QUINZAINE DES CINÉASTES – Pour son premier long-métrage, la réalisatrice Prïncia Car dresse le portrait de la jeunesse des quartiers populaires de Marseille. Les Filles désir déconstruit les tabous entre les filles et les garçons, tout en questionnant leur rapport à l’amour.
Tourné intégralement dans la cité phocéenne, le film débute dans un centre aéré, en plein été. Omar (Houssam Mohamed), sa petite copine Yasmine (Leïa Haïchour) et sa bande en sont les moniteur·ice·s respecté·e·s. Leur quotidien tranquille et rangé est cependant bouleversé par le retour de Carmen (Lou Anna Hamon), une amie d’enfance et ex-prostituée. Les tensions naissent au sein du groupe, mettant à nu les tabous et créant la zizanie dans les relations amicales et amoureuses.
La réalisatrice Prïncia Car enseigne depuis plusieurs années le cinéma, le théâtre, et l’art en général, dans les quartiers Nord de Marseille. Elle a vocation d’amener la culture dans le quotidien de jeunes éloignés des centres artistiques, en raison de difficultés économiques ou éducatives.
Déconstruire les tabous
Les Filles désir est le fruit de huit ans de travail. Les dialogues et les personnages sont crées à partir de sessions d’improvisation théâtrale avec les acteur·ice·s, encadrés par la réalisatrice. Un exercice qui se révéla bénéfique, tant pour l’écriture du film que pour déconstruire les stéréotypes présents dans le groupe.
Les personnages masculins sont significatifs de la pression que les hommes se mettent sur eux-mêmes. Un désir de contrôle, de performance, de réputation, qui les ronge peu à peu. Les rivalités entre hommes persistent même au sein du groupe d’ami·e·s. Cette idée de performance, notamment sexuelle, est détournée avec humour. Lors de l’anniversaire des 18 ans de l’un des membres, l’un d’entre eux l’emmène voir une prostituée, afin de lui faire perdre sa virginité. Après lui avoir donné une centaine d’euros, il le laisse sur le parking. Au final, il rentre tout penaud dans la voiture, chargé d’un sac en papier kraft, annonçant qu’il a préféré s’acheter des burgers.
Omar, lui, semble écrasé par les responsabilité qu’il s’inflige en vue d’être l’homme de la situation. Même si son personnage fait preuve de violence non seulement envers lui-même, mais aussi envers les autres, le·la spectateur·ice ne peut que ressentir un pincement au cœur lorsque ce dernier explose de colère après s’être disputé avec Yasmine à la fête foraine.

Une belle leçon de sororité
Au départ, Yasmine se projette dans un mariage avec Omar. Seule fille dans un groupe de garçons, elle se cache derrière les bras musclés de ce dernier. Elle perçoit l’arrivée de Carmen comme une menace, accentuée par les rumeurs propagées par les autres garçons du groupe. Sans même lui avoir adressé la parole, elle s’en fait une ennemie jurée. Pourtant, au fur et à mesure, Yasmine comprend que Carmen n’est en rien la fautive de la situation. C’est en réalité le système dans lequel elle a été forcée à vivre qui conduit à cette situation.
Comme de nombreuses filles des quartiers populaires, elle a appris à faire avec. Les hommes classent les deux filles dans deux catégories opposées : celles avec qui l’on se marie (Yasmine), et celles avec qui l’on couche (Carmen). Finalement, l’on se rend compte que cette différence est un outil de la domination patriarcale que ces dernières subissent, frontalement ou de manière indirecte.
Yasmine et Carmen, que tout oppose, se réconcilient et s’unissent dans un même combat. Comprenant qu’elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes, elles décident de se serrer les coudes et reconcquièrent leur liberté.
Le tissu des relations humaines
Sans s’éparpiller, le film met en lumière de nombreux enjeux. Plus qu’un portrait de la jeunesse marseillaise, la réalisatrice explore en profondeur les liens entre les personnages. Ainsi, elle expose leur complexité, ce qui permet un réalisme frappant des situations, et une vraisemblance des personnages. Personne n’est épargné. Le film ose montrer l’intimité des protagonistes que l’on découvre dans leurs bons et mauvais jours. Chacun·e se retrouve au pied du mur, face à ses erreurs et ses travers. Par exemple, le personnage de la mère d’Omar souligne le contraste entre les générations. Lorsqu’elle rencontre Yasmine pour la première fois, elle lui demande si elle est prête à faire le ménage, le repas, ou encore la lessive, sans se soucier du bien-être ou des ambitions de celle-ci.
Le film dépeint des relations humaines complexes, avec sincérité, cruauté parfois, tout en traitant ses personnages avec bienveillance. Il se termine en beauté par la musique emblématique de Vendredi sur mer, dont le film porte le nom.
Les Filles désir de Prïncia Car (Zinc, 1h33) sortira le 16 juillet 2025.