Livre court et incandescent, Brûlées parait en poche en ce début d’année. L’autrice catalane Ariadna Castellarnau y déploie un univers dystopique mystérieux.
Un homme et une femme se départagent la dernière pêche en conserve. Après ce petit bout de fruit orange, il n’y aura plus de nourriture, seulement la faim. Il est donc crucial de savoir qui aura la chance de manger en dernier mais aussi qui aura le malheur de mourir en dernier. La femme gagne. Avec une abondance de détails nets, Ariadna Castellarnau décrit ensuite la faim qui dévore les corps à petit feu dans ce premier chapitre. Cette faim est une des nombreuses autres « dévorations » que l’on peut compter dans Brûlées comme celle du feu ou encore de la haine.
Pour raconter comment le monde perd ses repères et sombre dans le désordre, Ariadna Castellarnau commence littéralement par la fin. Lorsque le livre s’ouvre, le chaos est déjà installé, accepté, compris. Aucun personnage ne se demande ni pourquoi ni comment le monde a basculé. Les animaux ont disparu, tous les meubles, tous les objets sont brûlés, inutiles et méprisables. L’autrice signe avec Brûlées une dystopie post-apocalyptique placée sous l’égide de Günter Grass et J. G. Ballard cités en exergue.
La lumière commençait à s’atténuer. Les ombres descendaient des murs vers le sol. Devant chaque maison il y avait un tas. Celle qui avait vécu loin perçut qu’il y avait un ordre dans tout cela. Dans chaque tas. Un nouvel ordre plus ferme, plus clair et organique que l’ordre qui avait jusqu’alors dominé le monde.
Ariadna Castellarnau, Brûlées
Le renversement
Ces dernières années, la dystopie s’impose de plus en plus comme genre incontournable. Un âge d’or pour des livres qui décrivent des âges sombres : Viendra le temps du feu, Le Temps d’après, Cérémonie d’orage… Que nous disent ces déclinaisons effrayantes de mondes au bord du gouffre ? Feux dévorants, eaux insatiables, à grand renfort de métaphores filées, les auteur·ices mettent en garde et imaginent le pire pour penser le présent. Ariadna Castellarnau se défend cependant de parler dans son livre de fin du monde :
Je n’ai jamais pensé à raconter la fin du monde. Trop prétentieux ou trop biblique à mon goût. J’étais beaucoup plus intéressée par les relations humaines dans un contexte de manque, pas de pauvreté, mais de manque absolu, de terres brûlées. Et la question qui me traversait l’esprit au moment où j’écrivais était : que reste-t-il de l’humain quand tout le matériel qui nous entoure disparaît ?
Ariadna Catsellarnau
Le livre se structure en huit chapitres, pareils à des nouvelles, où chacun est l’occasion du point de vue d’un personnage. L’autrice décline sa vision du retour à l’état sauvage et raconte – de la fin au commencement – un monde qui sombre et des humains qui survivent sur des terres brûlées. Dans ses descriptions, elle n’atténue ni la douleur, ni l’horreur. Que reste-t-il de l’humain quand tout disparaît ? Peu de choses sauf peut-être les cendres d’un Grand Feu murmurent les pages du livre.
Le dernier hiver avant le Grand Feu fut féroce. Une fine et invisible couche de glace se posa sur le village, effaça le ciel et fondit tous les jours en un même jour. Les feux brûlaient dans les cheminées, mais ne parvenaient pas à chauffer les maisons. […] Beaucoup de chiens et d’animaux de ferme moururent.
Ariadna Castellarnau, Brûlées