CINÉMA

CINÉ-CANAPÉ – FÉVRIER

Maurice's bar, un documentaire animé de Tzor Edery et Tom Prezman (2023). Ciné-canapé du moins de février 2025.
Maurice's bar © Sacrebleu Productions

Tous les troisièmes vendredis du mois, les rédacteur·ices de Maze vous proposent une sélection de films à voir (ou revoir) sur les plateformes VOD. Au programme de ce mois de février : Carl Theodor Dreyer, Chantal Akerman, Tzor Edery et Tom Prezman. Une sélection éclectique, qui mêle les époques, les formats, et les techniques.

Vampyr, ou l’étrange aventure de David Gray, de Carl Theodor Dreyer (1932)

L’image de cette silhouette de dos, vêtue d’un large imper’ et coiffée d’un chapeau aux larges bords, sonnant une cloche d’une main, et tenant de l’autre, avec l’appui de son épaule, une très grande faux, est devenue iconique de ce film de Carl Theodor Dreyer. Le cinéaste danois, dont il s’agit du premier film parlant, s’attaque ici au film de vampire. Un genre déjà balisé par Nosferatu de Murnau (1922) et Dracula de Browning (1931). Autant dire que l’approche de l’auteur de La Passion de Jeanne d’Arc (1928) est pour le moins déstabilisante. Vampyr poursuit en outre la collaboration avec le chef opérateur polonais Rudolph Maté, déjà présent sur le tournage du chef-d’œuvre portant sur la Pucelle d’Orléans.

Co-production franco-allemande, il s’agit de l’histoire onirique et cauchemardesque de David Gray (appelé Allan Grey dans la version allemande). Celui-ci est interprété par le baron Nicolas de Gunzburg – dont c’est l’unique film –, usant du pseudonyme de Julian West. Gray, fraîchement installé dans une auberge un peu sinistre où il compte passer la nuit, reçoit la visite d’un homme qui lui confie un paquet. Celui-ci porte les consignes indispensables à son ouverture  : le contenu ne pourra être révélé qu’après la mort du visiteur. Une fois cette condition remplie, Gray entre en possession d’un ouvrage sur les vampires.

Pour le moins énigmatique, le film est visuellement passionnant. Dreyer emploie de nombreux trucages et effets visuels pour servir un univers intriguant, parfois franchement obscur, mais résolument angoissant. Multiples jeux d’ombres, contrastes forts, surimpressions, défilement inversé d’images jalonnent le parcours troublant de Gray. De plus, en dépit de l’utilisation du son, le film emprunte encore très largement aux codes du cinéma muet, ce qui l’installe dans une sorte d’onirisme étrange et angoissant. Avec comme point d’orgue, un enterrement dans la vision subjective d’un cadavre.

Échec critique et commercial, il faudra 10 ans à Dreyer pour revenir derrière une caméra, avec Jour de colère en 1943.

À voir (ou revoir) sur UniverCiné (abonnement)

Matthieu Miséré

Les Rendez-vous d’Anna, de Chantal Akerman (1978)

Plusieurs films de la cinéaste Chantal Akerman sont disponibles gratuitement sur la plateforme Arte TV. On y retrouve quelques chefs d’œuvre qui ont jalonné sa filmographie, comme Les Rendez-vous d’Anna. Sorti en 1978, après Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles et News From Home, le film raconte les tribulations d’une cinéaste en promotion pour son nouveau film à travers l’Europe. Différentes villes – Essen, Bruxelles, Paris – accueillent Anna dans cette Europe de l’après-guerre, et résonnent entre elles par les espaces de solitude qu’elles abritent. Ce sont des lieux de transits : halls et chambres d’hôtels, quais de gares, trains. Des espaces faits pour se retrouver, autant que se séparer.

Akerman poursuit, avec ce film, son travail autour de l’errance et de la dérive après Je tu il elle, Jeanne Dielman et News From Home. Anna est une passagère. Des trains, et de sa propre vie. Elle fait la rencontre de plusieurs personnes, qu’elle abandonne ensuite. Elle les laisse sur le palier d’une porte ou sur le quai d’une gare. Il y a une forme de flou narratif autour de ce personnage. On ne sait rien du film qu’elle a réalisé. Ni de sa carrière de cinéaste. Rien non plus de sa vie personnelle, ni de son enfance. C’est un personnage nomade qui a du mal à s’inscrire durablement dans un lieu, qui habite un espace toujours intermédiaire. Une existence en mouvement que la cinéaste figure à travers de longs plans fixes.

C’est aussi un film aussi sur la mémoire de la guerre et de la Shoah, qui se réactive à chaque rencontre, et hante les plans. Une mémoire transgénérationelle – la mère de Chantal Akerman fut déportée à Auschwitz -, qui irrigue toute l’œuvre de la cinéaste. Un film qui questionne la possibilité d’une reconstruction après les malheurs du passé, ainis que les liens qui se font et se défont. Et qui nous rappelle surtout que ce que l’on possède, ce n’est que l’instant.

À voir (ou revoir) sur Arte.tv (accès gratuit)

Tess Noonan

Maurice’s bar, de Tzor Edery et Tom Prezman (2023)

Maurice’s bar nous plonge le temps d’une soirée dans l’univers d’un des premiers bars queers de Paris, le Maurice’s bar. Tzor Edery et Tom Prezman restituent avec extase et inventivité son ambiance flamboyante. De cette archive oubliée se fabrique un songe éveillé, entre rêve torride et cauchemar fiévreux. Si ce lieu est celui des amours libres et des transgressions des normes, il reste sujet aux descentes de police arbitraires. Malgré cette menace qui rôde, les voix, les genres et les corps se mêlent. Les dessins et la narration convoquent cette fluidité qui y est célébrée. Les tons passent du gris pâle à un rouge sang. Le dessin d’une errance autour d’un détail visuel, à une performance de drag chantée.

Le court métrage déploie une animation riche en symboles et en détails visuels. En cela, il échappe à toute forme de prévisible. Si l’on est guidé·es par la voix suave de la drag queen Soa de Muse, il est impossible de deviner de quoi sera fait la prochaine image. De ce fond historique nait un fantasme digne d’esquisses de Jean Cocteau ou de tableaux surréalistes. En ressort un moment communautaire jouissif et précieux, malgré un contexte cruel qui finit par le briser.

À voir (ou revoir) sur Mubi (abonnement) ou Arte.tv (accès gratuit)

Julie Tronchon

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