EN COMPÉTITION – Pour leur dixième sélection cannoise, les frères Dardenne reviennent avec Jeunes Mères, un récit choral autour de la maternité de jeunes adolescentes, hébergées dans une maison maternelle.
Elles s’appellent Ariane, Perla, Naïma, Jessica et Julie (Janaina Halloy Fokan, Lucie Laruelle, Samia Hilmi, Babette Verbeek et Elsa Houben). Toutes résident dans une maison maternelle près de Liège. Elles sont récemment devenues mères ou sont sur le point de l’être, mais demeurent encore de jeunes filles. Ce sont ces différentes trajectoires qui s’entrelacent et tissent le récit de Jeunes Mères.
Hors les murs
Le long métrage se situe majoritairement hors des murs de la maison maternelle, et c’est là sa réussite. Cela permet de ne pas neutraliser le thème de la maternité par l’institution, et évite une certaine lourdeur administrative, et narrative. Lourdeur que l’on peut retrouver dans un autre film de la compétition, Dossier 137, de Dominik Moll. Il chronique une enquête de l’IGPN sur un cas de violence policière pendant les manifestations des Gilets jaunes – enquête résumée par le biais d’une voix off qui narre les démarches administratives.
En évitant la prise en charge complète du récit par l’institution, les Dardenne vont davantage du côté du mélodrame. L’on pense notamment au Secret & Lies de Mike Leigh – autre auteur adepte des drames des petites gens – qui racontait les retrouvailles entre une fille et sa mère biologique. L’autre bonne idée de Jeunes Mères est de décliner le récit à travers plusieurs personnages. Les Dardenne se départissent ainsi d’une forme d’âpreté de leur réalisme et de leur dispositif de mise en scène, qui a pour habitude d’isoler un ou deux personnages. Nous sont données à voir différentes situations affectives et antécédents familiaux. Alcool, drogue, abandon : le passif est lourd pour ces jeunes mères, qui tentent d’esquisser un avenir plus radieux, avec ou sans bébé.
La maternité, pour toutes, déclenche un besoin urgent de réparation. L’impératif, notamment, de ne pas reconduire les mêmes traumatismes transgénérationnels, qui se perpétuent d’ailleurs essentiellement de mère en fille. Malgré quelques faiblesses de jeu, on se laisse embarquer. Les confrontations entre mères et filles – Ariane et sa mère alcoolique, ou Jessica et sa génitrice qui l’a abandonnée – sont particulièrement prenantes.
L’enfant
Les éducatrices du centre maternel sont elles aussi bien présentes. Elles guident les gestes à adopter, prodiguent conseils et soins. Elles constituent de beaux rôles secondaires, dans la manière, justement, d’encourager les filles à être pleinement maîtresses de leur vie et de leurs choix.
L’arrivée d’un enfant est ici figurée comme une puissance d’ébranlement, mais pas forcément d’amour. Un cataclysme dont il faut gérer la venue, et ses conséquences, notamment morales. Cette idée de l’enfant était déjà au coeur de L’Enfant, chef-d’oeuvre des frères, récompensé d’une Palme d’or en 2005. L’enfant vient surtout cristalliser la précarité – financière et émotionnelle – dans laquelle existent les personnages. Surtout, l’enfant ne sauve pas. L’on se sauve soi-même.
L’un des choix importants de mise en scène est celui d’avoir casté de vrais bébés, dont l’on peut lire ici une partie du processus. La législation belge permet notamment de recruter des nourrissons. L’on entend ainsi constamment gazouillis, respirations et pleurs de ces petits êtres, qui renvoient à la fragilité de celles qui les ont mis au monde. Cela procure une qualité documentaire indéniable. Ces petits corps frêles permettent d’avancer ou, au contraire, forcent à ralentir. On ne se dispute pas de la même manière, quand on tient un bébé dans les bras. Celui-ci est envisagé tantôt comme un obstacle qui prend de l’espace, ou une véritable rencontre.