MUSIQUERencontres

Rencontre avec Lola Sauvageot :« J’ai toujours navigué entre les formes : écriture, cinéma… Mais je revenais toujours à la musique. »

Lola Sauvageot by Charlotte Romer
Lola Sauvageot by Charlotte Romer

Avec L’AnimaleLola Sauvageot signe un premier EP habité. Autrice-compositrice-interprète née à Paris, formée entre Strasbourg et Montréal, installée aujourd’hui au Havre, cette touche-à-tout (musique, arts visuels, écriture) livre un disque dense, sauvage et viscéral.

Cinq titres taillés dans la matière vive, qui conjuguent la rage sourde du rock indé, la mélancolie pop, et la limpidité d’un français qu’on entend trop rarement porté à cette intensité. Lola écrit comme on cherche à comprendre, guitare en main. Un disque pensé dans sa globalité – visuelle, sonore, narrative – comme un manifeste intime. Rencontre avec une artiste discrète mais lucide, qui avance sans faire de bruit… mais qui ne laisse pas indifférent.

Bonjour Lola Sauvageot, est-ce que tu peux commencer par te présenter succinctement ?

Lola Sauvageot : Alors, je suis chanteuse, autrice, compositrice, interprète et guitariste pour mon projet solo qui porte mon nom. Je fais de la chanson à texte, avec des influences rock, pop, un peu vénère en live, presque shoegaze, psychédélique. Je viens de Paris à la base, mais j’habite au Havre.

Et Sauvageot, c’est ton vrai nom ?

Lola Sauvageot : Oui (rires). Souvent, on me demande si c’est mon nom de scène, Lola Sauvageot, mais c’est mon nom, et le prénom que mes parents m’ont donné.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de la musique ?

Lola Sauvageot  : J’ai quand même des parents super mélomanes. On a toujours écouté beaucoup de musique chez moi, c’était vraiment une ambiance musicale constante. Quand j’étais petite, je chantais tout le temps avec mes deux grand-mères, et aussi avec ma mère. J’ai commencé la guitare à 12 ans, et assez rapidement, j’ai commencé à écrire des chansons.

En fait, je voulais un instrument pour m’accompagner et chanter. C’était vraiment le fait de chanter qui me faisait vibrer, et d’écrire des textes aussi. Ça fait depuis que j’ai 12 ans que je fais vraiment de la musique, avec la guitare et la voix. J’ai aussi fait du violon quand j’avais 7 ans, au conservatoire, et je faisais de la chorale, c’était vraiment le seul truc que j’aimais là-bas ! Et puis après, mon projet a évolué, encore et encore.

Est-ce que tu gardes des souvenirs marquants, justement, de quand tu faisais de la musique enfant ou adolescente ?

Lola Sauvageot  : Très vite, je me suis retrouvée à monter sur scène toute seule, ce qui me semble un peu bizarre quand j’y repense aujourd’hui. J’avais 13 ans. Je me souviens que mon collège organisait des scènes ouvertes auxquelles on pouvait s’inscrire. J’étais en quatrième la première fois, je suis arrivée avec ma guitare toute seule et j’ai chanté une chanson de Bob Dylan. Ça, c’est un souvenir marquant. Aujourd’hui, je me demande pourquoi je me suis retrouvée dans cette situation, et avec du recul, je trouve ça un peu étrange.

Ça demande un peu de courage, mais je crois que j’ai fait ça comme ça, sans trop réfléchir. C’est d’ailleurs un peu comme ça que j’ai fonctionné jusqu’à la vingtaine, début vingtaine. Au lycée, j’avais un groupe de rock, on faisait des concerts à Paris, on avait joué au Bateau Phare à l’époque. J’en garde des souvenirs super cools. Puis à un moment, j’ai un peu arrêté, parce que j’ai commencé à avoir un peu peur. J’aimais moins ça. Je me disais : « C’est fou, de réussir à être assez à l’aise pour monter sur scène ».

Tu as un parcours riche :  lettres, cinéma, art plastique, théâtre… Comment est-ce que ces disciplines nourrissent ta musique ?

Lola Sauvageot  : Tout ça m’a finalement menée à la musique. Je cherchais quel était mon vrai moyen d’expression, ce qui me faisait vraiment vibrer. J’ai toujours navigué entre différentes formes : écriture, cinéma… Mais à chaque fois, je revenais à la musique. Quand j’étais en école d’art, ce qui liait tout mon travail, qu’il soit en vidéo, en installation ou en performance, c’était toujours le chant, la musique.

Aujourd’hui, je suis arrivée à la musique parce que ces différents médiums m’ont nourrie. Pour faire des clips, j’ai puisé dans le cinéma. Pour écrire, mes études de lettres et mon rapport à la langue, à la littérature, à la poésie. Et pour l’esthétique, mes études d’art m’ont vraiment guidée.

Tu cites parfois des artistes comme Courtney Barnett, Julia Jacklin, François and the Atlas Mountain, pour parler d’artistes que tu aimes. Qu’est-ce qui t’attire chez ces personnes-là ?

Lola Sauvageot : Au départ, je me suis vite rendu compte que j’écoutais principalement des chanteuses. Les voix féminines me touchent davantage. J’ai naturellement tendance à me tourner vers des voix de femmes, même dans le rock. Courtney Barnett et Julia Jacklin, par exemple, ont été des découvertes marquantes. Elles m’ont montré qu’on peut avoir une voix douce, chanter des choses très sincères, très délicates, très belles, tout en faisant du rock bien énervé, avec de grosses guitares. C’est exactement ce que je cherchais : ce contraste entre douceur et intensité. Parce que moi, j’ai une voix qui n’est pas typiquement rock, elle est plutôt douce, un peu comme celle de Julia Jacklin.

Pour François and the Atlas Mountains, je crois que ce sont surtout ses textes qui me touchent. Et puis, il y a aussi Halo Maud. Elle a joué dans Moodoïd avant de lancer son projet solo. J’ai tout de suite accroché, parce que c’est l’une des premières artistes que j’ai écoutées à écrire à la fois en français et en anglais, dans une musique pourtant très anglophone, très anglo-saxonne. Un mélange assez rock, pop… je ne saurais pas trop comment définir ça, mais en tout cas, ça a été une découverte vraiment importante pour moi. Je me suis dit : « Ah ouais, le français peut vraiment sonner super bien dans ce style-là », et c’était dans un univers musical qui me parle, ou en tout cas, vers lequel j’ai envie d’aller.

Et Janis Joplin par exemple, elle ne fait pas partie de tes influences ? 

Lola Sauvageot : (rires) Ah si, quand j’étais ado, j’écoutais Janis Joplin en boucle. Mais bon, vocalement, elle est quand même assez éloignée de moi, tu vois. Cela dit, j’ai vraiment plongé dans tout ce qui se faisait dans les années 60. À un moment, j’étais complètement obsédée par Janis Joplin, Bonnie Raitt, Joni Mitchell… toute cette génération-là.

Et tu as longtemps chanté en anglais avant de passer au français. Qu’est-ce qui s’est-il passé ?

Lola Sauvageot : À un moment, je ne me sentais plus vraiment légitime de chanter dans une langue qui n’était pas la mienne. Et puis, je commençais à m’ennuyer un peu. J’avais l’impression d’écrire toujours les mêmes choses. Le français représentait un vrai défi pour moi, mais justement, ça m’attirait énormément. J’avais envie de voir ce que ça donnerait, tout en restant fidèle à ce que je suis.
Alors je me suis dit : il faut tenter, sinon je vais finir par me lasser d’écrire des chansons. Et franchement, ça s’est plutôt bien passé. Par mimétisme, j’ai intégré plein d’influences issues de ce que j’écoutais.
C’est vrai qu’écrire en anglais, ça permet de garder une certaine distance. On se livre un peu moins. Il y a comme une barrière. Mais aujourd’hui, je ne pourrais plus revenir en arrière.

Cover EP L’animale – Lola Sauvageot

Passons à ton EP L’animale, le vif du sujet. Est-ce que tu peux nous raconter la genèse de ce projet-là ?

Lola Sauvageot : Ce sont les premiers morceaux que j’ai écrits en français, avant même de commencer à enregistrer. Plein de tubes, tu vois (rires). J’ai rencontré un musicien il y a quatre ans, on est tout de suite devenus super potes. On s’est dit : « Allez, on fait un truc ensemble ». Je lui ai fait écouter un morceau que j’avais écrit, il a adoré, et on a commencé à bosser dessus. On a arrangé l’EP ensemble, fait plein de maquettes… Ça a pris quatre ans de travail. C’est un projet très personnel, avec mes premiers textes en français, qui raconte un moment un peu particulier, marqué par le début du Covid. Mais quand les morceaux sont sortis, les textes ne résonnaient plus tout à fait de la même manière. Et aujourd’hui, en les réécoutant, je leur trouve un autre sens.

C’est aussi le premier projet où j’ai pu travailler dans un vrai cadre pro, aller jusqu’au bout des morceaux avec tous les arrangements. C’était la première fois que j’allais aussi loin dans la construction de ma musique. Et le fait de pouvoir les jouer en live, ça fait complètement partie de l’expérience. C’était vraiment une première fois pour moi à plein de niveaux.
Mais je ne veux surtout pas que les gens pensent que cet EP parle du confinement ! Par exemple, « Le Lion et moi », c’est une chanson que j’avais d’abord écrite en anglais, bien avant le Covid. Elle raconte une histoire qui n’a rien à voir avec cette période. C’est pendant le confinement que j’ai eu l’idée de la réécrire en français, seule, chez moi, en mode maquette. Et c’est un peu comme ça que l’envie d’écrire dans ma langue est née.

Et comment as-tu pensé l’ordre des chansons dans l’EP ?

Lola Sauvageot : Bonne question. « La Vague » est le premier morceau qu’on a sorti, donc c’est aussi le premier titre de l’EP. C’est un morceau un peu à part, moins pop, avec une certaine tension. Le refrain est court, il revient seulement deux fois. Il y a des contrastes, mais l’ensemble reste assez linéaire et plutôt rock.
Je dirais que c’est l’un des morceaux où l’influence de Courtney Barnett est la plus présente. C’est un titre un peu brut, sans fioritures — du « pas trop de chichi », comme j’aime bien dire. Il introduit bien mon univers. Ensuite, il y a des morceaux comme « La Mer Imaginaire », plus pop, qui viennent apporter une autre couleur. Et puis « L’Animale », un titre assez fort. En fait, l’EP suit une sorte de dynamique : une montée, puis une redescente en tension, tout au long du projet.

Donc tu as pensé l’EP comme un mouvement ?

Lola Sauvageot : Oui, exactement. C’est toujours une histoire de contrastes. Je ne sais pas vraiment pourquoi je fais ça, mais ça revient tout le temps. Même en live, c’est comme ça : il y a cette montée, cette descente, ce mouvement constant. C’est presque instinctif, j’ai besoin de ce rythme-là.

Tu as développé un univers visuel pour ton EP, très travaillé. Peux-tu me parler de la manière dont tu as pensé l’esthétique graphique de ton projet ?

Lola Sauvageot : Ça s’est fait assez naturellement. Je suis simplement allée vers des choses qui me plaisaient.
Les photos et les clips ont été réalisés avec Gabriel Sauvageot, mon frère. Il fait de la photo, et comme on partage les mêmes références esthétiques, tout s’est fait de façon très fluide. On aime les mêmes ambiances, les mêmes textures visuelles.
Je dirais qu’il y a une esthétique de « beaux cadres », mais en même temps, c’est très émotionnel. C’est un mélange de réflexion et de ressenti, c’est un peu difficile à expliquer… mais ça me ressemble. Par exemple, le clip de « La Vague » est en format carré, un format un peu vintage que j’aime beaucoup. Quand je faisais du cinéma, j’adorais ce type de cadrage. Il y a un vrai côté rétro dans tout ça, que j’assume complètement.

C’est vrai que la couleur dans ton univers visuel est aussi très présente. Comment l’as-tu abordée ?

Lola Sauvageot  : Oui, mon univers est devenu plus lumineux. Avant, j’étais dans quelque chose de beaucoup plus sombre, où presque tout était en noir, mais aujourd’hui, j’ai envie d’y ajouter de la couleur. Le Havre, la ville d’où je viens, est une ville très lumineuse, avec énormément de bleu — cette lumière-là, j’avais envie de l’intégrer dans mon travail.
La couleur, c’est quelque chose qui peut faire un peu peur au début, mais en école d’art, on apprend justement à l’apprivoiser. Et maintenant, j’ai envie d’en jouer davantage.

Lola Sauvageot – Le Lion et Moi

Est-ce que tu accordes une importance particulière à l’énergie scénique de ton projet ?

Lola Sauvageot : Oui, carrément, mais c’est encore un travail en cours. Plus on joue, plus je suis à l’aise, et plus je trouve comment canaliser cette énergie sur scène. Le live apporte une nouvelle dimension à l’EP : il y a plus de rock, plus d’énergie.

Et pour le théâtre et la performance, que tu as étudiés après Montréal, tu en gardes quelque chose ?

Lola Sauvageot  : Oui, en fait, avant, je faisais du théâtre et de la performance parce que j’avais trop peur de monter sur scène. Il y a eu une période, dans ma vingtaine, où je n’arrivais plus à chanter en public, ça me mettait vraiment trop mal à l’aise. Et puis je me suis dit : « Ok, t’as peur, mais si tu veux vraiment faire ça, il faut franchir le pas ». Alors, j’ai essayé, dans un autre pays, avec des gens que je ne connaissais pas, dans une autre formation. Ça m’a énormément aidée.

C’est intéressant parce qu’avant de partir à Montréal, mon école d’art avait été un peu dure avec moi. Je me souviens que le jury de mon diplôme m’avait dit que je ne prenais pas assez de risques, que je n’étais pas assez courageuse. Et ça m’avait vraiment touchée, ça m’a fait douter. Mais en même temps, ça m’a poussée à vouloir faire les choses à fond, à oser prendre des risques.

Et tu te vois aller où ensuite, au niveau musical ?

Lola Sauvageot  : Déjà, j’aimerais bien enregistrer un album. On a plein de nouveaux morceaux avec le groupe, grâce à toutes les scènes qu’on a faites. J’ai vraiment envie de continuer à créer, à me professionnaliser, et, bien sûr, à vivre de ma musique.

You may also like

More in MUSIQUE