LITTÉRATURE

« Il n’a jamais été trop tard » – Epreuve de perplexité

Lola Lafon prend acte du contemporain comme d’une « histoire en cours ». Il n’a jamais été trop tard est un livre qui dit le temps, ses fracas, interruptions et éclats. 

Lola Lafon prend note des tremblements de notre époque. Il n’a jamais été trop tard se compose de textes qui s’étirent de 2022 à 2024 et s’ordonnent selon une découpe calendaire. Un mois, un chapitre. Echo à ses chroniques mensuelles pour le journal Libération, le livre de Lola Lafon se construit en remettant ces textes sur l’ouvrage et en les cousant d’autres textes, peut-être plus intimes, écrits en italique qui font disjoncter l’implacable chronologie. Son écriture suspend et sursaute.

Je propose qu’on réhabilite l’inquiétude. Inquiétons-nous. (…) C’est une belle faiblesse, un penchant : la capacité à être ébranlé, renversé, même. Nous sommes des inquiets car nous sommes en vie. Parce que nous voyons, parce que nous entendons. C’est un aveu d’humanité.

Lola Lafon – Il n’a jamais été trop tard

Si Lola Lafon formule l’inquiétude, elle avance en regardant le réel en face. Ecrire. Essayer dire l’indicible. Retenir les évènements. Sentir la douleur. Dire l’horreur. Prendre soin des mots. Savoir dire : je ne sais pas. Perçant entre ces tragédies, des gestes de solidarité et de micro-résistance, le tout formant une trame.

« L’écriture ne promettait rien mais permettait tout » 

Lola Lafon sculpte avec le langage dont les mots sont « intimes et collectifs ». Elle observe ce qui fait l’actualité. Elle écrit son saisissement devant la guerre, les massacres, les violences subies par les femmes. « Interrogez, votre grand-mère. Votre mère. Demandez à vos sœurs. À vos copines. À vos collègues. Questionnez celles dont l’entourage vante la “solidité” ». Ici, l’autrice nous convoque, nous, lecteurs, lectrices, à parler avec nos proches et à mettre des mots entre les corps.

Cherchant à éviter les pensées à l’emporte-pièce, elle scrute les dialogues convenus et les formules clichées. Elle dégoupille parfois d’une phrase tragi-comique le cynisme ambiant :« peut-on considérer qu’un rassemblement de plus de six bébés hurlants au passage d’un ministre est une infraction  ? ». Pour faire dérailler les idéologies et les allégations, elle laisse affleurer l’erreur, l’inefficace, l’incertitude. Ce n’est pas le signe d’un a-quoi-bonisme mais bien une respiration qui donne du jeu. Cette marge et ce souffle sont peut être la condition de possibilité de toute discussion.

Si, Il n’a jamais été trop tard nous donne des nouvelles d’aujourd’hui, c’est depuis le regard acéré d’une écrivaine attentive et en colère. Dans un monde d’expertise caractérisé par le « désir d’avoir ce qu’on ne désir pas », Lola Lafon se place du côté de l’amateurisme, pratique de ceux qui font « aussi bien que possible ce qu’ils aiment ». Alors, elle dispose quelques loupiotes. On y lit un poème de Tardieu. On écoute Désenchantée de Mylène Farmer en manif. On célèbre l’amitié indéfectible. On danse parce que c’est une joie politique. Pour ne jamais abandonner le projet de se rencontrer, elle nous enjoint à devenir de « discrets fraudeurs de réel ».

Il n’a jamais été trop tard de Lola Lafon, Stock, 19,50euros.

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