À la UneART

Rencontre avec Romane Cattier : « La sexualité est une expérience hyper corporelle »

© Romane Cattier

Sur le papier ou le tissu, des corps s’étreignent, s’enlacent, s’aimantent, se répandent en liquide. Romane Cattier invente une nouvelle iconographie érotique. Rencontre.

Dans ses oeuvres, l’artiste Romane Cattier joue avec l’idée d’une image X. Elle suspend les codes pornographiques en creusant du côté du cellulaire, du musculaire, du biologique. Faire l’amour fait alors advenir des corps multiples, tentaculaires, hybrides. Les frontières se brouillent. Les muqueuses s’étoilent. La cyprine s’arabesque. Les temporalités s’étagent dans une même image. Ses dessins et peintures montrent des corps vus au-dedans – palpitants, parcellaires, dilatés, tendus, aberrants. Parfois, la toile devient le drap ou la nappe sur lesquels ces êtres se caressent ; des effluves colorées traversent l’espace.

Vue de l’exposition Pinceaux trempés dans la Garonne / installation Romane Cattier © Franck Alix

Quel a été ton premier choc esthétique ?

Le point de départ de tout mon intérêt pour la représentation visuelle de la sexualité remonte à ma période Tumblr. J’avais treize ans et j’étais à la recherche de représentation lesbienne car j’ai compris assez tôt que je l’étais. Je suis tombée sur les débuts de VexTape qui faisait des films pornographiques hyper-esthétisés avec de la musique. C’était plus post-porn que pornographique d’ailleurs. C’était incroyable de voir ça.

Comment es-tu progressivement venue au dessin et à la peinture ? 

J’ai dessiné depuis petite sans jamais prendre de cours. Au collège, je faisais un peu des BD érotiques mais c’était mes fantasmes à moi. Les études d’art n’étaient pas une option. Je suis partie en étude de biologie mais ce que je préférais dans ces études c’était faire les croquis et les dessins. Je me suis vite rendu compte, en prépa véto, que ça n’était pas moi et j’ai abandonné. 

Mon frère, qui est entré en prépa artistique, a ouvert une porte et je suis passée derrière la porte déjà enfoncée. J’ai fait une prépa à Bayonne durant laquelle je me suis remise au dessin. Les observations microscopiques revenaient beaucoup. J’avais une démarche scientifique. Dans mes carnets, j’expérimentais des textures et des traits. J’essayais tous les jours d’imaginer une nouvelle façon de dessiner. Ensuite, j’incorporais tous ces éléments dans une composition.

Paysage n°1– Crayons et aquarelle sur papier canson, format A3, 2018 © Romane Cattier

 Après, je suis entrée aux Beaux-Arts de Toulouse. J’ai eu le DNA en 2022 puis j’ai arrêté pendant quelques temps. J’ai fait une pause dans ma création et je me suis concentrée sur mon autre passion, le tatouage. Je crée des motifs en autodidacte. 

C’est vraiment depuis cet été que j’ai repris le dessin et la peinture. Au moment où cette impulsion m’a reprise, j’ai été recontactée pour participer à l’exposition Pinceaux trempés dans la Garonne qui a eu lieu en février 2025 aux Palais des arts à Toulouse, organisée par Simon Bergala (ndlr : artiste, enseignant à l’isdaT et commissaire de l’exposition). Les étoiles étaient alignées. 

Comment s’est fait le choix des œuvres présentées dans l’exposition ? 

Simon m’a demandé si on pouvait exposer trois de mes dessins. C’est la première fois que je les montrais en dehors du diplôme. On se suit aussi sur Instagram et il avait vu mes dernières peintures. Il voulait qu’il y en ait une dans l’exposition. 

Quelle différence éprouves-tu à la pratique de ces deux techniques ?

Le dessin est très intuitif et facile. C’est vraiment mon moyen d’expression favori. J’ai d’abord beaucoup dessiné mais j’avais du mal avec la peinture. Je n’ai jamais eu de technicité et donc je ne me sens pas hyper légitime. Mes profs me disaient qu’on voyait que je souffrais quand je peignais.

Mais, j’ai eu envie de sortir du dessin expérimental et de retrouver la peinture. Je voulais revenir à la représentation de l’intimité mais en le faisant à l’échelle 1, comme en étant face à des corps. J’ai commencé à faire des scènes sexuelles lesbiennes aux pastels mais c’était juste deux corps ensemble. J’avais montré ça à mon prof qui m’a dit : « mais vous êtes partie pour faire un kamasoutra ». J’ai déchiré mes grands formats, ce n’était pas du tout ce que je voulais faire. À partir de là, j’ai réfléchi à comment représenter la sexualité sans être à visée pédagogique. 

À quel moment as-tu trouvé l’idée d’intégrer de nouveaux supports ?

Quelques jours avant d’être confinée, j’ai acheté une bâche et des draps à un euro pièce en me disant que ça me ferait du tissu pour peindre. Je les ai étendus au mur et j’ai peint directement dessus en les redécoupant au format de la peinture. 

Plus tard, je me suis rendue compte que je peignais des draps et des scènes sexuelles sur des draps. J’ai réalisé qu’il fallait que je conserve l’objet en tant que tel car la forme faisait partie du fond et inversement. J’ai ensuite peint les draps recto/verso pour pouvoir les exposer en laissant la peinture visible des deux côtés. 

Peindre sur du grand format n’est vraiment pas pareil que de dessiner un petit format assise à un bureau. Quand je peins, il y a une frontalité avec ce que je représente. C’est très intime et je me sens un peu vulnérable. Je fais donc attention à ce que je montre et comment je le montre. 

Tu représentes des corps qui font l’amour, se mélangent, se reconfigurent.

J’aime bien morceler les corps. Il y a des frontières entre le dos, les seins, les fesses. Je joue aussi avec les frontières entre le genre, le sexe, l’activité et la passivité des personnages. Je ne montre pas, comme dans le porno mainstream, une personne passive – en général une femme cis – et une personne active – un homme cis. On peut imaginer plusieurs corps et plusieurs temporalités. 

Peinture acrylique sur tissu, diamètre 160cm, novembre 2024 © Romane Cattier

J’aime jouer avec les personnages et ne plus savoir qui a commencé quoi et à quel moment et ne pas forcément fermer les contours des corps pour les laisser ouverts vers le tissu du fond. Je joue aussi avec l’intérieur et l’extérieur. Sur les conseils de Simon, j’ai apporté de la multiplicité, de la superposition et du mouvement dans ma peinture. 

Il y a parfois quelque chose de contre-intuitif et de déstabilisant.  

C’est ce que j’ai ressenti en lisant Le Corps lesbien de Monique Wittig justement. Il y a des passages où l’on dirait que c’est une dissection et ça parait hyper violent et, en fait, c’est hyper doux. C’est de l’amour exprimé complètement différemment des textes traditionnels. C’est expérimental mais ça m’a vraiment touchée. C’est le plus beau texte d’amour que j’ai lu alors que ça n’emploie pas du tout les représentations standardisées. 

Tu réalises une série de dessins en regard du texte de Monique Wittig. Quand est-ce que ce texte est arrivé dans ta vie ? Comment as-tu pensé ces dessins ?

C’est une ex-partenaire qui me l’a offert pour mon anniversaire en 2021. En le lisant, tout de suite des images me venaient et résonnaient avec des choses qui m’animaient. Ça a été un peu une révélation. J’avais envie de dessiner tout ce que je lisais dans ce livre. C’était nécessaire que le texte reste avec le dessin parce qu’il était tout aussi important. Il y a également un travail d’écriture et de narration dans mon dessin sans pour autant qu’il y ait un sens unique de lecture. Les dessins peuvent se lire dans tous les sens ; à l’envers ou à 90° à droite ou à gauche. 

Page 17, Monique Wittig, Le corps lesbien / Crayons gris et crayons de couleurs, format A4 © Romane Cattier

Tu questionnes nos représentations et tu fais attention – il me semble – à la question du traumatisme. En ramenant de la douceur, tu ne dissimules pas la désorganisation inhérente à la sexualité. 

Je n’ai pas envie d’idéaliser la sexualité. Je crois que c’est judicieux de parler du traumatisme parce que la violence y est toujours présente et je ne veux pas l’occulter. C’est intrusif, même si ça se passe bien. La sexualité est violente car elle rappelle la mort, la chair et notre corps qui, lui, est le véhicule de toutes nos émotions et de l’amour. Je crois que c’est ça qui me plaît. C’est une expérience hyper corporelle. Il n’y a pas beaucoup d’expériences qui le sont autant. 

Je pense au film Crash de David Cronenberg qui parle d’érotisme, de vie, de mort et du fait que l’on va toujours plus loin pour essayer de se sentir encore plus vivant. Ce film utilise d’autres codes pour parler d’érotisme ce qui m’a laissé une sensation très étrange. La personne avec qui je l’ai vu m’a conseillé de lire L’érotisme de Georges Bataille qui explique que tout être vivant est discontinu et que, par l’érotisme, on cherche à retrouver cette continuité du début de la division cellulaire.

Dans mes dessins, il y a quelque chose de sombre alors que dans mes peintures, il me semble que j’ai envie de montrer une sexualité épanouissante et exaltante, avec des couleurs partout. C’est le même langage mais il n’y a pas la même intention. 

Tu m’as fait oublier que j’existais – Peinture acrylique sur toile, 40x50cm, janvier 2025 © Romane Cattier
La couleur n’est-elle pas ce qui ramène une part de joie ?

Si, complètement. J’essaie toujours de choisir des couleurs dans des tons pastel. Quand je peins je pose une première couleur et une première forme. C’est vraiment comme un puzzle que je forme et, le choix des couleurs se fait en fonction de celles que j’ai posé avant. 

Y a-t-il des œuvres marquantes pour toi  ?

J’adore les films de Barbara Hammer. Son film Sanctus m’a beaucoup inspirée pour les peintures. C’est une radiographie d’une femme en mouvement. On voit tout l’intérieur de son corps.

L’artiste est à retrouver sur Instagram (@romane.cattier) 

You may also like

More in À la Une