UN CERTAIN REGARD – Adapté du roman éponyme de Constance Debré, Love Me Tender raconte le chemin de croix de Clémence, séparée de son mari Laurent, pour voir son fils Paul. Vicky Krieps incarne le rôle principal.
Clémence (Vicky Krieps) a tout lâché : mari, métier d’avocate, appartement, hétérosexualité. Sa vie est faite désormais d’écriture, de natation, et de rendez-vous avec les filles. Elle annonce d’ailleurs à son ex, Laurent (Antoine Reinartz), de qui elle n’est pas encore divorcée, sa nouvelle sexualité. Celui-ci, entre deux bouchées d’un club-sandwich, encaisse la nouvelle. Il tentera de l’embrasser, mais Clémence l’esquive. Elle est définitivement passée à autre chose.
Laurent demande ensuite la garde exclusive de leur fils Paul, et accuse au passage Clémence de pédocriminalité et d’inceste. Il réclame également la déchéance de son autorité parentale. C’est le début d’un calvaire judiciaire pour Clémence, qui se voit privée de son fils. Punie d’avoir choisi la liberté, plutôt que le confort bourgeois et son lot d’injonctions. Love Me Tender raconte la tentative de conciliation entre la nouvelle vie de Clémence, et ce qu’il lui reste de sa vie d’avant.
Blues maternel
Le film alterne ensuite entre les passages obligés au pôle médiation pour voir le fils, et les scènes en dehors de cette salle. Celles-ci sont faite de verres entre potes, de rencontres dans la nuit et d’écriture. Jamais la douleur d’être empêchée de voir son fils ne quitte cependant Clémence. Ses yeux et sa voix sont sans cesse traversés d’un vague à l’âme. À travers une captation à vif de ce qui meut le visage de son actrice, la cinéaste compose une cartographie hypersensible de la tristesse, on l’on voit les tressaillements et les vibrations se déposer. Ce qu’il reste après le film, c’est avant tout ce visage-là, qui se fait et se défait.
Un fossé se crée progressivement entre Clémence et les autres. En particulier ses amours, qu’elle finit souvent par rejeter. Une heure tous les quinze jours, Clémence voit son fils, surveillée par deux médiatrices qui griffonnent des notes pendant les échanges. Il s’installe alors une sorte de prégnance de l’institution judiciaire sur le récit. On pense à Anatomie d’une Chute, avec lequel Love me tender partage un acteur, Antoine Reinartz, qui y interprétait le rôle du procureur. À cet égard, les scènes avec l’avocat du mari font effet de redite, dans cette façon de faire le procès des femmes pour être ce qu’elles sont, et d’agir en dehors de leur rôle de mère ou d’épouse.
Impossible amour
Constance Debré problématisait l’incompatibilité du cheminement sexuel, intellectuel et artistique avec la fonction de mère. L’autrice y remettait en question ce statut, en tant qu’identité, et interrogeait la notion d’amour maternel : « Je ne vois pas pourquoi l’amour entre une mère et un fils ne serait pas exactement comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser de s’aimer. Pourquoi on ne pourrait pas rompre. » Il y avait ainsi une forme de dissidence et de cynisme à l’œuvre, qui n’est pas du tout le parti pris de la cinéaste. A la frontalité et l’apprêté de Constance Debré, Anna Cazenave Cambet préfère le choix de la tendresse. Douceur toujours, même quand ça va mal, et qu’on accepte enfin de renoncer.