Sélectionné dans le Focus Balkans au FIPADOC, Mes Grandes vacances est l’un des chapitres d’un diptyque documentaire réalisé par Petra Seliškar. Durant cinq étés, la réalisatrice slovène a exploré les montagnes macédoniennes, et rencontré une fratrie d‘éleveurs. À travers leurs yeux, et leurs mots, elle interroge l’avenir du milieu berger.
Fin de l’année scolaire. Dans sa salle de classe à l’ambiance détendue, le professeur sonde les destinations estivales de ses élèves. Ce sera un séjour à l’étranger, ou bien des visites diverses à la famille. Quel que soit leur programme, les grandes vacances sont attendues. Celles de Basri, huit ans, s’annoncent certes plus atypiques que celles de ses camarades, mais classiques pour lui. Comme les années passées, le garçon s’apprête à passer les deux prochains mois en montagne, avec ses frères aînés. Ils sont bergers, et s’occupent à l’année de centaines de moutons.
Pour Basri, c’est un gigantesque terrain de jeu. C’est aussi l’occasion d’apprendre le métier, et de passer du temps avec ses grands frères, à qui il voue une véritable tendresse. Pour ces derniers, bien que contents de voir leur cadet, cette activité devient de moins en moins évidente. Narré par Basri, le récit de Petra Seliškar dépeint avec sagacité et humour la réalité de l’été dans les pâturages, et les enjeux auxquels chacun·e doit faire face.
Liberté totale
Basri a cinq frères et deux sœurs. Ces dernières restent au village – été inclus -, avec le benjamin. Les plus grands, eux, passent le plus clair de leur temps à 2 500 mètres d’altitude. Du « directeur » au « cow-boy », chacun a sa fonction. Entourés de chiens, de moutons, et de vaches, ils réussissent à subvenir ainsi à leurs besoins quotidiens. Ils ne sont pas ou plus scolarisés dans le système classique, et ne suivent pas d’apprentissage à distance. En revanche, ils connaissent la montagne comme leur poche, et entretiennent leur cabane perchée sur les hauteurs. Et si le temps se gâte, ils sont capables de – bien – survivre sans électricité ni Internet.
Chaque été, Basri poursuit son apprentissage des tâches et des techniques qu’impliquent l’élevage. Par canicule ou grêle, et qu’il soit midi ou deux heures du matin, le bon état du troupeau passe en priorité. Cela demande un fort investissement, et les frères s’y adonnent sans relâche. Ils aiment leur métier, et leurs animaux. De plus, ils savent qu’ils seront récompensés par de beaux moments de complicité, et de longues contemplations de la nature. À travers quelques piques, mais une générosité sincère, c’est tout un héritage qu’ils transmettent à Basri. Consciencieux, mais non moins facétieux – en témoignent ses traits d’humour en voix-off -, le garçon veut bien faire. Pour soutenir ses frères, d’abord, puis dans l’éventualité de prendre un jour le relais.

Avenir incertain
Malgré son jeune âge, Basri est en mesure de cerner les inquiétudes de ses frères. Aucun ne peut se prononcer sur la suite des activités dans les prochaines années. Si la montagne et l’élevage regorgent de promesses, ces dernières s’éloignent de plus en plus de la réalité moderne qu’ils observent en ville, particulièrement chez les jeunes de leur génération. Beaucoup de choses se jouent sur Internet, du moins par téléphone. Et ce, même dans leur métier. Il faut bien réussir à joindre l’ami qui a « emprunté » une chienne pour une saillie, mais ne se presse pas de la ramener à ses propriétaires. Se rendre sur place, c’est devoir marcher des dizaines de kilomètres durant. Reste la possibilité d’appeler mais, là encore, la réalité prend le dessus : le réseau ne se trouve qu’en haut de la montagne.
Et de là-haut, les jeunes bergers ne peuvent ignorer la réalité qui avance sous leurs yeux, même dans la vallée toute proche. Si leur grand attachement à cet environnement unique les retient encore un temps, ils sont les premiers à affirmer leur tiraillement. L’un d’eux l’affirme : « Je pense qu’on est la dernière génération à négocier encore avec la montagne. » L’automne arrive, et il faut faire des choix.
Avec finesse, Mes grandes vacances ausculte le rapport à la vie et au travail dans la nature. À 8, 13, 17 ou 20 ans, ce lien est différent. Au fil du temps passé avec eux, Petra Seliškar témoigne avoir appris à observer les choix de chacun·e avec une vraie objectivité. Et montre avant tout que ce quotidien, sous ses airs de liberté – ces bergers coupent court avec nombre de normes capitalistes -, est loin d’être dénué de lourds sacrifices.
Tôt ou tard, Basri et ses frères devront faire face à l’ultime réflexion – déjà en marche pour certains – à propos de leur place dans un métier ancestral. Face aux enjeux écrasants de la modernité induite par les sociétés contemporaines, ce dernier perd du terrain. Heureusement pour la fratrie, l’optimiste reste de mise. « Si la montagne me manque, j’y retournerai ; mais elle ne me manquera pas, car elle ne bougera pas. »