CINÉMA

« Songe » – Prendre son envol

Songe de Rashid Masharawi
Songe © Coorigines Productions

Figure importante du cinéma palestinien, Rashid Masharawi s’intéresse de près aux conditions de vie des Palestien·ne·s à travers son œuvre. Son dernier film, Songe, met en scène la quête initiatique d’un jeune garçon, parti avec sa famille retrouver son pigeon voyageur. Le film sort en salles ce mercredi 2 avril.

Sami décide de partir pour Bethléem, retrouver son oncle Kamal, qui dirige un atelier de statuettes en bois, pour le convaincre de prendre la route afin de retrouver son pigeon voyageur, disparu depuis quelques jours. Ils partent à trois avec sa cousine Maryam, à bord d’un van, sillonner les routes de la Cisjordanie. Du camp de réfugiés de Kalandia où Sami habite avec sa mère, à Haïfa, en passant par Jérusalem, Songe offre une traversée sensible des territoires palestiniens. Ce road-trip se révèlera être un voyage salvateur pour Sami et sa famille.

Sur la route

Le film se déploie à travers une puissante lecture symbolique  : le pigeon voyageur, qui peut circuler librement, et la cage à oiseau qui, elle, reste chevillée au corps de Sami. Symbole d’un enfermement à la fois physique – le père de Sami est emprisonné depuis sept ans -, mais aussi psychologique – sa mère est incapable de sortir chez elle et de reprendre contact avec son frère. L’existence de Sami est structurée par ce manque de liberté.

Tourné avant les évènements du 7 octobre, Songe chronique la vie palestinienne sous occupation. Le film se fait le récit de l’absurde qui jalonne le quotidien où la liberté de circulation fait sans cesse objet de négociation. De multiples check-points ralentissent et rallongent le trajet, et font sans cesse reculer les retrouvailles espérées avec le pigeon. Ce rapport au temps, complètement arbitraire, fruit de la politique de séparation entre Palestinien·ne·s et Israélien·ne·s, est l’une des données sensibles que le film explore habilement. Il fait ressentir la charge mentale spatiale et temporelle subie par les Palestinien·ne·s. Là où le territoire ne se donne que par fragments, et où chaque trajet s’apparente à une épreuve.

© Coorigines Productions

Voyage initiatique

Kamal, l’oncle, incarne une forme d’exaspération et de résignation face à ces conditions de vie éreintantes. La fatigue se lit sur son visage. Il se fait aussi le réceptacle de la fatigue et de l’injustice subies par les autres. Des personnes croisées sur le chemin, comme le vendeur du pigeon, par exemple. Maryam et Sami, respectivement 17 et 12 ans, incarnent une façon plus libre de se mouvoir dans l’espace. Face aux restrictions, aux check-points, et à l’abattement des adultes croisés, Sami reste obnubilé par son pigeon, comme s’il était l’horizon d’une liberté à atteindre à tout prix. Maryam elle, veut poursuivre des études de journalisme, et documente le road-trip familial avec son téléphone. Ce voyage est aussi une occasion pour elle de se projeter dans l’avenir.

Le film orchestre harmonieusement les regards de la jeunesse, avec ceux des adultes. Fidèle à un réalisme social qui restitue l’âpreté des conditions de vie, il reste aussi tout du long au plus près de la quête de Sami, et de son entêtement qui fait avancer la famille, et transmue le quotidien. À mesure que les frontières physiques sont franchies, ce sont ainsi les frontières psychologiques qui s’effondrent. L’arrivée à Haïfa ouvre un horizon jusque-là inconnu pour Sami et Maryam. Tous les trois, avec Kamal, contemplent l’étendue de la ville qui se dressent devant eux. Kamal leur parle de leur aïeul, pêcheur dans la ville. C’est un morceau de l’histoire familiale transmis à sa fille et son neveu, mais aussi du récit collectif palestinien. Une topographie intime qu’emportent Sami et Maryam. Le chemin que finit par dessiner le road-trip est celui d’un retour aux sources et d’une réconciliation familiale.

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