[ Interview réalisé avec César Laloux quelques semaines avant le départ de Victoria Barracato du groupe].
On se rappelle d’Ada Oda comme d’un duo singulier, porté par le parlando hypnotique de Victoria Barracato, l’interprète du groupe, et un rock nerveux rythmé parc une énergie up-tempo.
Après Un Amore Debole, un premier album remarqué, et plus de 200 concerts à travers une vingtaine de pays, le groupe, dont les sonorités oscillent entre rock binaire et up-tempo, revient avec Pelle d’Oca, un second opus qui interroge les paradoxes de la vie moderne. Le nom du groupe, Ada Oda, vient de l’argot italo-américain et pourrait se traduire par « un autre jour » – une manière de dire que tout peut recommencer. Dans cet entretien, César Laloux, l’un des piliers du groupe, nous ouvre les portes de leur univers en pleine expansion, entre l’euphorie du succès, l’anxiété de la création et la volonté d’évoluer sans se trahir.
Pourtant, ce nouvel album s’annonce aussi comme le chant du cygne du groupe. Fin janvier, un communiqué officiel annonçait la décision de Victoria de quitter le groupe après une période de tensions et de désaccords. Malgré les efforts pour continuer, Ada Oda met fin à son aventure, et ce définitivement. Mais avant de tirer sa révérence, le groupe tenait à offrir un dernier album, ultime témoignage d’une énergie et d’une alchimie qui auront marqué les esprits.
Vous avez terminé vos concerts fin septembre dernier, et maintenant vous êtes en promo. Vous avez sorti deux morceaux, et un troisième arrive cette semaine. L’album sort le mois prochain. Comment vous sentez-vous par rapport à tout ça ?
César : Eh bien, c’est excitant, mais aussi un peu curieux. Il y a beaucoup de travail derrière tout ça, et ce qui est assez fou, c’est que tout se passe bien. On a fait des concerts, les gens sont enthousiastes, et c’est agréable de voir tout ce travail porter ses fruits. Mais en même temps, il y a toujours un peu d’anxiété, de stress… C’est un peu l’incertitude, tu vois, de ce que les gens vont en penser.
L’album s’appelle Pelle d’Oca, et j’ai lu que ça signifiait « chair de poule ». Pourquoi avoir choisi cette expression et ce titre ? Qu’est-ce qu’elle symbolise pour vous ?
C : C’est une image qui décrit bien l’état d’esprit dans lequel j’étais pendant l’écriture de ce deuxième album. Après le premier, on a eu pas mal de succès, on a fait plein de concerts, et les gens étaient vraiment enthousiastes, ce qui n’était pas forcément attendu. C’était super de recevoir autant de retour positif. Mais d’un autre côté, il y avait aussi ce stress persistant, ce doute… Ce sentiment d’anxiété, genre : « Est-ce que tout va bien se passer ? Est-ce qu’on va réussir à faire tout ce qu’on veut ? ».
Il y a aussi pas mal de thèmes dans les chansons qui parlent du monde autour de nous, un monde qui va de travers. La « chair de poule », c’est cette image qui représente un paradoxe : d’un côté, tu ressens du plaisir, de l’excitation, et de l’autre, tu te sens un peu nerveux, comme si tu avais des frissons par rapport à la vie, à ce qui se passe autour de nous. Exister, vivre, ça donne la chair de poule en fait.
Donc, est-ce que tu dirais que cet album est plutôt optimiste ou pessimiste ? Parce qu’avec un titre comme celui-là, on pourrait se poser la question…
C : Honnêtement, je dirais que l’album parle davantage des aspects négatifs. Je vais te dire : moi, je vais plutôt bien, mais je trouve qu’écrire des chansons sur des sentiments négatifs, sur un malaise ou des préoccupations, c’est plus facile que d’écrire sur des trucs joyeux. Ce n’est pas de la tristesse pure, mais plutôt un constat sur ce qui ne va pas dans le monde. L’album est plus axé sur ça, même si, personnellement, je me sens bien dans ma vie.
Écrire des chansons comme celles-ci vous aide-t-il, toi et Victoria, à poser des mots sur ce qui vous entoure ? Est-ce que ça vous aide à analyser et à comprendre des choses qui ne vont pas bien, des sujets qui peuvent parfois être super durs à comprendre ?
C : Oui, clairement. Elle et moi, on n’est pas vraiment du genre à être très bavards, à rentrer dans de longs débats. Moi, je serais assez mal à l’aise dans une discussion autour d’une table à débattre. Je suis tellement incertain de beaucoup de choses que j’aurais trop peur de dire des bêtises. Ces chansons, en revanche, c’est une manière pour moi de poser mon opinion, de dire ce que je pense sans que ce soit une discussion ouverte. C’est là, dans les paroles, et ça permet d’exprimer ce que je ressens sans avoir à faire un grand discours. Et je pense que c’est pareil pour Victoria. C’est une manière pour nous deux d’exprimer des choses qu’on aurait parfois du mal à dire autrement.
En parlant de la musique de cet album, avez-vous opté pour une continuité par rapport à votre premier album, Un Amore Debole ? Comment avez-vous réussi à renouveler votre son tout en gardant une certaine continuité ?
César : C’est toujours un peu difficile, en fait. On veut continuer sur ce qu’on faisait avant parce qu’on s’y sent bien, et qu’on a eu de bons retours avec le premier album. Mais on ne veut pas non plus simplement répéter la même chose. On cherche à avancer, à ajouter de nouvelles choses sans se trahir. C’est un équilibre fragile à trouver. Et je pense qu’on a réussi à le faire. On a osé des choses qu’on n’avait pas osées sur le premier album. Par exemple, il y a un morceau qui date de l’époque du premier album mais qu’on n’a pas mis dedans, et qu’on a décidé d’ajouter sur celui-ci.
Quel morceau en particulier ?
C : C’est un morceau assez calme, un slow, que l’on a mis à la fin de l’album. C’est un morceau qui fait une minute trente, c’est nerveux, ça sort un peu des formats habituels. On ne l’avait pas osé sur le premier, mais là, on s’est dit : « Pourquoi pas ? » Après tout, cet album est là pour montrer autre chose aussi. On voulait vraiment enfoncer le clou du premier, affirmer l’identité du groupe, et que les gens retrouvent ce qu’ils aimaient. Moi, en tout cas, j’ai retrouvé l’énergie que je voulais dans ce nouvel album, et ça fait chaud au cœur. On porte quelque chose de singulier, et je pense que ça se retrouve bien dans ce projet.
Et là, quand tu disais que c’était, en rigolant, que c’était la première fois que tu faisais un deuxième album, parce que toi, tu as déjà eu un parcours musical avant ce projet. Est-ce que tu peux me rappeler ce parcours ?
C : Oui, j’ai joué dans BRNS, qui est un groupe qui a pas mal tourné pendant une dizaine d’années. Je suis resté six ans dedans et on a fait quelques albums, mais c’était plus un projet collégial où tout le monde avait son mot à dire. C’était pas vraiment mon projet, même si j’avais mon mot à dire. Après, j’ai joué de la batterie dans un groupe qui s’appelait The Tellers, qui avait bien marché à l’époque. Puis j’ai essayé de faire des projets plus personnels, mais qui ont moins fonctionné, même si je suis encore content de ces projets. C’est juste que la vie a fait que ça n’a pas dépassé le stade d’un album ou d’un EP. Donc là, c’est vraiment la première fois que j’ai un groupe et une équipe autour, et ça avance.
Et donc, pour cet album, les morceaux ont été principalement écrits entre 2023 et 2024, pendant une période où vous avez beaucoup tourné. Est-ce que ces tournées, le fait d’être avec plein de gens différents, dans plein d’endroits différents, ça a influencé votre écriture ?
C : Oui, c’est assez porteur. Voir les retours positifs des gens après les concerts, ça te pousse quand même à sortir le meilleur de toi. Tu ne te sens plus tout seul dans ta chambre à faire les morceaux. C’est différent, le fait de savoir qu’il y a une petite attente autour. Même si ce n’est pas toujours conscient, tu y penses quand même un peu en composant pour le deuxième album. Mais, à la fois, il y a aussi beaucoup de gens qui te donnent leur avis sur ce qu’ils attendent d’un bon deuxième album de Ada Oda. Ça peut parfois être difficile de ne pas se laisser trop influencer, mais il faut faire le tri dans tout ça, sinon on risque de perdre son identité.
Est-ce que certains morceaux de cet album ont été testés en live avant d’être enregistrés ?
C : Oui, beaucoup. En fait, après le premier album, on avait une demi-heure de musique, ce qui n’était pas suffisant pour les concerts. Donc, après, on a dû refaire des morceaux, mais certains ont fait partie de l’album. Il y en a d’autres que nous n’avions jamais joués en live, comme les deux premiers singles. C’était marrant, on les a enregistrés avant de les jouer sur scène. Une fois qu’ils étaient sortis, il a fallu les apprendre. C’était assez comique, on avait l’impression de débuter dans un groupe en ne sachant pas les jouer.
En parlant de vos diverses collaborations, que ce soit pour l’enregistrement ou le mixage, vous avez travaillé avec r Pieterjan Coppejans et Graham Tavel. Tu peux nous parler de cette expérience ?
C : On a commencé le processus en novembre 2023. On est allés à Pise faire des maquettes avec un gars qui chante sur l’album, puis à Gand avec un ingénieur du son pour une grande partie des instruments. Ensuite, on a fini à la maison, à deux, avec le bassiste. Pour le mixage, on a essayé plusieurs mixeurs, mais on n’était pas très contents. On a finalement envoyé tout ça à un gars aux États-Unis, qui a fait un super boulot. C’était un peu étrange de confier notre projet à quelqu’un qu’on ne connaissait pas et qui était à des milliers de kilomètres, mais il a bien fait son travail.
D’un point de vue artistique, vos morceaux continuent d’osciller entre punk, pop et balade. Comment trouvez-vous l’équilibre entre tous ces styles ?
C : Ce n’était pas l’idée de faire juste du punk ou de la pop. Je pense que l’originalité de notre groupe vient du fait qu’on mélange ces deux styles. Sur le disque, il y a des balades et des morceaux de deux minutes assez punk. On a vraiment voulu garder cet équilibre pour le deuxième album, et je pense que c’est ça notre identité. C’est pas facile de ne pas tomber dans l’un ou l’autre, mais on voulait garder cette diversité sur l’album, tout en étant cohérents et sans perdre l’auditeur.

Et en ce qui concerne Victoria, sa manière de chanter est très singulière, entre chant et parlando. Est-ce que ce style vocal a été intégré dans l’écriture musicale de cet album comme sur le premier ?
C : Oui, cette fois encore plus qu’avant, je savais vraiment qui allait interpréter les morceaux. Je connais bien les capacités vocales de Victoria et ce qu’elle peut faire. Ça a vraiment influencé la manière dont on a écrit cet album, et je pense qu’on la sent encore plus assurée que sur le premier. On la voit grandir avec le groupe, et c’est super.
Vous avez fait énormément de concerts, plus de 200 dans une vingtaine de pays. Est-ce que vous envisagez de continuer cette dynamique avec le deuxième album ?
C : Pour être honnête, avec le premier album, on a pris tout ce qu’on pouvait, et on a fait un maximum de concerts, même sans se payer parfois. Mais pour le deuxième album, on va essayer de récolter ce qu’on a semé et de revenir dans les endroits où ça a fonctionné, peut-être de manière un peu plus professionnelle. Il y a pas mal de gens qui nous attendent en France, Belgique, Italie, Allemagne, donc on va retourner dans ces villes pour voir si le public adhère au deuxième album.
Comment préparez-vous vos concerts pour qu’il y ait cette énergie spéciale sur scène ?
C : Ça s’est fait naturellement. L’énergie sur scène est différente du disque. Chaque musicien peut s’exprimer comme il veut. Au début, on était plus timides, mais avec le temps, on a vu que ça réagissait mieux quand on se lâchait un peu. On a trouvé un juste milieu, mais on sait que ce côté énergique plaît, surtout en festival. C’est quelque chose qui s’est développé de manière organique.
Est-ce que vous avez une relation spéciale avec le public en Italie ?
C : Oui, carrément. Les Italiens comprennent vraiment les textes et ont un rapport plus profond avec notre musique. En France, en Belgique ou en Allemagne, les gens sont plus attirés par l’énergie et le côté post-punk, mais en Italie, c’est vraiment les paroles qui touchent le public. C’est hyper gratifiant, surtout quand les gens viennent après le concert pour nous dire que le texte les a touchés. La première fois qu’on est allé à Milan, il y avait des gens qui chantaient nos paroles, et c’était fou, on ne savait même pas qu’on passait à la radio. C’est un souvenir mémorable et ça a beaucoup influencé le titre de notre album.