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Rencontre avec Thx4Crying : « L’idée, c’est de faire correspondre la musique aux sentiments du moment, en restant ludiques et expérimentaux·ales. »

Thx4Crying © Florian salabert
Thx4Crying © Florian salabert

Sous le pseudo de Thx4Crying, Florian Vinayagam Bertonnier murmure des vertiges. Le 28 mars 2025, iel sort un premier album éponyme — mais derrière cette épure se cache un disque dense, sensoriel.

Artiste queer d’origine réunionnaise, désormais basé à Paris, iel s’était imposé·e en 2022 avec montagnes d’émeraudes, un EP qui tenait de l’aveu et de l’incantation, qui comportait notamment le morceau  « Loin de moi le drame », dont le clip avait séduit la rédaction de Maze. Depuis, il a croisé la route de Yoa, Théa, Pi Ja Ma, et foulé diverses scènes en Europe en première partie de Pomme.

Dans cet album, conçu comme un cabinet de curiosités émotionnelles, Thx4Crying tisse des fragments de mémoire et des textures synthétiques, suspendus entre bribes de voix et synthés spectrales. Ici, chaque chanson est une tentative : pour dire la solitude, le manque, le désir d’être vu·e autrement. Un projet en clair-obscur, qui fait dialoguer journal intime et collage sonore. Dans cet entretien, Thx4Crying revient sur l’essence même de son projet : le rôle de ses complices de studio, et cette manière bien à lui·elle de faire de la vulnérabilité une force de création.

Pour commencer, peux-tu te présenter succinctement ? Quel genre de musique fais-tu, et comment as-tu commencé à en faire ?

Thx4Crying : Je m’appelle Florian et je fais de la musique depuis un moment. J’ai lancé mon projet Thx4Crying en 2020. Avant ça, j’avais déjà commencé à faire de la musique et à jouer dans des clubs sous ce nom-là. Mais j’avais aussi un autre projet appelé Refuge, avec lequel j’ai sorti un album début 2020. À un moment donné, j’ai jonglé entre les deux projets, mais petit à petit, je me suis complètement concentré sur Thx4Crying. Pour me présenter simplement : je fais de la musique sur mon ordinateur, dans un cadre assez intime. J’ai un petit setup, un clavier, un micro et je compose seul·e. Quand j’aime une chanson, je la travaille avec mes amies productrices, et on crée des morceaux qui mélangent des sonorités intimes et des productions plus abouties.

Qu’est-ce qui t’a poussé à sortir un album après ton premier EP ?

J’ai sorti mon premier EP, montagne d’émeraudes, à la fin de l’année 2022. Il abordait l’impact d’Internet sur la construction de soi — cette idée de vivre à travers des avatars, de se forger une existence parallèle sur les réseaux sociaux, surtout quand notre environnement ne nous permet pas d’être pleinement nous-mêmes.

Après cet EP, j’ai continué à écrire, un peu à l’aveugle, sans trop savoir où j’allais. Et puis, en réécoutant les morceaux, j’ai réalisé qu’ils formaient une sorte de continuité, presque une évolution naturelle de ce que j’avais commencé à explorer. Petit à petit, c’est devenu un album, avec un propos qui glisse du digital vers quelque chose de plus ancré dans le réel.

Et aujourd’hui, quel est ton rapport au digital ?

Thx4Crying : Je dirais que j’ai toujours une affection particulière pour l’idée d’avatar et tout ce qui touche au digital, parce que c’est sur ces bases que j’ai beaucoup construit mon univers. C’est une partie intégrante de moi. Je trouve ça essentiel de travailler avec des textures sonores numériques. Mais je prends aussi conscience que le monde numérique a ses limites. Quand j’ai lancé mon projet musical en 2020, pendant le confinement, c’était vraiment en phase avec l’époque. J’ai fait des concerts sur Instagram, et j’ai aimé cette interaction digitale. Aujourd’hui, je cherche un équilibre, un moyen d’embrasser la réalité tout en restant fidèle à mes racines numériques.

Et dans tes sons, tu explores des sonorités très contrastées. Il y a beaucoup de guitare, beaucoup de pop super dynamique, des synthés… Qu’est-ce qui va guider tes choix esthétiques quand tu produis ?

Thx4Crying : L’esthétique de mes chansons est avant tout guidée par les émotions et les thèmes que je souhaite explorer. Avec mes collaborateurs à la production, Louis B.S.X et Mona San, on se permet une grande liberté dans les arrangements. Parfois, on ajoute des éléments inattendus, comme un cri de corbeau ou un solo de guitare, ou bien on retire carrément la batterie pour ouvrir la place à d’autres dynamiques. L’idée, c’est de dépasser les frontières des genres et de laisser parler l’intuition. L’objectif, c’est d’ajuster la musique aux émotions du moment, tout en restant ludiques et expérimentaux·ales.

Est-ce qu’à la fin, vous avez vu un fil conducteur se dessiner entre les morceaux ?

Je n’ai pas cherché à imposer une cohérence dès le départ. Mais en réécoutant l’album aujourd’hui, je me rends compte que le fil conducteur réside dans une certaine vulnérabilité, surtout dans la façon dont j’exprime mes émotions. Les morceaux sont assez dispersés, allant de souvenirs d’adolescence à ceux de mes débuts d’adulte. Pourtant, c’est cette diversité de souvenirs qui donne une cohérence à l’album.

Cover Thx4Crying © Florian salabert

Tu as travaillé avec Louise B.S.X et Mona San. Qu’est-ce qu’elles ont apporté à ton univers ?

Elles ont vraiment apporté énormément à mon univers. C’est un projet très collaboratif, et elles ont joué un rôle clé en donnant une forme sonore unique à ce que je voulais exprimer. Louise B.S.X, par exemple, a une approche très exubérante. Elle adore empiler des couches de synthés et de sons pour créer quelque chose de dynamique, un peu décalé. On collabore depuis mes débuts, et c’est une évolution constante. Quant à Mona San, elle a une grande précision technique, mais toujours au service de l’émotion. Travailler avec ielle a été super fluide et intuitif. Le morceau « Crystal », par exemple, on l’a créé dans une ambiance très détendue, avec quelques accords au clavier, et elle a développé la prod par-dessus.

Tu parles aussi des violences subies par les personnes queers et racisées dans ton morceau « Rien ne m’attend  ». Ressens-tu une responsabilité politique ou militante en tant qu’artiste, ou est-ce plutôt un exutoire personnel ?

Thx4Crying : Je ne me sens pas obligé de délivrer un message politique. En écrivant ma musique, je cherche avant tout à être honnête. Je veux que mes chansons résonnent avec celles et ceux qui vivent des expériences similaires aux miennes. Si ma musique peut permettre à quelqu’un de se sentir entendu ou moins seul, c’est déjà beaucoup.

Le sentiment de solitude est aussi très présent dans ta musique. Quelle est ta relation avec ce sentiment aujourd’hui ?

Thx4Crying : En fait, la solitude dont je parle souvent dans ma musique, c’est un peu celle de l’adolescence, peut-être du tout début de l’âge adulte. Un peu comme un sentiment de quelque chose de compliqué, de ne pas avoir de perspective, d’être un peu sans issue. Quand j’en parle dans mes chansons, ce n’est pas un truc hyper positif. Aujourd’hui, dans ma vie, je me sens bien entouré de personnes que j’aime, avec qui on se comprend et avec qui on construit de belles choses. La solitude ne me pèse plus. Je sais en profiter, et je peux même l’aimer.

Je sens qu’il s’est passé beaucoup de choses pendant mon adolescence et les années qui ont suivi. Mais je n’ai pas vraiment réussi à mettre des mots sur tout ça à l’époque. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est venu un peu tard, que j’ai mis du temps à comprendre et à verbaliser ce que j’avais vécu. C’était comme si j’étais un texte à trous ou un puzzle où il faut remettre les pièces dans l’ordre. Ces dernières années, j’ai ressenti le besoin de reconstruire un récit, de mettre des mots sur mes souvenirs, de les poser quelque part, un peu comme si je faisais un scrapbooking de ma mémoire.

Thx4Crying © Romane Fragne

Est-ce que tu peux me parler un peu de tes choix d’identité visuelle et de tes intentions visuelles ?

Thx4Crying : Oui, bien sûr. Comme je le disais, j’ai créé avec mes amis un collectif qui s’appelle Afterlife Collective. Ce collectif regroupe neuf personnes qui font de la musique, de la photo, de la vidéo, des films, et même de la mise en scène. Parmi eux, il y a Florian Zalaberg, photographe et réalisateur, avec qui je travaille depuis 2020. C’est avec lui que j’ai réalisé toutes mes photos, tous mes visuels, mes clips. On a travaillé ensemble sur les visuels de l’album. Alors que pour le précédent EP, on avait voulu explorer un mélange de 3D et de 2D pour illustrer ce côté digital, cette fois, j’avais envie de quelque chose de beaucoup plus simple. Je voulais juste des photos de moi, sans prisme particulier, sans chercher à me présenter sous un angle précis.

On a travaillé sur la texture des photos pour garder cette simplicité tout en apportant une touche nouvelle. Ces derniers temps, je me laisse pousser les cheveux, ça fait un an et demi maintenant. C’est aussi une manière de m’approprier ce qui est… « moi », je ne sais pas comment dire. Avant, je me coupais les cheveux très courts, et on avait l’impression qu’ils étaient lisses.

En fait, j’ai des cheveux très bouclés, et c’est un truc que je n’assumais pas trop avant. Comme si j’avais appris à ne pas trop accepter ça. À un moment donné, j’ai choisi de pousser le truc à l’extrême en mettant des extensions très longues.

Je voulais revenir sur ta chanson « Broken », qui aborde l’industrie musicale. Quel est ta vision de cette industrie ? Pourquoi as-tu ressenti le besoin d’écrire à ce sujet ? Et depuis que tu as écrit ce morceau, ton rapport à l’industrie a-t-il évolué ?

Thx4Crying : C’est un peu compliqué. Je trouve qu’il y a beaucoup… De mon point de vue, tout dans l’industrie musicale semble un peu absurde. J’ai un peu de mal à m’y sentir pleinement intégré. Même si parfois, j’ai eu l’impression d’être vraiment proche de l’industrie, il y a plein de choses qui ont été difficiles à vivre. C’est notamment ce dont je parle dans la chanson « Broken », du pouvoir abusif qu’un artiste connu, un jeune artiste, peut avoir.

J’ai écrit cette chanson quand je me suis rendu compte que la personne dont je parle avait continué à agir de la même manière avec d’autres personnes bien plus jeunes que moi. Et qu’en fait, ce comportement se répétait. Dans cette chanson, j’avais vraiment envie de parler de cette idée de répétition, de cycles. Ça me fait de la peine, parce que j’ai l’impression que, quand on grandit, on espère que les plus jeunes auront plus de chances que nous, que les mentalités évolueront, que les comportements changeront. Comme ce n’a pas été le cas, ça a réouvert une vieille blessure et fait ressurgir cette histoire dans ma vie. C’est ce qui m’a poussé à écrire cette chanson.

Est-ce que tu as un morceau préféré sur ce dernier projet ?

Thx4Crying : Je pense que ça bouge un petit peu. Mais il y a deux morceaux que j’aime particulièrement : « Fantôme » et « Émotions ». « Fantôme », parce que j’ai adoré la manière dont on l’a fait avec Lucas. On l’a vraiment créé dans mon salon, de façon très ludique, en se disant : « Allez, on fait une chanson un peu longue, on crée des moments instrumentaux ». Il y avait une batterie, et puis on a tout enlevé pour rendre le tout hyper épuré. C’est une chanson qui parle des gens qui passent dans nos vies, des gens qu’on perd un peu et des personnes qui manquent. Parfois on regarde en arrière en pensant à toutes ces personnes. Je trouve qu’on l’a bien réussi. J’ai aimé tout ce qu’on a fait pour cette chanson.

Et « Émotions », je l’adore. On l’a travaillée avec Mona, et j’ai l’impression qu’on avait envie de créer quelque chose de très simple. Quand on a commencé à bosser sur cette chanson, on s’est dit : « Allez, on fait un truc avec des fausses guitares ». La chanson s’est presque écrite toute seule, je pense qu’on a mis deux heures à la faire quasiment en entier. Et c’était surtout parce que ça faisait du bien de se replonger dans les influences qui m’avaient touché à l’adolescence, ce truc brut de parler de solitude, d’aller dans des parcs. Ça me parlait beaucoup de faire ce morceau. J’aime énormément comment il sonne.

Est-ce qu’il y a de nouvelles choses que tu as envie de raconter, de tester, d’explorer ? Où est-ce que tu as envie d’aller maintenant ?

Thx4Crying : Autour de l’album, j’ai fait quelques collaborations que j’ai hâte de continuer. J’ai vraiment envie de faire vivre cet album. Ça me fait du bien de savoir que j’ai posé ça dans mon parcours musical. J’ai l’impression qu’en faisant des EP (ce que j’aime beaucoup), c’est avant tout une période de recherche. J’aimerais prolonger la vie de cet album à travers les concerts. Mais en même temps, j’ai pas mal de nouvelles chansons que j’ai commencé à travailler. Je continue toujours un peu de musique sur mon ordinateur. Il y a de nouvelles choses que j’ai envie d’explorer et de partager, sous une forme un peu plus légère que ce que j’ai fait avec mes trois chansons.

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