CINÉMA

« Her Story » – Osons la sororité

Her Story © les Films du Camélia
Her Story © Les Films du Camélia

Sorti en novembre dernier en Chine, le nouveau film de la cinéaste Shao Yihui réalise un petit exploit depuis sa sortie : se hisser en tête du box-office chinois. Avec son trio féminin génial, ce récit intimiste nous interroge collectivement sur notre rapport à la sororité dans une Chine contemporaine marquée, comme une grande partie du reste du globe, par le patriarcat.

Les deux longs métrages précédents de la réalisatrice Shao Yihui, Youth Never Returns (2015) et O pour occupé (2021), narraient déjà les rapports humains en se concentrant sur le sentiment amoureux. Si la cinéaste quittait la fresque pour passer à un récit contemporain avec O pour occupé, elle demeure dans le présent en proposant en 2024 une chronique féministe centrée sur un trio féminin intergénérationnel.

Le film suit Wang Tiemei, une mère fraîchement célibataire, et sa jeune fille, Molly, qui s’installent dans un nouveau quartier. Mais, durant cette tentative de renouveau épuisante, Wang Tiemei fait la connaissance de sa voisine, Xiao Ye. Au sein de cette petite famille, celle-ci finit par trouver sa place.

Her Story © Les Films du Camélia
Her Story © Les Films du Camélia

La sororité innée

Les récits sur l’amitié féminine ne manquent pas dans le cinéma. La particularité de Her Story réside toutefois dans la construction des relations entre ses personnages féminins. Évitant de les lier par un évènement traumatique, ou encore par le traditionnel schéma scénaristique de « rivales à amies », Shao Yihui propose une vision moderne et simplifiée de la sororité : celle-ci est innée. Un postulat audacieux avancé par le film, mais qui ne se confirme pas pleinement dans le réel. En effet, l’érosion de mouvements d’extrême droite se revendiquant féministes et niant la dignité des femmes trans, entre autres, ainsi que l’actuel backlash politique et légale qui en découle aux États-Unis, mais aussi ici, en France, forment de bons exemples. Et ceux-ci confirment que dans les faits, la sororité est un travail collectif. On peut toutefois saluer le film qui, par la fiction, met en scène un idéal à atteindre.

L’une des héroïnes, Wang Tiemei, est la responsable éditoriale d’un média. Il est notable de voir que la cinéaste ne confère pas à son personnage une image autoritaire, notamment à l’égard de ses autres collègues féminines. Non, la sororité, plutôt pensée comme une entraide élémentaire qu’un engagement militant, intervient aussi dans la sphère publique. Les dialogues s’amusent à plusieurs reprises à déjouer nos attendus narratifs. Par exemple, lorsque Wang Tiemei aperçoit la tenue de l’une de ses collègues, celle-ci feint la réprobation, avant de lui demander le nom de la boutique.

Her Story © Les Films du Camélia
Her Story © Les Films du Camélia

Débarbouiller le quotidien

En plus de ses relations tissées intelligemment dans le cadre du travail, la sphère privée est également réinventée. Si Wang Tiemei croule sous les responsabilités, sa vie ne part pas non plus en vrille et se maintient, dans un premier temps dans le cadre rassurant des habitudes, puis dans la stimulation engendrée par les nouvelles rencontres.

Par ailleurs, Xiao Ye et Wang Tiemei ont en commun d’exercer des métiers liés à la narration. L’une est dans le journalisme, la seconde est monteuse et mixeuse son. Comme une allégorie du renouveau scénaristique proposé par Her Story, les métiers des héroïnes interviennent et proposent un nouveau regard sur les actions du quotidien. Une très belle scène entre la jeune Molly et Xiao Ye le démontre. Lorsque Molly découvre le métier de Xiao Ye, les montages images et sonores viennent décupler le champ des interprétations du quotidien. En effet, à mesure que la petite fille décrit les bruits mixés, en mentionnant, entre autres, une « grosse pluie », ou une tornade, le montage fait finalement succéder des plans de Wang Tiemei en train de cuire des œufs, ou encore en train de passer l’aspirateur. Loin d’un déchainement des éléments naturels, c’est la puissance du journalier qui se révèle.

Nous invitant à repenser notre rapport à autrui, Her Story suggère une réévaluation des rapports humains au travers d’une solidarité – et ici sororité – liminaire et facile. Ainsi, le film paraphrase joliment l’un des dialogues de son héroïne, Xiao Ye : « Tu n’as pas besoin d’en faire plus. »

Her Story de Shao Yihui (Les Films du Camélia, 2h03), sortie le 9 avril.

You may also like

More in CINÉMA