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Rencontre avec Coline Blf : « Pour moi, les deux choses les plus puissantes, c’est aimer et être entouré par ce qui nous dépasse » 

Cover EP A la folie Coline Blf (c) Emma Cortijo
Cover EP A la folie Coline Blf (c) Emma Cortijo

Avec À La Folie, son deuxième EP, Coline Blf réussit le pari d’un projet d’indie pop en français, aussi sensoriel que politique.

En 2022, avec Blue Nostalgia, elle proposait une pop douce et introspective, enregistrée en autoproduction. Deux ans plus tard, la musicienne et vidéaste belge revient avec un projet plus ample, plus frontal. Une indie pop en français qui raconte l’amour, l’éco-anxiété et ce besoin vital de trouver sa place dans un monde qui vacille. Autrice, compositrice et vidéaste, Colline Blf s’y livre entre quête de liberté et urgence de dire. Rencontre.

Est-ce que tu peux te présenter et nous parler brièvement de ton parcours musical ?

Je m’appelle Colline BALFROID, mon nom de scène c’est Colline Blf. J’ai vingt-cinq ans et je viens de Namur, en Belgique. J’ai sorti deux EP : le premier en 2022, et le deuxième vient tout juste de sortir, le 5 février 2025. Il s’appelle À La Folie. Je fais de l’indie pop en français et ce nouveau projet, c’est vraiment un gros morceau pour moi. Je peux te dire ce qu’il raconte si tu veux ?

Oui, vas-y.

À La Folie, c’est un projet qui parle de ma relation au monde, à ce qui nous entoure. J’y aborde notamment les crises environnementales et sociales qui me traversent et m’angoissent. C’est un projet plus engagé que le premier. Je parle de mon éco-anxiété, de mes peurs, mais aussi de ma manière d’aimer.

Dans ton travail, on sent que tu jongles beaucoup entre la musique et la vidéo. Comment ces deux disciplines se nourrissent dans tes projets ?

En fait, la vidéo, c’est mon métier au quotidien. C’est ce qui me fait vivre : je filme, je me filme, je monte… c’est mon quotidien depuis longtemps. Et comme je suis une artiste indé, j’ai eu envie d’intégrer cette autre passion-là dans mon projet musical.

Du coup, tout ce qui est contenu Instagram, les teasers, les formats verticaux, tout ce qu’on doit produire aujourd’hui sur les réseaux quand on fait de la musique… c’est moi qui le réalise. Je fais au mieux pour que ça me ressemble. Après, sur les visualizers du projet, j’ai aussi bossé avec d’autres personnes, histoire d’avoir un regard extérieur et d’être plus efficace. Mais j’aime bien rester au cœur de la direction artistique visuelle, c’est important pour moi que tout parte de là.

Qu’est-ce qui a évolué entre ton premier EP Blue Nostalgia et À La Folie ?

J’ai commencé Blue Nostalgia à vingt ans et je l’ai sorti autour de mes vingt-deux, vingt-trois ans. C’était vraiment mes débuts. La première fois que j’allais en studio, la première fois que je posais ma voix, que j’écrivais. C’est un projet que j’aime beaucoup, mais qui est plus jeune, plus naïf aussi.

À La Folie, je l’ai écrit entre mes vingt-quatre et vingt-cinq ans. Avec plus d’expérience, plus de recul. J’ai pu m’imposer davantage dans ce projet, ce qui n’était pas évident au début. Je bosse avec pas mal de gens, majoritairement des hommes, et vu que je ne viens pas d’un parcours de musicienne — je suis complètement autodidacte — c’était difficile au début de faire entendre ma voix. Je ne maîtrise pas la technique, alors dire ce que je veux ou ce que je ne veux pas, c’était pas simple.

Sur ce projet, j’ai pris ma place. Même sans le vocabulaire technique, j’ai osé dire non, dire oui. J’ai aussi voulu qu’on enregistre la majorité des instruments en live, qu’il y ait moins de samples. C’était hyper important pour moi. Et puis, dans l’écriture, ça a évolué. C’est plus poussé, plus politique aussi. J’avais envie de sortir du prisme de l’amour et d’aborder d’autres sujets.

Mais tu fais quand même un lien assez fort entre amour et climat dans ce projet, non ? Cette sorte de parallèle entre l’histoire d’amour et la crise écologique…

Oui, complètement. Et c’est marrant parce qu’au départ, j’avais pas du tout pensé le projet de cette manière. À La Folie était déjà presque terminé quand j’ai écrit « Où on va », le deuxième titre, qui lui est clairement engagé. Et là, je me suis dit : « En fait, il y a un vrai pont à faire entre la force de l’amour et notre rapport au monde, à la nature ».

Pour moi, les deux choses les plus puissantes, c’est aimer et être entouré par ce qui nous dépasse — la nature, l’environnement. Et plus j’y pensais, plus je voyais les similitudes : la fragilité, la beauté, l’urgence aussi. C’est donc venu assez naturellement de creuser ce lien-là. Ce n’est pas évident au premier abord, mais quand je l’explique, les gens comprennent.

Dans À La Folie, il y a vraiment cette notion d’urgence, de révolte aussi. Est-ce que c’était vital pour toi de parler de ça maintenant ? Et penses-tu que ça va te suivre dans la suite de ton travail ou que c’est un sujet de passage ?

Je pense que ça va me suivre, oui. Peut-être pas de façon systématique, mais j’ai l’impression que c’est ce que je peux apporter en tant qu’artiste. Aujourd’hui, il y a plein de meufs trop fortes qui font de la musique incroyable. Moi, ce que je peux mettre sur la table, c’est cette sensibilité-là, cette façon d’amener des sujets plus engagés, qui me traversent dans mon quotidien.

C’est aussi des thèmes que je traite dans mon travail de vidéaste — je bosse beaucoup avec des ONG, des assos. Pouvoir les transmettre en musique, je trouve ça super fort. La musique, ça touche autrement, ça passe plus loin. Alors tant qu’à faire, autant s’en servir pour ça aussi.

Après, je me ferme pas. Le prochain morceau que je sors ne sera pas du tout engagé. Et celui d’après parle de la vieillesse des femmes, donc c’est engagé d’une autre manière. En fait, je laisse venir ce qui me traverse sur le moment. J’écris sur ce qui me travaille, sans trop calculer.

Coline Blf © Emma Cortijo

Et au niveau de l’esthétique, des visuels, comment construis-tu l’univers qui accompagne ta musique ? Comment t’appropries-tu cet imaginaire-là ?

Franchement… je fais comme je peux (rires). En vrai, je passe beaucoup de temps sur Pinterest, je regarde plein de films, je compile des images, des couleurs. J’aime vraiment le beau. Et c’est vrai que parfois, dans les milieux écolos ou militants, on néglige un peu l’esthétique — sans vouloir faire de généralités.

J’aime l’idée d’aller chercher des codes visuels hyper léchés, presque clichés, et de venir y glisser un décalage. Par exemple, sur le visualizer de « Où on va » c’est très coloré, très années 80, hyper clean, très Instagramable presque. Et au milieu de ça, je viens insérer des infos sur la crise climatique, des images d’usines, de déchets… Ce décalage, je le trouve fort. Ça vient créer une couche de lecture supplémentaire, et je trouve que ça percute plus.

Trouves-tu que l’esthétique joue un rôle important aujourd’hui dans la manière dont la musique est reçue ?

Oui, clairement. En fait, aujourd’hui on nous demande d’être partout, de produire des contenus en boucle — et souvent des trucs moches, filmés à l’iPhone, sous-titrés à l’arrache. Ce que je n’aime ni faire, ni regarder, franchement.

Donc, je fais l’inverse : je sors ma grosse caméra, je prends le temps de faire des belles images, d’étalonner. Je sais que ça performe peut-être moins que les vidéos « brutes », mais ça me ressemble. Et c’est important pour moi de rester alignée là-dessus.

Comment s’est construit l’EP ? Où as-tu écrit et avec qui as-tu bossé ? Y a-t-il eu des moments clés dans le processus ?

Oui bien sûr. En vrai, à la base, je savais même pas que j’allais faire un EP. J’ai booké une résidence un peu sur un coup de tête avec mes deux potes musiciens, Romain et Samuel — c’est eux avec qui je bosse tout le temps. Et Samuel, c’est aussi mon guitariste en live et c’est chez lui que j’enregistre mes voix.

On est partis chez lui, à Troyes — en région namuroise — et on s’est enfermés trois jours. C’est là qu’on a composé les deux premiers morceaux : « À La Folie » et « Où on va ». Et je me suis dit : « OK, là y’a un truc, j’ai envie de refaire un projet ». Parce qu’il faut la foi, quand même, pour se relancer.

Après ça, on s’est revus par petites sessions, et ce qui a vraiment tout débloqué, c’est une deuxième résidence chez Samuel, à Namur. Là, on a invité tous mes musiciens live, on a enregistré « Les Poissons » entièrement en live, les batteries, le saxophone… On a vraiment tout peaufiné sur place.

Et dans ton processus, la toute première impulsion, elle vient de quoi ? Des textes ? De la musique ?

Toujours de la guitare. C’est Romain qui m’envoie des prods de guitare, des boucles, et moi j’écris dessus. Mais j’écris jamais un texte sans musique, c’est impossible. J’ai besoin de cette base-là.

Dans tes influences, tu cites des artistes comme King Krule, Clairo ou encore Men I Trust. Est-ce que ces inspirations se traduisent dans ta musique ?

Men I Trust a été une des principales inspirations pour cet EP, notamment parce que c’est l’un des groupes préférés de Romain, mon bassiste. Ce qui nous a plu, c’est ce lien très fort entre la voix et la basse. On a essayé de faire ressortir la basse de cette manière-là. J’ai aussi été marquée par un autre projet québécois que je cite rarement : le groupe Rau_Ze. J’ai adoré l’album qu’ils ont sorti, notamment la manière dont tous les instruments ressortent, le synthétiseur, et ce côté très organique en live.

Tu utilises parfois le terme de bedroom pop pour définir ta musique. Quelle place l’expérimentation occupe-t-elle dans tes morceaux ?

Aujourd’hui, j’utilise moins le terme bedroom pop, car je ne sais plus vraiment ce qu’il signifie. Je parle plutôt d’indie pop en français. Cela dit, tous les morceaux ont été enregistrés dans un même studio, chez Samuel, qui ressemble un peu à une grande chambre. L’expérimentation vient surtout de Samuel et Romain, qui aiment beaucoup jouer avec des instruments et des objets insolites : des gadgets, des boîtes à cassettes anciennes, des sons récupérés un peu partout. Pendant que j’écris dans une autre pièce, ils ajoutent plein de textures sonores. Cela crée une vraie richesse, avec de nombreux petits détails que peu de gens entendent vraiment, mais qui apportent beaucoup à l’ensemble. Sur cet EP, l’expérimentation est très présente, beaucoup plus que sur le précédent où je m’assumais moins.

Dans le morceau « Dans la forêt », on sent une forme de dualité entre l’attachement et la recherche de liberté. Tu chantes notamment « laisse-moi courir seule ». Est-ce que, pour toi, la solitude est nécessaire ?
Je ne parlerais pas d’isolement, car c’est un mot un peu dur et je ne le considère pas comme un choix. En revanche, la solitude choisie est très importante pour moi. Je ne suis pas quelqu’un qui peut enchaîner les sorties ou voir du monde tous les jours. J’ai besoin de moments seule, en particulier dans la nature. C’est ce que j’exprime dans ce morceau : cette envie d’aller marcher seule en forêt, de retrouver ce lien avec la nature.

Dans tes textes, on retrouve beaucoup de sensations physiques : le goût du sel, le gingembre dans le rhum, les saveurs. Est-ce que la musique est avant tout quelque chose de sensoriel pour toi ?

C’est une remarque intéressante. Je n’en avais pas vraiment conscience, mais c’est vrai qu’il y a ces images sensorielles dans mes textes. Je pense que c’est assez instinctif, ce ne sont pas des choix réfléchis. En revanche, ce qui me guide souvent, ce sont les couleurs. Mon premier EP s’appelle Blue Nostalgia, j’ai un morceau qui s’appelle « Rouge »… La couleur est très présente dans ma façon de créer. Mais cette dimension liée aux saveurs, je la découvre en en parlant.

Ton écriture a parfois un aspect très cinématographique. Est-ce que tu visualises des scènes précises lorsque tu écris tes chansons ?

Oui, systématiquement. Quand j’écris un morceau, j’imagine déjà les plans du clip. Pour « Dans la forêt », par exemple, dès le studio j’avais l’image de cette course dans les bois. C’est sans doute lié à mon métier : je suis cadreuse et monteuse, et je documente aussi ma vie sur YouTube. Je pense souvent à la vidéo avant même de penser au morceau terminé.

Coline Blf © Emma Cortijo

Y a-t-il une rencontre qui t’a particulièrement marquée dans ton parcours musical ?

La plus marquante, c’est Romain. C’est avec lui que j’ai tout construit musicalement et grâce à lui que j’ai rencontré toute l’équipe qui m’accompagne aujourd’hui sur scène. Et plus récemment, je dirais le duo Colt.
Coline, qui fait partie du duo, organise des résidences d’artistes en Belgique, dans les Ardennes. Elle réunit des musiciennes et musiciens pendant une semaine dans une maison, ce qui crée un vrai espace de rencontres et de création. C’est là-bas que j’ai rencontré beaucoup de personnes et que je me suis ouverte à d’autres univers musicaux. Cette rencontre m’a marquée, surtout humainement et artistiquement.

Y a-t-il un son ou une ambiance que tu aimerais intégrer dans un futur morceau, mais que tu n’as pas encore osé explorer ?
J’aimerais beaucoup intégrer un orchestre à un de mes morceaux, ou en proposer une version orchestrale. Ce serait un rêve d’avoir cette ampleur-là sur l’un de mes titres.

Comment perçois-tu la scène indie-pop française aujourd’hui ? As-tu le sentiment d’appartenir à une communauté musicale ?

C’est un peu particulier. La scène indie-pop est très présente à l’international, surtout dans les pays anglophones, mais en France, c’est parfois difficile de s’identifier à un groupe ou à un mouvement clair. La pop évolue beaucoup, ce qui est une très bonne chose, et il y a des artistes comme Yoa ou Iliona qui s’en rapprochent, sans forcément en reprendre tous les codes.

Personnellement, j’ai du mal à me sentir pleinement intégrée à une scène précise. Il y a des artistes dont je me sens proche, comme Ronnie ou Miel de Montagne, mais globalement, je trouve que la scène indie-pop francophone est encore assez diffuse et peu identifiable.

Ton projet est sorti récemment. Comment vis-tu cette sortie ?

Je le vis plutôt bien. J’ai l’impression que le projet est sorti depuis longtemps tant il y a eu de préparation en amont. Aujourd’hui, c’est presque un soulagement, parce que c’est beaucoup de travail et d’énergie. Mais ce qui est difficile, c’est de continuer à le faire vivre après la sortie : alimenter les réseaux, trouver des moyens de toucher encore de nouvelles personnes.
Je dois me rappeler que beaucoup de gens ne l’ont pas encore découvert, donc l’enjeu, c’est de garder cette dynamique et de continuer à le porter.

Quels sont tes projets à venir ? As-tu des collaborations ou des concerts prévus pour faire vivre cet EP ?

Oui, on joue au Trois Baudets le 6 mai et je travaille déjà sur de nouveaux morceaux. Un prochain titre sortira dans les mois qui viennent, la date reste encore à fixer.

Cette année, j’aimerais vraiment multiplier les collaborations, rencontrer de nouveaux artistes et ouvrir un peu plus mon réseau, notamment en France. C’est un peu intimidant, parce que je trouve la scène française impressionnante, mais c’est un objectif important : aller à la rencontre d’autres musiciens et musiciennes et voir ce que cela peut faire naître.

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