CINÉMA

« Better Man / Un parfait inconnu » – Biopics antipathiques

Better Man © TOBIS Film GmbH / Un parfait inconnu © Disney
Better Man © TOBIS Film GmbH / Un parfait inconnu © Disney

Deux biopics musicaux sont sortis en ce début d’année : Un parfait inconnu de James Mangold, consacré à l’icône Bob Dylan, et Better Man de Michael Gracey, sur la vie de Robbie Williams. Deux films et deux artistes que tout oppose… à peu de chose près.

À gauche du ring, le raffinement artisanal de James Mangold au service de l’élégant Bob Dylan, à droite, le mauvais goût criard de Michael Gracey (réalisateur de The Greatest Showman) pour le fièrement vulgaire Robbie Williams.

Le premier chanteur cultive une posture d’indifférence pour sa biographie filmée, en refusant de venir aux Oscars. Le second a activement réclamé qu’un film soit fait sur lui. Il en est également scénariste, producteur, et l’interprète principal. Son personnage est représenté à l’image par un singe numérique, un gadget qui ne sert qu’à atténuer la charge égotique du projet – imaginez Robbie jouer son propre rôle dans un biopic à sa gloire…

Deux modalités d’égos, deux revers d’une même pièce. Deux productions très différentes qui ont toutefois en commun de travailler un genre, ou a minima une tonalité : le biopic antipathique.

Le hipster et le clochard

Dylan est cool, et Chalamet aussi. Mais le héros d’Un parfait inconnu est loin d’être le gendre idéal. Plus qu’incorrect avec ses partenaires amoureuses, furieusement égoïste, constamment en train de se mettre en scène… C’est un prodige sans mérite moral. Mangold ne fait pas de scène où le musicien travaille, on ne le voit pas s’arracher les cheveux devant une partition, ni se casser les ongles sur sa guitare. Son instrument, il le gratte mollement, désabusé, et en fait sortir des chefs-d’œuvre sans effort. Son talent est hasardeux, tombé sur lui sans raison et sans mérite. Ce qui le rend aussi attirant qu’insupportable pour son entourage, et pour les spectateurs et spectatrices.

Williams, c’est tout le contraire. Better Man montre un jeune trublion aux dents qui rayent le parquet, en ayant la politesse de ne pas mentir sur les intentions du Britannique. Ce n’est pas un passionné de musique, et certainement pas un esthète. Mais un jeune prolo des suburbs qui ne rêve que de devenir une star, peu importe le moyen. C’est l’anti-Dylan : bruyant, arrogant, il en fait trop, tout le temps. Besogneux mais sans grâce, à la recherche d’un coup de génie qui ne viendra pas. « Cocky » dirait-on outre-manche. Le courage de dresser ce portrait peu flatteur est une des principales qualités du film.

Trop malin pour un singe

Mangold a l’intelligence de s’abstenir de sauver son personnage. Il n’adoucit jamais ses angles, ne lui donne pas d’intériorité ni de justifications. Dylan est là, et il faut bien faire avec. Le petit monde de la musique folk comprend instantanément que ce jeune homme est là tout autant pour les sauver que pour les ringardiser. C’est l’ingratitude des génies, brillamment incarnée dans le regard à la fois admiratif et mélancolique d’Edward Norton.

Côté Better Man, Gracey et Williams ne peuvent s’empêcher d’offrir une rédemption au chimpanzé. D’abord puissant par son arrogance et sa cruauté, il devient tourmenté et comprend qu’il est perclus d’insécurités à cause de son père. Adouci, il se réconcilie avec celles et ceux qu’il a blessé·e·s, et pardonne ses errances à papa. D’un salaud à la vulgarité triomphante, Williams devient un chansonnier sympatoche. Et son biopic, effrayé par l’opportunité d’assumer et de prendre en charge la dimension immorale par nombrilisme de son sujet, se réfugie dans un récit de remise en question et de réparation convenu.

Please, please, please

Ces deux traitements sont représentatifs des deux artistes. Dylan est chic et lauréat d’un prix Nobel. Williams est un chanteur au succès populaire indéniable, mais sans reconnaissance institutionnelle ni critique. Alors, il n’est pas étonnant qu’Un parfait inconnu soit un grand film de James Mangold, et un grand film sur la musique. Pas plus qu’il n’est étonnant que Better Man soit un film sans relief de James Gracey. Mais c’est dommage.

Better Man aurait pu être un bel effort cheap, s’il avait su jouer puissamment son mauvais goût et son incorrection – à la manière d’un The Substance, par exemple. Il s’en approche lors d’une séquence où le chanteur, durant un concert, saute de la scène et massacre son audience dans une boucherie gore. C’est indubitablement la meilleure scène du film, la plus drôle et la plus créative. Malheureusement, elle dure moins longtemps que les longues tartines psychanalytiques sur Williams et papa Williams.

On aurait aimé que l’Anglais s’inspire de Dylan, qui s’est fâché avec la Terre entière, et se rende moins aimable. Mais il faut bien reconnaître que l’énergie angoissée qu’il convoque pour avoir l’air sympathique attire, à défaut de l’admiration, une certaine tendresse.

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