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Rencontre avec Adèle Cassigneul : « Compliquer c’est enrichir notre regard sur l’œuvre de Virginia Woolf »

© Adèle Cassigneul par Vincent Cassigneul
Adèle Cassigneul © Vincent Cassigneul

Après les portraits, entre autres, de Joséphine Baker ou Guy Debord, la collection Icônes des éditions Les Pérégrines s’enrichit d’un nouvel essai sur Virginia Woolf. L’occasion pour la chercheuse et autrice Adèle Cassigneul de questionner ce statut ambivalent d’icône.

Virginia Woolf est devenue bien malgré elle une icône : portraits et citations d’elle sont déclinés ad nauseam en porte-clés, marque-pages et affiches. Agrégée d’anglais et docteure en littéraire anglaise du 20ème siècle, Adèle Cassigneul nous enjoint à « reprendre le texte woolfien de l’intérieur ». Celle qui se définit comme une chercheuse féministe contourne l’exercice biographique dans son essai Woolf en réfléchissant avant tout aux textes de l’autrice ainsi qu’aux conditions matérielles dans lesquels ceux-ci ont été créés.

Si vous deviez convaincre quelqu’un·e de lire Virginia Woolf, que lui diriez-vous ?

Je lui demanderai ce qu’iel aime lire afin de cibler au mieux au sein de l’immense diversité des écrits woolfiens – fiction ou non fiction, romans traditionnels ou expérimentaux, nouvelles, essais féministes ou essais littéraires, vraie ou fausse biographie, les journaux, la correspondance ou les mémoires, la gazette d’enfance ou les histoires pour enfants, etc. La force de l’écriture woolfienne c’est sa pluralité, sa fluidité, son incessante remise en question pour explorer les multiples manières dont nous tentons de rester vivant·es. Nous avons besoin de la lire pour comprendre comment nous existons en rapport à soi, aux autres, et au monde, à la poétique et politique, sans cesse renouvelé.

Vous souvenez-vous de votre première lecture d’un livre de Virginia Woolf ?

Assez classiquement, j’ai lu Mrs Dalloway pour préparer un cours de licence sur La Promenade au phare. Le lisant, j’avais l’impression de voir un film et ça a lancé tout un cycle de recherche, de master puis de thèse, autour de Woolf et de son rapport aux images, notamment photographiques et cinématographiques.

Au début de l’essai, vous invitez les lecteurices à oublier tout ce que l’on croit connaitre de Virginia Woolf « pour mieux la lire ». Comment y parvenez-vous après tant d’années à lui consacrer votre travail ?

Ce sont les travaux de mes consœurs universitaires et les textes de celleux qui la lisent et la prolongent, la réécrivent, qui chaque fois me permettent d’oublier mes présupposés pour lire Woolf les yeux ouverts et ne pas la figer dans des lectures univoques qui ne sont finalement que la marque de mes limitations.

Le livre s’inscrit dans la collection « icônes » chez Pérégrines mais vous vous appliquez à questionner l’icône qu’est devenu Virginia Woolf tout au long de votre essai. Vous commencez par énoncer un impératif : « Biographer, non ». Votre démarche consiste plutôt à « compliquer Woolf ». Compliquer c’est enrichir ?

Je tiens cette expression de «  Notes on Bristling  », un article accessible en ligne de la chercheuse féministe nord-américaine Erica G. Delsandro. Compliquer c’est d’abord poser des questions là où on pense qu’il y a des certitudes et des évidences. Compliquer c’est pluraliser afin de rendre les textes à ce qu’ils sont  : sans cesse relancés par la lecture. Compliquer c’est faire vivre les savoirs constitués par la recherche universitaire et les transmettre. Compliquer c’est aussi envisager les limites ou les impensés que les textes woolfiens nous lèguent et assumer un travail critique qui n’est jamais aisé. Compliquer c’est enrichir notre regard sur l’œuvre de Virginia Woolf.

Vous vous amusez beaucoup avec la forme dans cet essai : vous jouez avec la plasticité du langage, avec la mise en page etc. Vous nommez Virginia Woolf « VW », pourquoi ?

« VW » sont les initiales, une signature, que Woolf inscrit sous les photos de ses albums personnels où elle figure. C’est aussi le signe de la manière dont on peut s’approprier la figure woolfienne, en faire un sigle, en l’iconisant, en la réifiant, en la désubstantialisant. C’est enfin une abréviation trouvée  au début de l’écriture  : une manière pratique de ne pas répéter « Virginia Woolf » tout au long du livre.

À quel·le lecteurice pensiez vous en écrivant ce livre ? À qui vous adressez-vous ?

Pendant l’écriture, je ne pensais à personne en particulier. Le livre s’est écrit au fil de ce que mes recherches me révélaient. Maintenant qu’il est sorti, j’ai des retours de tous types de lecteurices  : des spécialistes de Woolf, des libraires, des amatrices de Woolf ou des personnes qui découvrent l’autrice et cherchent à rentrer dans son œuvre. Mon livre s’adresse à toustes.

C’est important d’« upcycler » les auteurices ? De les actualiser sans cesse et de les lire avec les lunettes d’aujourd’hui ?

Relire un texte du passé c’est forcément lui donner une nouvelle vie à travers son regard et se situer par rapport à lui. Il est important de relire afin de découvrir ce que les textes ont à nous transmettre qui nous permet de mieux cerner et réfléchir le monde dans lequel nous vivons.

Vous lisez Woolf par « l’oblique » pour « tisser des conversations secrètes » : avec Monique Wittig, bell hooks, Una Marson mais aussi Sina Queyras ou Pamela Mordecai. Cela permet de lire à l’infini ?

Dans son avant-note à la Passion de Djuna Barnes, Monique Wittig affirme  : « Tout écrivain minoritaire (qui a conscience de l’être) entre dans la littérature à l’oblique ». C’est exactement le projet woolfien  : Woolf biaise pour s’aménager une place dans le langage. Et la lire en constellation me permet d’« infinilire », oui, pour reprendre le mot d’Hélène Cixous.

À la fin du livre vous parlez de « chantier critique littéraire florissant inachevé ». Y a t-il des nouvelles pistes, des nouvelles idées ou découvertes qui ont surgies depuis la publication du livre ?

Ce livre est inachevé  : il y a des chapitres que je n’ai pas pu écrire par manque de temps et parce que je ne trouvais pas le biais pour les aborder. Depuis, à la faveur de rencontres et de discussions, j’ai trouvé deux clefs manquantes qui vont me permettre d’articuler deux parties qui étaient tombées d’elles-mêmes  : une sur Orlando et une autre sur l’enfance.

Woolf d’Adèle Cassigneul, éditions Les Pérégrines, 240 p., 16€50

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