Roman graphique muet, Les apprenties est un livre-rage, un livre-sauvetage, un livre-qui-s’invente. Zoé Jusseret dit la puissance de deux femmes révoltées dans un monde peuplé de créatures-outils, d’animaux et d’esprits.
« On pourrait se laisser avoir, s’imaginer entrer dans un album jeunesse aux couleurs pastels (…) mais très vite, le trait se désinhibe, l’image sort de son corset et se rebelle en même temps que les jeunes filles » écrit Marion Fayolle à propos des Apprenties. Autrice et illustratrice, Zoé Jusseret a fait les Beaux-Arts de Marche-en-Famenne puis est entré à l’ESA Saint-Luc Bruxelles à Bruxelles, avant d’être publiée aux éditions Fremok.
Ses romans graphiques sont réalisés avec pour contrainte de faire émerger un récit sans recourir ni au dialogue ni au texte. Son premier livre, Qui mange des couteaux (2016), a reçu le prix Artémisia. Elle fait paraître ce printemps son second ouvrage. Les Apprenties sont deux héroïnes féministes – apprenties vivantes – qui découvrent la mort, l’amitié, l’entraide, la modification physique et la possibilité de la puissance de celui-ci.

© Zoé Jusseret
Inquiétante familiarité
Macabre et initiatique, une narration jaillit de l’enchaînement de ces images. Petites, les apprenties quittent une plaine recouverte d’une forêt de poteaux électriques. Elles font face à la mort, emportent les ossements d’un squelette dans leur baluchon. Elles rencontrent un peuple d’hommes-machines soumis à un productivisme forcené. Ces derniers creusent, défont la terre, modifient les sols sans but apparent. Ils s’organisent selon une hiérarchie qui place les créatures-fourches au service des hommes-bêches. Puis, elles trouvent une petite maison dans laquelle résident deux femmes âgées. Au travers de l’apprentissage de rituels, elles se modifient et se libèrent des attributs d’une féminité bridée.
Avec la technique du monotype, elle réalise des planches très détaillées. En dessinant sur une feuille apposée sur une plaque recouverte de peinture, un trait s’imprime en négatif. Le recours au collage permet de créer des effets de superpositions, des traits clairs délimitent les contours des personnages qui contrastent avec des masses plus texturées.

Imprimé en quadrichromie, ce livre silencieux ne se réduit pas à son esthétisme. Une colère gronde qui agite les lignes, brouille parfois les contours et donne le pouls d’un désir d’égalité. Les images sont brutes entre douceur et férocité. Parfois salies, les traits dépassent, les coulures restent. Entre récit de formation, film de revenants, conte ou thriller, Les apprenties livre un univers pluriel dans lequel ces deux filles peuvent se nourrir, grandir, s’armer. Mutantes, elles se modifient à mesure qu’elles avancent. Elles apprennent à prendre soin l’une de l’autre mais aussi des autres, du souvenir.
Les apprenties de Zoe Jusseret, éditions Fremok, 128p., 27euros.