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CINÉLATINO 2025 – L’Amérique latine sur grand écran : des populations et des terres

Querido Trópico d'Ana Endara © THE DARK - Cinélatino 2025
Querido Trópico d'Ana Endara © THE DARK

La 37ème édition de Cinélatino, Rencontres de Toulouse s’est achevée il y a une semaine. Au total, plus de 130 films étaient projetés dans les cinémas et les salles culturelles de la métropole. Pour les accompagner, et permettre de les placer au mieux dans le contexte politique et économique de leur fabrication, de nombreuses rencontres et animations jalonnaient également le programme. 

Une année de plus au compteur pour Cinélatino. Fort de ses éditions passées, le festival continue de développer ses actions autour des multiples formes cinématographiques d’Amérique latine. Cette 37ème édition a, de nouveau, témoigné de la rigueur et de la variété qui émanent de ces créations, faisant la part belle à de nombreux partis-pris esthétiques et narratifs. Les films proposés rebattaient les cartes des représentations sociales et politiques à l’écran, à travers l’exploration des perspectives plurielles qui traversent à la fois les territoires, et celles et ceux qui les habitent. 

Sans se limiter à un format ou à un angle défini, les sélections ont généreusement inclus des thématiques à géométrie variable. En filigrane, l’on y retrouvait des problématiques communes, que chaque cinéaste aborde avec sa singularité. Des dynamiques familiales à la relation au territoire, en passant par les drastiques inégalités sociales, le panel narratif était aussi bien large dans son approche, que pointilleux dans le traitement de certains aspects denses.  

Liens du sang

Les relations familiales, si elles constituent l’un des terrains de jeu favoris de la création cinématographique, trouvent continuellement des moyens d’être racontées différemment. Certains films sélectionnés cette année en étaient l’illustration. Traitée dans des contextes périodiques datés – Brujería (Christopher Murray, 2023) se situe fin XIXème, et Reinas (Klaudia Reynicke, 2024) prend place dans le Lima des années 1990 -, ou plus contemporains, le prisme familial s’est retrouvé à de nombreuses reprises au cœur des scénarios. 

La famille : tantôt lieu de réconfort et de sécurité, tantôt cage de laquelle l’on s’échappe – du moins, l’on essaye, avec toutes les difficultés émotionnelles et matérielles que cela implique. Ce noyau dur, qui reste invariable sur le papier, se façonne au gré des sensibilités des un·e·s et des autres. Les récits choisis ici mettaient en lumière des protagonistes à différentes périodes de leur existence. Chacune amenant, tour à tour, des questionnements variés. De la plus tendre enfance aux derniers jours, des perspectives affectives et relationnelles majeures se posent quotidiennement. 

Certaines sont assez courantes. Il y a, par exemple, le fait de (ne pas) quitter le cocon familial, d’y rester ou d’y revenir. Et ce, malgré les injonctions qui s’y trouvent. C’est ce que narre Iair Said dans le bref mais précis Moi, ma mère et les autres (2024), ou Natalia Santa dans l’intriguant Malta (2024). David, dans le premier, et Mariana, dans le second, cherchent à se construire face à une mère qui, déjà dans ses silences, impose une forte présence, et qui affiche une certaine domination, plus ou moins bienveillante.

D’autres questionnements, en revanche, sont autrement plus troubles en termes de représentations. C’est le cas de l’inceste entre frère et sœur, abordé avec pertinence et sans jugement par Albertina Carri dans Geminis (2005). Là encore, d’ailleurs, la place de la mère des jumeaux est prépondérante dans la tournure des événements.

Moi, ma mère et les autres, d'Iair Said (2024) © Campo Cine
Cinélatino 2025
Moi, ma mère et les autres, d’Iair Said (2024) © Campo Cine

Liens à la terre

Quels que soient leurs parcours, les personnages de ces récits se construisent également à travers le pays et, plus largement, le territoire, qui les ont vus naître, et grandir. Enfants, adolescent·e·s, adultes : leur implantation sur une terre déterminée finit, tôt ou tard, par intervenir. 

Dans le tendre et fin Reinas, Klaudia Reynicke met en scène l’ultime été que Lucia et Aurora passent dans le Lima agité de 1992. Leur mère, Elena, a décroché un nouvel emploi dans le Minnesota. Elle a prévu d’y déménager avec ses filles dans l’espoir d’un nouveau départ, loin des tensions politiques. Son ex-mari ressurgit alors, et tente, avec humour, de renouer le lien avec ses « reines », non sans maladresse. En creux, la famille et son entourage se confrontent à la contrainte des couvre-feux et la présence incessante de militaires, imposées en réaction à la menace terroriste. À cette peur se mêle la tristesse du départ, qui n’est donc qu’à moitié choisi.

Car si Lucia, Aurora, et Elena, éprouvent de la peine à laisser leur environnement derrières elles, c’est que, comme Klaudia Reynicke, cette terre péruvienne est celle de leurs racines. À l’âge de dix ans, la réalisatrice a quitté le pays. Elle n’y est revenue que bien plus tard, dans le cadre du tournage de son film. Ce dernier incarne ainsi, parmi d’autres, un exemple de l’impact évident des bouleversements politiques, sociaux et économiques, de l’époque, sur des choix narratifs et artistiques.

Utiliser le cinéma comme un moyen de (re)venir sur la terre de ses ancêtres, c’est aussi le chemin qu’a suivi Pamela Pequeño, en choisissant, elle, un prisme davantage organique, palpable. À travers Cobija, un documentaire épistolaire, elle revient dans ce village de pêcheurs dont lui a longuement parlé son oncle, désormais décédé. Les images de ces vastes terres, sur lesquelles plane une atmosphère épaisse et mystérieuse, implantent le scénario dans ces dynamiques territoriales évidentes. Ici, le lien à la nature environnante est essentiel dans la construction individuelle et communautaire des populations.

Reinas, de Klaudia Reynicke (2024) © Diego Romero
Cinélatino 2025
Reinas, de Klaudia Reynicke (2024) © Diego Romero

Questionner l’inégalité

Et puis, au-delà de ces caractéristiques humaines et terrestres qui tissent des liens entre ces cinématographies variées, l’on retrouve des approches d’autres phénomènes politiques et sociaux qui représentent d’importants enjeux au sein de ces territoires.

Dans Querido Trópico (2025) – triplement primé au palmarès de Cinélatino, dont le Grand Prix Coup de cœur de la Compétition Long métrage de fiction -, Ana Endara questionne les enjeux de la domesticité. Un sujet de taille, puisque ce secteur d’emploi concerne une large part de la main d’œuvre en Amérique latine. À travers le personnage d’Ana Maria, immigrée colombienne en quête de papiers et de sécurité pour son enfant à naître – qu’elle cache pour le moment -, la cinéaste explore ce statut fragile, ambigu.

Dans Reinas, Klaudia Reynicke offre une autre représentation de ce lien singulier entre familles et employé·e·s. Cela se concrétise à travers le personnage d’une femme issue d’une communauté des Andes, qu’emploie la mère d’Elena. La notion d’horaires, et de salaire à la hauteur du travail accompli, reste floue. Celle de hiérarchie, en revanche, est très claire. À cette femme qui demande, en cours de soirée, l’autorisation de rentrer chez elle avant le couvre-feu, pour rester en règle, sa patronne répond : « Vous travaillez pour nous, ma fille. J’ai des invités ». Quant à Geminis, c’est par le personnage d’Olga, qui « fait partie de la famille », tout en étant payée pour prétendre à ce statut, qu’Albertina Carri examine ces dynamiques. Jusqu’où parvient cette co-dépendance entre domestiques et familles, et quelles sont ses limites ?

Ce sont cette palette d’enjeux, et de conjectures politiques et sociales, que Cinélatino a permis, cette année encore, de mettre en lumière et d’ouvrir à l’échange. Les films proposés au sein des différentes sélections, et ceux qui naissent, et se fabriquent à travers le programme Cinéma en construction, ne cessent de mettre ces approches en perspective. 

La mise à disposition de nombreuses ressources accessibles à tous·tes, et l’inclusion du public dans certains votes et délibérations, ont permis de rendre ces discussions davantage participatives, et de créer un espace commun de mise en relation des regards individuels.

Avis aux Occitanais·e·s, et intéréssé·e·s de passage : Cinélatino se poursuit dans toute la région jusqu’au 30 avril.

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