CINÉMA

« Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé » – Ainsi parla Ceaușescu

Gelu, un des personnages principaux de Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé, debout au milieu d'une foule prise de panique
© Memento Distribution

Premier long métrage du réalisateur roumain Bogdan Mureșanu, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé narre la fin de la dictature roumaine de Ceaușescu à travers les destins liés de plusieurs personnages. Touchant et éducatif, ce premier film pèche toutefois par des problèmes de structure.

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé est un premier long métrage. Film historique, il se situe en 1989, débutant quelques jours avant la chute du régime communiste en Roumanie. Il met en scène l’histoire de plusieurs personnages dont les trajectoires sont quasi indépendantes les unes des autres. Ce n’est donc pas un tout unique, mais une sorte d’assemblage de six histoires qui se croisent en certains endroits. Cet assemblage est le gimmick principal du film. Mais, si cela permet une sorte de tour d’horizon des actes de résistance et de la violence du système totalitaire roumain, ces histoires souffrent d’inégalités de traitement. Tant dans leur ton, leur thématique, que dans leur mise en scène. Inégalités qui amènent à questionner la pertinence du format de film à sketches.

Absurde finalité

S’il est un film historique, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé ne raconte pourtant pas l’histoire. Il ne montre pas Ceausescu, ni les agitations politiques du pays. En effet, ces éléments restent dans l’arrière-plan des intrigues qui tournent autour de Roumain·e·s n’étant pas impliqué·e·s dans tout cela : un metteur en scène travaillant pour la télévision nationale, son fils, une actrice de théâtre, un ouvrier, un membre de la police secrète et sa mère. Tou·te·s voient leurs vies bouleversées par le gouvernement d’une manière ou d’une autre, et tou·te·s seront sorti·e·s de cette situation à la fin du film par la chute du gouvernement. Cette chute est annoncée dès le début du film à travers l’histoire de Stefan Silvestru (Mihai Calin), le metteur en scène.

Stefan, l'un des personnages principaux de Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé, est au téléphone dans un studio d'enregistrement télévisuel.
© Memento Distribution

Car, suite à la fuite du pays de l’actrice jouant le rôle principal dans l’émission du nouvel an, Stefan se voit contraint de modifier l’émission afin de faire disparaître cette dernière. Et cela, en moins de 48 heures ! Ce compte à rebours coïncide avec celui annonçant la chute du régime. Le titre du film donne l’indice : Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé annonce dès le début sa destination finale. Dès lors, toutes les actions des personnages deviennent, pour la·e spectateur·rice, totalement vaines, puisque leur salut est déjà acquis. Mélangé aux situations dans lesquelles se mettent les personnages, c’est l’humour absurde qui en sort renforcé.

Une réalité violente

Pour autant, cette absurdité générale ne vient pas effacer tout le reste. L’histoire de l’ouvrier, et de la lettre au père Noël de son fils, est l’exemple parfait du double ton du film. Directement tiré du court métrage Cadeau de Noël du réalisateur, ce segment du film reprend la même trame : un enfant envoie une lettre au père Noël dans laquelle il demande, en cadeau pour son père, la mort de « l’oncle Nick », c’est-à-dire Ceausescu. Le père doit donc détruire la lettre avant que quelqu’un ne la lise et le dénonce. Ainsi, l’absurdité se fait toujours ressentir, notamment lorsque le père essaie de détruire la lettre en mettant de l’eau et de la lessive dans la boîte aux lettres. Pour autant, la détresse de la mère et du père transmet une véritable angoisse aux spectateur·rice·s.

De la même manière, la tentative de suicide au gaz de Margareta Dinca dans son ancienne maison – tentative ratée, à cause d’une coupure programmée du gaz – fait évoluer le film entre deux eaux : celles d’un humour absurde, et celle d’une réalité violente et angoissante. Au final, le désespoir des personnages et la paranoïa dont iels font preuve tout au long du film atteint la·e spectateur·rice. Certes, le salut est proche, mais rien ne permet d’être sûr que les personnages l’atteindront. Laurentiu Silvestru, le fils de Stefan, qui essaie de fuir le pays, se fait arrêter juste avant de passer la frontière. Que va-t-il lui arriver ?

Trois hommes de la police secrète roumaine font leur rapport à leur supérieur assis à son bureau. Derrière lui se trouve un portrait de Ceaușescu.
© Memento Distribution

Au final, l’absurdité générale permet de relâcher la pression qui monte en crescendo dans le film, tout en relayant une réalité historique. Oui, les demandes absurdes, comme celle faites à Stefan, existaient ; oui, une simple lettre envoyée au père Noël pouvait conduire à la prison. Bogdan Mureșanu propose, par sa maîtrise du ton, une véritable plongée dans le quotidien des Roumain·e·s sous la dictature.

Des histoires inégales

Malgré cette maîtrise du ton, la forme du film amène un certain déséquilibre entre les histoires. L’histoire de Stefan semble constituer le cœur du film. C’est par lui que le film commence, et que le « nouvel an » du titre prend tout son sens. L’histoire de Laurentiu, son fils, et de Florina, l’actrice remplaçante, sont étroitement liées à lui. Ensemble, ces trois histoires permettent de jongler entre absurde et angoisse, mais aussi de donner tout son sens au compte à rebours des 48 heures qui désigne, sans la nommer, la fin du régime de Ceausescu.

Mais ce triptyque n’est pas seul. En effet, à ces trois histoires s’ajoutent celles de Margareta, de son fils, et de Gelu. L’histoire de Gelu est celle du court-métrage mentionné plus haut ; l’original, en somme. Celles des deux autres personnages sont inédites, et ont été écrites spécifiquement pour le film.

Florina est devant un groupe de figurant venu pour enregistrer une émission.
© Memento Distribution

Les liens entre le premier triptyque identifié et les autres histoires sont minimes. Gelu n’est lié à Margareta que par une discussion, alors qu’il doit vider la maison de la vieille dame. Quant à Florina, il la croise, à un moment, dans la rue. Margareta est lié à Florina par l’intermédiaire d’un taxi avec qui elle discute, et son fils est lié à Laurentiu parce qu’il travaille au sein de la police secrète, et qu’il s’occupe de la surveillance des étudiants. Ces liens sont extrêmement réduits comparés aux interconnexions entre les Silvestru et Florina. Cette inégalité flagrante entre les histoires, et leurs interconnexions, poussent à questionner le choix du réalisateur d’intégrer son court-métrage original, et deux nouvelles histoires, à un triptyque complet et autosuffisant, traitant déjà des mêmes thématiques. Une sensation de redite et de lenteur s’installe petit à petit sur les plus de deux heures de projection.

Un tout prometteur

Malgré ce problème structurel, le film de Bogdan Mureșanu reste extrêmement maîtrisé. La justesse des acteur·ice·s, le réalisme des situations – aidé par des décors et des costumes bien pensés – et la mise en scène, presque documentaire à certains moments, entraîne la·e spectateur·rice dans l’intrigue du film avec une facilité déconcertante. C’est un bond dans le temps et l’espace qui ne laisse la place ni au fantasme, ni à la nostalgie. Une piqûre de rappel de ce que fut, pour un temps, le quotidien de nombreux·ses Roumain·e·s.

Florina est au téléphone.
© Memento Distribution

Mais c’est aussi un hommage à celleux qui se sont sacrifié·e·s et qui ont bousculé le système. Les habitant·e·s de Timișoara mentionné·e·s dans un premier temps ; ensuite, tou·te·s les révolutionnaires présent·e·s dans les images d’archives du générique.

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé, en salles le 30 avril 2025.

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