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47e Festival International du court métrage de Clermont-Ferrand – Les enfants sont des gens sérieux

Un conte très tordu de Catherine Buffat et Jean-Luc Gréco © Les Films à carreaux
Un conte très tordu de Catherine Buffat et Jean-Luc Gréco © Les Films à carreaux

La semaine passée s’est tenue la 47e édition du Festival International du court métrage de Clermont-Ferrand. Une édition marquée par un fil rouge : l’examen – critique – de l’institution familiale. L’occasion pour nous, d’analyser la façon dont le cinéma d’aujourd’hui se rapporte à ce thème de toujours.

Présence condensée sur trois jours oblige, cet article se concentre sur les films de la compétition Nationale et sur ceux de la compétition Labo.

Le Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand est devenu un point de passage obligé pour les cinéastes du monde entier, en témoignent les près de 9 000 films reçus par les différents comités de sélection. L’on peut affirmer, sans trop exagérer, que celui qui se fait désormais appeler Le Court – à la suite de la définition, bienvenue, d’une nouvelle identité visuelle – reçoit, plus ou moins, l’essentiel de la création audiovisuelle mondiale, catégorie format court.

Ce dernier, qu’il soit de fiction, documentaire, expérimental, ou bien encore inclassable, est une forme qui favorise les récits intimes, proches de la vie de celles et ceux qui le réalisent. Cela pour deux raisons. D’abord, car il s’agit souvent de la porte d’entrée «  en cinéma  » de jeunes cinéastes. Une grande partie des films projetés à Clermont-Ferrand, sont des premiers, deuxièmes ou, au pire, troisièmes films. Avant de courir, il faut bien apprendre à marcher. Et cela passe souvent par le fait de mettre en récit et en images une expérience, ou un souvenir, inspirés de la vie des réalisateur·ice·s.

« Des films pour rien »

Ensuite, car le court métrage, libéré des contraintes de production de son grand frère, offre une plus grande liberté artistique à ses créateur·ice·s. Les films longs qui parviennent jusqu’à nos salles sont marqués par l’empreinte, plus ou moins forte, de nombreux intermédiaires. Ils ne sont jamais l’application d’une idée pure d’un·e génie créateur. Mais bien le fruit d’un long processus de création, dans lequel la dimension économique joue un rôle prépondérant. Le cinéma est un art, mais aussi – et surtout – une industrie.

Ce bref rappel pour nous permettre de mieux situer la spécificité du court. Jamais vraiment rentable, jamais vraiment vu ailleurs qu’en festivals, ces films sont des «  films pour rien  ». Une formule glissée par un ami au retour d’une séance Labo particulièrement dense. Il faut entendre dans cette formule un peu provoc’ toute la force du court  : peu, ou pas, d’intermédiaires, pas d’injonction à la rentabilité. Le film court, dans ce qu’il a de meilleur, nous donne un accès quasi direct à la psyché de celui ou celle qui le réalise. C’est un rendez-vous pris avec les rêves et cauchemars de ces derniers.

Chère famille

Une double spécificité particulièrement remarquable lors de cette 47e édition du Festival International du court métrage de Clermont-Ferrand. Car quoi de plus primaire et de plus intime que la famille  ? Les récits familiaux ne se font pas rares dans les festivals consacrés au format court. Mais, cette année, les réalisateur·ice·s abordent ce thème universel sous un angle critique féroce. Ce dernier n’est pas novateur en soi, mais marque ici par sa récurrence. Comme si la mise à distance, voire la destruction, du mythe de la sacro-sainte unité familiale, était devenue une norme chez les jeunes cinéastes.

Car ce qui transparait des sélections des compétitions Nationale et Labo, c’est que la famille n’est plus ce lieu où amour, sécurité, confiance, et tendresse, règnent sans partage. Au contraire, la famille est, ici, considérée comme une institution sociale. Comme le premier lieu de socialisation. L’endroit où se font et se défont les liens qui unissent les enfants à leurs parents, ainsi qu’aux autres. Surtout, dans la très grande majorité des films en compétition à Clermont-Ferrand cette année, la famille est envisagée comme le lieu où naissent des blessures qui ne finissent jamais de guérir.

Évidemment, le ton de cette critique n’est pas homogène. Et une claire gradation se dégage des différents films en compétition.

Les Dernières neiges © Ad Vitam Court

We are family

A ce titre, Les Dernières neiges de Sarah Henochsberg vient révéler les rouages du récit de l’unité familiale. Un couple tout juste séparé emmène, pour une dernière fois, ses deux petites filles en vacances au ski. La mère et le père deviennent alors, de façon assez exemplaire, des rôles de composition. Chacun tient son rôle, en public, pour maintenir l’évidence de la famille heureuse et fonctionnelle.

Un papa, une maman, et deux petites filles adorables  : quel titre autre que celui de famille, pourrait porter ce groupe aux allures de modèle  ? Intelligemment, la réalisatrice vient fissurer ce script parfait via un hors champ sonore lourd de conséquences. Les voix basses des deux parents s’engueulant dans la salle de bain viennent se superposer à l’image d’une des deux petites filles dans le hall de l’appartement. Ce que les adultes cachent aux enfants, finit, bien souvent, par leur parvenir. Et par les marquer. Parfois à vie.

La famille devient alors le lieu de la cristallisation de rancœurs liées à des attentes démesurées. Dans Merci pour le souvenir (Mathias Gokalp), le jeu de (dé)composition des rôles familiaux y atteint un extrême. Une mère « engage » un sosie de son défunt mari, à qui elle fait jouer une partition qu’elle voudrait parfaite. Et alors que la fille, d’abord en colère face à ce qu’elle considère comme un jeu malsain de sa folle de mère, voit dans la rencontre avec cet homme une façon de faire du ménage dans l’histoire familiale, la mère, elle, finit par le congédier.

Lui qui, jouant son rôle trop parfaitement, la renvoie à l’exigence sociale qui pèse sur chacun·e pour être une famille, au sens traditionnel du terme. Elle ne peut supporter d’être assignée au rôle d’épouse et de mère. Et ce, par «  le regard accusateur de celui, qui, par-delà sa tombe jugeait sa vie.  » La fille, bien qu’ayant atteint l’âge adulte, subit là encore la décision arbitraire de sa mère.

Des enfants aux histoires bizarres

Car c’est bien à hauteur d’enfants, peu importe leur âge, que les cinéastes de ce 47e Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand posent leur caméra. Iels scrutent les marques physiques et psychologiques laissés par les différents rapports de domination au sein de la cellule familiale.

Exemplairement dans Un Conte très tordu de Catherine Buffat et Jean-Luc Gréco. Le jeune Brindone, embêté chaque soir par son grand frère Musclor, et poussé à bout, finit par se tordre et se replier, littéralement, sur lui-même. L’animation toute en distorsions, ainsi que la forme narrative du conte, sont autant de rendez-vous donnés aux spectateurs avec leurs cauchemars infantiles.

A croire que la dédicace adressée par Paul Kermarec, réalisateur du très beau Ni Dieu Ni Père, à «  tous les enfants aux histoires bizarres, et encore plus à ceux qui n’ont pas le luxe de pouvoir les raconter  », pourrait être apposée à chaque film apparaissant dans cet article. Tant chacun·e se saisit l’outil cinématographique pour proposer un récit alternatif à celui qui prévaut dans l’espace public. Et tordre ce dernier, jusqu’à le faire imploser.

Ni Dieu ni Père © Paul Kermarec

« Ça va aller, mon chéri »

Dans le complètement barré Bunnyhood, Mansi Maeshwari vient dynamiter le postulat faisant de la confiance accordée à sa mère par un enfant une donnée universelle et immuable. Dans une animation qui confine au psychédélisme, la réalisatrice expose le rapport ambivalent entre vérité, mensonge et confiance. L’histoire est simple. Une mère ment à plusieurs reprises à son enfant sur la destination et le but de leur expédition. Pour, finalement, l’emmener à l’hôpital subir une ablation de l’appendice. Mansi Maeshwari expose cruellement le gouffre qui existe entre ce que les parents pensent être bon pour leur enfant, et ce qui l’est réellement.

Et, lorsque l’enfant demande : «  Pourquoi tu ne m’as pas dit la vérité  ?  », la justification prend la forme d’une maxime aux allures de vérité éternelle  : «  Quand tu aimes quelqu’un comme je t’aime, tu as parfois besoin de lui mentir pour le protéger  ». Et pourtant, il apparait bien vite qu’à ce jeu, personne n’est dupe. Notamment lorsque la mère interroge son enfant  : «  Tu me fais toujours confiance  ?  » Une question qui sonne bien plus comme un moyen de se rassurer, que comme une interrogation sincère. «  Bien sûr  », lui répond le petit Bunny, qui sait ce qu’il faut répondre. Le mensonge se justifie pour maintenir l’illusion de l’unité familiale.

Une question de société

Avertissement  : les lignes qui suivent parlent de violences sexuelles et d’inceste.

Une fonction du mensonge que l’on retrouve dans deux autres films qui viennent exposer l’institution familiale dans ce qu’elle a de pire. Dans Xristos Anesti (Justine Bo) et Supersilly (Veronica Martiradonna), la famille est le lieu où s’exercent les pires violences – notamment sexuelles. Elle prend aussi la forme d’un système dans lequel les victimes sont constamment renvoyées au silence. Sacrifiées sur l’autel de la sacro-sainte unité familiale.

Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que, chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles. Et que dans 81 % des cas, l’agresseur est un membre de la famille[1].

L’inceste n’est pas un sujet nouveau au cinéma. Mais les deux réalisatrices sont à des années-lumière de la façon dont le cinéma s’en est emparé jusque-là. Bien loin de gommer le malaise que devrait susciter, auprès du spectateur, une telle violence (Léon, Luc Besson  ; Le Consentement, Vanessa Filho  ; L’Été dernier, Catherine Breillat), Justine Bo et Veronica Martiradonna plongent le spectateur dans l’horreur du viol d’enfants. Et ce, en choisissant deux chemins narratifs et esthétiques bien différents.

Xristos anesti est une fiction en prises de vues réelles. La jeune Agnès, onze ans, tente d’échapper à la danse imposée avec son oncle lors d’une fête chrétienne orthodoxe. La mise en scène, toute en suggestions et en ellipses, ne laisse pourtant aucun doute sur la violence subie par l’enfant. Une violence redoublée par l’aveuglement dont font preuve la mère et la tante de cette dernière. Jusqu’à un dernier plan, cruel, dans lequel les deux femmes s’agacent face à cette tache de sang sur son linge blanc « qui ne partira jamais ».

SuperSilly © Veronica Martiradonna

Esthétique éthique

Là où Xristos anesti convoque l’imagination du spectateur via toute une série de symboles et de métaphores, Supersilly expose la cruelle réalité aux yeux de tous·te·s. Veronica Martiradonna utilise une animation aux dessins d’une simplicité enfantine pour créer un univers saturé de références sexuelles explicites et violentes. Le tout est doublé d’une bande sonore qui hante le film de boucles univoques, telles que «  It was juste a game  » / «  You know it is not just a game, little bunny  » [2]. Ici, impossible pour le spectateur de ne pas voir, ni de ne pas comprendre.

Ces deux films ont des parti pris esthétiques forts, qui sont aussi des partis pris éthiques. Xristos anesti, tourné en prise de vues réelles, fait le choix de l’ellipse des scènes de violence. Dans ce régime d’images, tout montrer pose des questions éthiques bien réelles. Et, bien souvent, un tel parti pris produit l’inverse de l’effet recherché, tant la violence sidère et aveugle le spectateur. Nous en avions déjà discuté à propos de Bowling Saturne et de La ragazza ha volato.

Au contraire, l’animation permet à Veronica Martiradonna de mettre en images ses pires cauchemars. Comme s’il fallait parfois se décoller du réel pour s’y cogner encore plus fort. Rappel, s’il en fallait, qu’esthétique et éthique cheminent toujours côte à côte.

Quoi qu’il en soit, les deux réalisatrices fournissent un travail sérieux. Et cela, à propos d’un sujet sérieux, « comme les enfants font un travail sérieux parce que les enfants sont des gens sérieux, qui mènent leur vie sérieusement »[3].

Tout ce sérieux présenté par les cinéastes sélectionné·e·s lors de ce 47e Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand nous offre un état des lieux bien sombre. Et une question se pose alors : de quoi le mot « famille » peut-il encore être le nom ? Que (re)reconstruire sur ses ruines ?

Faire famille

Un peu d’espoir. Car Familiar (Marco Novoa) et Nous les prochains (Florent Gouëlou), offrent deux propositions artistiques bien différentes, qui s’articulent pourtant autour de la même idée  : celle de famille choisie.

Familiar est un film de vampires. Marqué par des inspirations lynchiennes, et porté par un casting bien identifié avec Flora Fishbach et Le Filip (gagnante de la 3e édition de Drag Race France), un jeune garçon gay se fait abandonner par ses parents biologiques. La métaphore n’est pas très subtile, certes. Mais elle a le mérite d’être claire  : lorsque le jeune homme se fait vampiriser par le personnage campé par Le Filip, il est ramené à la vie et se fait alors adopter par une famille d’un sang nouveau.

Dans un registre plus proche de l’auto-fiction, Florent Gouëlou célèbre, à travers ses performances drag en Javel Habibi, ces liens choisis et chéris. Et si l’«  on ne peut pas se désabonner de famille  », on peut, et parfois on doit, aller s’inventer ailleurs, auprès de ses adelphes.

Un parcours bien connu des personnes queers et marginalisées. Pour qui trouver une façon de faire famille dans la constitution de liens de solidarité et d’entraide avec celles et ceux pour qui ce terme, pourtant si commun, n’avait jamais vraiment fait sens auparavant, relève bien souvent de la survie.

Des perspectives politiques et esthétiques qui posent un regard juste sur ce monde à la fois si lointain, et pourtant toujours présent chez chacun·e, qu’est l’enfance. Faut-il, comme le suggère le magnifique film d’animation Le Pantin et la Baleine (Roberto Catani), renoncer à cet âge fait de terreurs et de secrets parfois inavouables  ? Nous avons envie de croire que non. Mais si, et seulement si, le cinéma, comme le reste de la société, continue à, enfin, considérer cet âge avec tout le sérieux qu’il mérite.


[1] Chiffres tirés de la Synthèse des travaux de la CIIVISE, 2023, https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-2023.

[2] «  Ce n’était qu’un jeu  » / «  Tu sais que ce n’était pas qu’un jeu, mon lapin  ».

[3] Rapport d’activité de la CIVIISE, 2023, p. 9.

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