COMÈTE : tout est dit, ou presque, dans le nom de baptême du nouvel EP tant attendu de THÉA. Savant hybride instinctivement punk aux pulsations rave et aux accents emocore, traversé de mélodies (ultra) pop, ces cinq titres sont à vif, tendus entre rage sourde et doutes existentiels.
Les textes de THÉA sont un exutoire, et dépeignent le chaos intérieur d’une jeune femme queer de 23 ans. En lutte avec ses démons, elle navigue entre la fuite en avant et un besoin viscéral d’émancipation — face aux normes oppressantes, aux politiques, et au spectre de l’effondrement climatique. THÉA incarne l’urgence d’une génération en cavale. Boule Noire sold-out en moins d’une heure, Maroquinerie en moins d’un jour, Cigale d’avril complète depuis novembre — portée par un premier single, « CAVALE ! CAVALE ! », sorti trois semaines plus tôt — et un Olympia déjà programmé pour avril 2026 : rien ne semble pouvoir freiner cette comète incandescente, bien décidée à embraser la scène musicale française.
Est-ce que tu peux commencer par me dire ce qui t’a amenée à faire de la musique ?
Théa : J’ai pas un souvenir précis. En fait, j’ai toujours voulu en faire. J’ai toujours voulu faire du bruit, chanter avant même de parler. J’ai commencé par la batterie à six ans, puis très vite j’ai découvert la musique sur ordinateur. Mais à un moment, ça a pris plus de sens de l’amener sur scène, surtout après le confinement. Y’avait une grosse envie collective de faire la fête. Moi, je voulais chanter mes morceaux en live, voir des gens. Et je le faisais aussi en soutien, au début, pour des assos. Du coup, j’y ai trouvé une vraie utilité : réunir du monde et faire des concerts.
Comment t’est venue l’envie de faire cet EP, et pourquoi l’avoir appelé Comète ?
Théa : Cet EP, je le vois comme une suite à « PANAME ŒSTROS POUBELLE ». Je voulais continuer cette histoire, aborder des thèmes que j’avais pas encore évoqués. Comète, à la base, c’est une réponse ironique. Dans un morceau qui s’appelle « ECHO », je dis : « Ce soir au bar, on me demandera si je suis une fille ou une comète. » C’est un peu une réponse à la question : « T’es un mec ou une meuf ? » Et ensuite, ça s’est développé.
Dans le morceau « FASTLIFE ! », je dis : « Je suis pas une fille, je suis une comète, de celles qui brillent le plus fort quand elles se crachent. » J’adore cette image, celle de la comète qui est belle parce qu’elle est vouée à se crasher. C’est là que j’imagine ma musique. Quand tout est sur un fil, au bord de la chute. C’est là que se passent les choses les plus belles, les plus vraies. C’est à cet endroit-là que j’ai voulu écrire.

Pendant combien de temps as-tu travaillé dessus ?
Théa : Il y a cinq morceaux, et il a mis quasiment un an à sortir. Il sort un peu plus d’un an après « PANAME ŒSTROS POUBELLE ». Je l’ai écrit en commençant à tourner, à m’entourer musicalement. Mais y’a aussi des bouts de choses qui viennent d’avant. C’est le fruit de plusieurs années, mais ça résume surtout l’année qui a suivi « PANAME ŒSTROS POUBELLE ».
Tu disais tout à l’heure que tu abordais des thèmes que tu n’avais pas encore traités. Lesquels, par exemple ?
Théa : Je parle beaucoup de mon adolescence, des difficultés que j’ai vécues. J’évoque les proches que j’ai vus à l’hôpital, ma consommation, celle des gens autour de moi. Et surtout ma solitude à cette époque. Je me suis autorisée à en parler frontalement. C’est pour ça que je raconte ce que je raconte. C’est ce qui fait que je suis qui je suis. Et ça explique un peu ma rage, je pense. Je pouvais l’aborder parce que j’étais dans un autre moment de ma vie. J’ai ouvert cette porte-là, je me suis dit : « Y’a un truc à explorer. »
Tu parlais du public tout à l’heure : il était incroyable. Qu’est-ce que ça te fait de voir cette communauté qui connaît tes sons par cœur ?
Théa : Franchement, ça me touche trop. Les gens sont là, ils se déplacent, ils connaissent tous les morceaux. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est de voir qu’ils se rencontrent entre eux. Les concerts deviennent des espaces où les gens aiment revenir, où certains viennent pour la première fois malgré l’anxiété, et repartent en disant que c’était cool. Ça me touche, parce que moi aussi, j’ai trouvé refuge dans la musique. Voir que ça arrive autour de ma musique, c’est fou. Et ça me dépasse. C’est là que c’est beau : quand ça va au-delà de mon histoire, de mes mots.
Est-ce qu’il y a un morceau de l’EP qui te touche plus que les autres ? Un petit chouchou ?
Théa : C’est compliqué, je les aime tous, c’est mes bébés. Peut-être « LHPTL », parce que j’y raconte un moment où tout bascule. C’est un instant où t’as les pompiers qui arrivent, t’es en chaussettes sur le palier, et ta vie peut changer en une seconde. C’est ultra banal, mais très fort. Tu peux te marrer sur une vanne absurde et te sentir coupable juste après. C’est cette banalité humaine que j’ai voulu raconter.
Tu dis souvent que tu te reconnais pas dans les normes. Comment tu te sens dans l’industrie musicale française ? Est-ce que tu te sens à ta place ?
Théa : Le paysage musical français est super créatif en ce moment. Les gens s’autorisent à dire des choses, et c’est trop beau. Mais moi, c’est particulier. Je dis dans un morceau : « J’ouvre un magasin de l’art. » Parce qu’en fait, on se livre dans nos morceaux, on met ça dans de l’art… et l’art existe dans une industrie. Donc forcément, y’a des conflits, des doutes. Mais j’en parle aussi dans mes sons. Je me sens à ma place quand je suis sur scène, avec les gens, quand on se réunit autour de ça. Mais c’est particulier. Et je pense que ces doutes sont sains.
Tu retravailles beaucoup tes textes ou tu écris plutôt sur l’impulsion ?
Théa : J’essaye de ne pas trop me poser de questions quand je crée. Je veux aller là où ça me fait peur, là où ça gratte. Après, certains textes me prennent très longtemps, mais ce que je préfère, c’est quand ça vient d’un coup, comme une évidence. Je repasse beaucoup après, je change un mot, une phrase, une intention dans un rec. Mais j’aime que la matière soit brute, fidèle à un moment. Trouver ce flot-là, c’est précieux.
Comment tu t’es retrouvée avec tous ces gens sur scène avec toi ?
Théa : Du hasard, beaucoup de hasard. Rok.wav et Dudu.wav, c’est des potes rappeurs toulousains. Le premier soir où on s’est vus, on a fait « Quoi d’neuf les voyous », un morceau qui était une blague à la base, et qui a bien marché. Ce sont mes amis, mais aussi des artistes que j’estime énormément. On s’échange nos morceaux, je fais des prods pour eux, on se donne des retours… Benoît Poher, le chanteur de Kyo, je l’ai rencontré en studio. Puis on a fait leur première partie à Toulouse. Il a capté le projet, il a été trop cool, je lui ai dit que j’avais une attache sentimentale au morceau « Le chemin ». Quand je lui ai proposé de venir le chanter sur scène avec moi à La Cigale, il a tout de suite accepté.
Tu joues dans des salles de plus en plus grandes. Comment tu le vis ?
Théa : Franchement, c’est un peu fou. On a fait La Cigale, le Transbordeur à Lyon… Les salles grossissent, l’énergie est là. Mais c’est souvent en voyant les vidéos après qu’on réalise et qu’on se dit : « C’est quoi ce bordel ? » Sur le moment, je suis ultra stressée. J’ai mal au ventre, j’ai envie de vomir. Mais dès que je monte sur scène, que les gens chantent, ça part.
Tu as déjà des idées pour la suite ?
Théa : J’aimerais bien explorer un format plus long, ou autre chose. Je fais beaucoup de sons, je veux voir ce qui ressort. J’ai envie de scène, d’événements, de moments avec les auditeurs, même sur Twitch… Mais surtout, j’ai envie de savoir quelles portes j’ai envie d’ouvrir, ce que je vais raconter après.
Tu te sens investie d’une responsabilité humaine ou politique ?
Théa : J’essaie de pas trop y penser. Mais ouais, t’as une responsabilité politique : tu dois te demander si ce que tu dis est ok, si ça fait plus de bien que de mal. Je veux pas être un exemple, mais je me pose ces questions-là. Je sais que des gens trouvent refuge dans ma musique, et j’en suis heureuse. Mais j’espère que ça existerait sans moi. Je me sens pas un symbole. Je me raconte, et je suis trop contente que les gens se retrouvent là-dedans. Mais j’ai pas de responsabilité envers eux. Seulement envers moi.
Est-ce qu’il y a un son en ce moment que tu aimes, et que tu voudrais partager ?
Théa : J’en ai plusieurs ! « Up in the Bay » de Changeline, qui a fait ma première partie à La Cigale. « J’ai rien promis à personne » de Bromaz, une frappe. C’est que des morceaux de fou.