C’est un plaisir simple de lire la correspondance d’Audre Lorde et Pat Parker, deux poétesses noires féministes. Sister love est la publication de leurs lettres, échangées entre 1974 à 1989. Témoignage de leur amitié inconditionnelle, libre, drôle.
« Lire des lettres d’écrivaines représente la meilleure façon d’écouter aux portes » écrit Mecca Jamilah Sullivan dans sa préface. C’est tout à fait cela. Lire Sister love c’est retrouver quelque chose de l’enfance. On écoute les paroles des grandes. On lit, admiratives, le lien entre Audre (1934-1992) et Pat (1944-1989). Les éditions Points font paraître cet ouvrage, traduit par Chloé Savoie-Bernard et, doublement préfacé par Rébecca Chaillon et M.J. Sullivan.
Audre Lorde rencontre Pat Parker en 1969. Elles échangent par lettres. Elles prennent des nouvelles de leur œuvre, de leur envie d’écrire, d’aimer, de vivre. Toutes deux ont précédemment été mariées à un homme et sont lesbiennes. Pat Parker donne des cours à l’école primaire, réalise des lectures dans des festivals et des prisons pour femmes. Audre Lorde, plus âgée que Pat, travaille comme bibliothécaire. Toutes les deux, elles succombent, à quelques années d’intervalle, d’un cancer du sein.
« Quoi de neuf à ton sujet ? »
Les lettres de Pat et Audre sont émaillées de choses prosaïques comme prendre des nouvelles de leur santé, se donner des conseils pour mener une autopromo. Elles se conseillent, s’encouragent, parlent de domination, de création, d’amour autant que de cuisson de betterave ou de jardinage. Se glissent aussi dans leur lettres des timbres et des chewing-gums.
Militantes et icônes du féminisme noir américain, elles s’écrivent aussi plus précisément sur leur manière d’écrire, sur le style et la situation économique de leur statut. Des réflexions plus politiques sur le racisme ou le sexisme traversent aussi les pensées à même la feuille. Avant la création du mot d’« intersectionnalité », Pat et Audre échangent sur l’entremêlement des différents niveaux d’oppression. Poétesses, noires et lesbiennes, elles ne sont pas dupes des structures de domination, de la précarité de l’écriture, des injonctions faites aux femmes. Alors, elles bataillent et mettent en place des système de solidarité, notamment pour aider les plus jeunes. Pat crée le Black Women’s Revolutionary Council en en 1980.
« ET NE FAIS CONFIANCE À PERSONNE. Joue-la cool, tais-toi quand tu n’es pas en train de poétiser, et ne deviens pas trop copain-copine avec les autres poètes avec qui tu travailles. Protège-toi en tout temps, et protège les enfants aussi, si tu peux. Je crois que c’est un terrain d’essai pour beaucoup de choses et aucune d’entre elles ne te concernent. Je te dis tout cela parce que je te fais confiance. »
Audre Lorde à Pat Parker – Sister Love
La lecture est exaltante, teintée d’une répartie certaine et marquée d’images fortes : « J’aimerais faire en sorte que cette lettre puisse s’autodétruire comme dans Mission impossible, mais je n’ai pas ce pouvoir, alors s’il te plaît, ne la laisse pas traîner » écrit Audre, un clin d’œil depuis le passé à nous qui la lisons, en contrebande. Aussi, les notes de bas de pages éclairent sur des détails qui nous échapperaient.
Sister love est une correspondance qui donne à voir une relation où l’amour et l’exigence parviennent à se combiner. Audre et Pat travaillent à faire de cette relation un roc où il est possible d’inviter l’égalité. On lira, en supplément, la magnifique lettre de remerciement post-mortem de Rébecca Chaillon dédiée à ces deux femmes dont elle dit être tombée en amour.
Sister love d’Audre Lorde et Pat Parker, traduction de Chloé Savoie-Bernard, éditions Points, 7,90euros.