, et une tradition religieuse qui peine à leur donner les outils nécessaires pour survivre. Qu’elles soient guidées par la foi, les études ou la débrouille, ces femmes tentent de s’enraciner comme elles peuvent. Debora Lobe Naney s’impose comme la révélation du casting, incarnant le rôle de Naney avec beaucoup de force et d’aspérité. Son énergie, plus nerveuse, contraste parfaitement avec la gravité d’Aïssa Maiga dans le rôle de Marie.

Naturalisme

Promis le ciel prend la relève d’une tradition cinématographique bien française, le naturalisme. Erige Sehiri avait déjà cité Abdellatif Kechiche comme influence, et avait collaboré avec la scénariste monteuse du cinéaste, Ghalya Lacroix. Le film reprend ainsi des images vues et revues qui se placent dans le sillon de cette tradition. La traversée d’un personnage en boîte de nuit, des scènes de disputes et de pleurs filmées en gros plans. Si ce régime d’images peut sembler galvaudé, Sehiri s’impose comme une grande metteuse en scène. Elle permet ainsi de redécouvrir la solitude urbaine, la misère sociale, et d’illustrer parfaitement la ballade poétique et rythmique de la chanson du groupe Delgres, qui donne son titre au film. Un chant pour ceux et celles dont les rêves tardent à se réaliser.

You may also like

More in CINÉMA