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« La Montagne » – Les aquarelles sauvages de Valfret

© Frémok / Valfret
© Frémok / Valfret

Valfret est de retour, accompagné par Comme le vent, et il nous livre une fresque de feu et de bois toute en sensibilité. Publié chez FRMK, cet album indéfinissable dépeint l’existence douce-amère d’un jeune homme dans sa campagne natale. Une quête de sens au quotidien dans un monde en constant mouvement où la poésie survient là où on ne l’attend pas. 

C’est un style graphique très libre qui s’affiche sur ces pages. Des planches à l’aquarelle plus ou moins abstraites se succèdent sur le papier. Elles nous donnent presque l’effet d’un paysage que l’on apercevrait par la fenêtre d’un train. Telles les images de rêves capturées en demi-sommeil, les formes se mêlent, les contours fusionnent, si bien qu’on ne distingue pas toujours clairement les paysages. Les couleurs – froides ou chaudes – explosent au milieu du papier, avec parfois des ajouts au crayon gras ou autres expérimentations.

Le lecteur découvre une ferme familiale, la petite ville rurale qui l’entoure et les flancs des montagnes tout autour. Les visuels nous plongent dans le quotidien du narrateur et illustrent des bribes de ses pensées. Ces réflexions décousues, poétiques et spontanées, courent d’une page à l’autre. Elles révèlent inquiétudes, désirs et doutes dans un univers instable. Comme dans L’été des charognes de Simon Johannin, le lecteur découvre les émotions extrêmes que ressent cette jeunesse du monde rural entre violence, fantasmes, ennui, amour et deuils.

© Frémok / Valfret
© Frémok / Valfret

Sauvage comme une image

Valfret se plait à jouer du décalage. Il prend le contre-pied d’une image poétique en y associant des pensées plus triviales. Ce jeu des contrastes se remarque aussi dans les illustrations : des tags et des carcasses de voitures côtoient les arbres et les ruisseaux. C’est une façon de mettre en lumière la présence de l’humain dans la nature et les conséquences des pollutions esthétiques et surtout écologiques que son mode de vie entraîne. Sans prétention à un quelconque manifeste politique, Valfret et Comme le vent glissent ça et là des indices de leur engagement.

Les images auxquelles ils donnent vie soulignent les paradoxes de notre monde. Elles rendent l’absurdité drôle et amère à la fois. L’album invite à une certaine méditation introspective. Les grands aplats d’aquarelle et les phrases pleines de silence en disent souvent plus qu’il n’y paraît. En préférant aux longs discours référencés des images poétiques simples et réelles, l’album sonne juste. Aussi, quand l’introspection devient trop sérieuse, il réussit toujours à nous faire décocher un sourire.

Dans son style graphique coloré comme dans son esprit contestataire décalé, La Montagne peut rappeler une autre parution de FRMK : le Manuel de civilité biohardcore, co-édité avec les éditions Tusitala. On y retrouvait des planches de Stéphane De Groef et Adrien Herda (dé)construites à la manière de consignes de sécurité parodiques pour faire face aux absurdités d’une société pétrie de contradictions.

© Frémok / Valfret
© Frémok / Valfret

Métamorphoses du dedans et du dehors

En tirant souvent vers l’abstrait et en jouant des flous, les illustrations construisent une peinture très organique, en constant mouvement. La montagne protéiforme n’est jamais deux fois la même et apparaît presque monstrueuse par endroits. Cette évolution picturale mime le mouvement continuel de la vie. Elle avance et évolue en dépit de ce que le narrateur semble lui préférer : arrêter le temps. Pendant le sexe ou grâce aux drogues par exemple, il semble savourer plus que tout ces instants de présent amplifié.

Finalement, ce journal fait de détails, d’images fragmentaires et sensibles cristallise ce temps présent qui souvent nous échappe. L’écriture, la peinture permettent d’encapsuler dans le papier des morceaux de réalité brute et de les partager à d’autres. Pourtant, si les souvenirs s’impriment sur les pages, la nature qui ne cesse de se transformer autour du narrateur l’appelle à entamer, lui aussi, d’une façon ou d’une autre, une métamorphose. 

La Montagne de Valfret, chez Frémok FRMK, 29 euros

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