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Rencontre avec Victor Solf : « J’ai l’impression de sortir mon premier album »

Victor Solf © Estévez + Belloso

De la soul en français. Voilà le défi que s’est lancé Victor Solf pour son nouvel album, Tout peut durer. Un disque intime et épuré, puissant et intemporel.

C’est un album qui s’ouvre sur quelques notes de piano. Quelques sons électroniques. Puis la voix à la fois aérienne et ancrée de Victor Solf, comme une promesse. Tout peut durer, nouvel opus du chanteur et musicien franco-allemand, paraît sur le label Glory Box (Johnny Jane, St Graal) ce 24 janvier 2025. Après ses premiers pas musicaux avec le groupe de rock rennais The Popopopops, puis le duo Her, Victor Solf entame aujourd’hui un nouveau chapitre de sa carrière : un album soul, en français. Douze titres entre tradition et modernité. Rencontre.

La grande nouveauté de cet album, c’est qu’il est intégralement chanté en français. Avant, tes textes étaient en anglais. Pourquoi avoir pris ce virage ?

Ça s’est fait assez naturellement. À chaque album, j’essaie de sortir de ma zone de confort, pour retrouver une certaine excitation. C’est ça que je cherche quand je crée : ressentir des émotions très fortes. Pour mon album précédent, c’était le travail du piano. Là, le français a été comme un déclic parce que je me suis rendu compte que c’était une sacrée montagne à gravir. Pour moi, c’est une manière assez différente de chanter, une musicalité des mots qui est très différente, un poids des mots différent aussi… J’ai trouvé cet exercice passionnant.

Tu parles de poids des mots. Est-ce que le français t’as permis d’aborder cet album avec plus de sincérité ?

En tout cas, c’est la direction que j’ai choisie pour ce disque. Le thème de l’album, c’est l’ultra intime. Chercher la vulnérabilité, la fragilité, parler de choses dont je n’oserais pas forcément parler. C’est une porte que j’ouvre vers mon intimité. Et j’ai eu la chance de rencontrer des paroliers qui m’ont aidé à comprendre comment je voulais chanter en français, les thèmes que je voulais aborder, les mots que je voulais employer… Tout ça a pris presque autant de temps que la musique.

Comment s’est passé ce travail avec les paroliers ?

Je suis très humble par rapport à ce que je pense savoir faire, ou pas faire. Les paroles, j’ai essayé… Mais assez rapidement, j’ai vu que j’étais assez limité. C’est un travail en soi, et je ne voulais pas aborder le français en prenant ça à la légère. Je voulais vraiment y passer du temps et être capable d’échanger avec des plumes, des grands paroliers. Je me suis dit que si je faisais ce travail seul, ça serait pauvre.

Il y a notamment Vincha, qui a écrit huit textes. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

C’est assez drôle : je m’étais fait une rupture du tendon d’Achille au basket, j’étais complètement immobilisé. J’ai demandé à mon manager de trouver un parolier pour que je puisse travailler de la maison, qu’on puisse vraiment accélérer le processus d’écriture. Je faisais déjà des sessions avec des potes, mais ça prenait du temps, c’était fastidieux… Je n’avais plus envie de travailler comme ça. Donc on s’est rencontrés comme ça, grâce à mon manager.

Ça a été le coup de foudre direct : on n’a gardé que huit textes, mais on en a écrit 14 en trois mois. C’était vraiment un rituel. Je travaillais sur mes piano-voix, je lui envoyais quelque chose en milieu d’après-midi, en fin d’après-midi il me renvoyait quelque chose, avec des textes, plein de propositions… C’est un grand créatif ! Puis on se retrouvait après pour repasser sur tout ça. Il me connaît bien, il m’avait déjà vu avec Her ou en solo, donc ça nous a fait gagner beaucoup de temps. Il connaissait ma voix, il se doutait de ce que j’aimais ou pas.

J’ai réussi à m’ouvrir, à être plus à l’aise, à parler de choses intimes

Victor Solf

Tu le disais, ces échanges t’ont aussi aidé à comprendre les thèmes que tu voulais aborder…

C’est tellement vaste, quand tu décides de chanter dans une autre langue. Tu peux décider de mettre beaucoup d’onirisme, beaucoup de mots, de faire du surréalisme… Tout est possible, j’ai expérimenté plein de trucs !

Le premier titre avec lequel j’ai eu un déclic, c’est « Figur ». C’est une chanson sur l’absence du père dont j’ai écrit les couplets avec Barbara Pravi. Comme on était déjà amis, j’ai réussi à m’ouvrir, à être plus à l’aise, à parler de choses intimes. Quand la session s’est terminée, je ressentais des choses très très fortes. Je me fais toujours confiance, dans ces moments-là. Quand j’aime quelque chose, ça peut être très puissant.

Vincha est arrivé quelques semaines après, ce qui est pas mal car je n’étais plus dans le flou total. J’ai réussi à comprendre que pour cet album, même si je n’étais pas à la base de chaque mot, je me devais d’être à la base du thème. Et je me devais d’être capable de le porter. Plus c’est intime, mieux c’est pour l’album.

Combien de temps a duré le travail sur cet album ?

Ça a été plus long que d’habitude, deux ans et demi. J’ai un peu l’impression de sortir mon premier album, d’avoir 18 ans ! C’est ça qui est génial quand tu changes de langue : tu peux te réapproprier des thèmes et avoir la sensation que tu les chantes pour la première fois.

Je suis hyper en phase avec ce disque. J’ai tout réalisé et choisi le casting des neuf musiciens qui sont sur l’album. J’ai drivé tout ce petit monde, c’est quelque chose avec lequel je suis très à l’aise. Pour l’arrangement des cuivres, j’ai travaillé avec Fred Pallem, et Bastien Doremus m’a aidé des premières prises définitives au mixage. On a travaillé main dans la main.

J’ai pris l’habitude d’être très impliqué dans la manière dont on fait les prises de son, et dans le choix de ce qu’on va garder de mes démos, du live… Il fallait trouver un équilibre. Ce que j’aime, c’est le côté hybride entre les démos assez synthétiques, et toute la magie organique du live. J’ai toujours travaillé avec ces deux mondes. Et cette fois, tout était très écrit, c’était nouveau pour moi. Je n’avais jamais autant écrit et arrangé !

J’ai dû réapprendre à chanter beaucoup plus simplement et humblement

Victor Solf

L’album a une esthétique assez épurée. Est-ce que ça permet d’aller vers plus de simplicité – sans être simpliste ?

En ce qui concerne la voix, j’avais des automatismes soul, où on est beaucoup plus expressif. Mais ça posait parfois problème avec la voix en français, parce que le poids des mots est différent, il y avait un côté presque « ton sur ton ». Sur « Le meilleur de toi », par exemple, ça a été très difficile : le thème est hyper intense, ça parle de gérer l’absence, et je trouvais que quand je chantais trop, ça venait gâcher la chanson… J’ai dû réapprendre à chanter beaucoup plus simplement et humblement. C’est dingue de se rendre compte que les mots en français transpercent bien plus quand je mets de la simplicité dans ma voix, plutôt que quand j’essayais d’être un peu grandiloquent.

Cette simplicité, ce minimalisme, c’est un peu le Graal pour moi. C’est la quête de ma vie en tant qu’artiste. De réussir à avoir quelque chose de très simple mais en même temps de très exigeant, très travaillé et de ne mettre aucune arrogance ni aucun ego. En musique, les Beatles ont réussi à faire tellement de titres comme ça, Radiohead aussi, Frank Ocean… Je suis fasciné par cette possibilité de pouvoir toucher tant de monde, et de n’avoir pris personne pour un con ! (rires) C’est pour ça que, dès que je peux, j’essaie de mettre de la simplicité.

Tu as quitté la région parisienne il y a cinq ans pour t’installer dans le Finistère. Est-ce que ça t’a permis de t’épanouir artistiquement ?

Le grand changement, c’est que quand j’étais à Paris ou Rennes, je faisais venir des potes assez rapidement quand je commençais la création. Pour avoir leur avis, jammer… C’était assez agréable. Là, je ressentais beaucoup moins le besoin de les faire venir et prendre part à la création aussi tôt. Et au final, quasiment jusqu’au bout, c’est vraiment un album que j’ai sorti de moi-même. Au début, ça m’a fait bizarre. Je ne le vivais pas forcément si bien que ça, ce sentiment de solitude. Mais au final, c’est génial parce que ça m’a forcé à aller creuser plus profondément en moi.

Je ne fais pas de la musique pour être tout seul

Victor Solf

Avant, tu étais dans des groupes, sur ce projet vous avez pas mal joué en collectif, pourtant c’est ton projet solo… Tu n’as plus envie de faire partie de groupes ?

Parfois j’y pense. Je me dis que ça pourrait être génial, même si c’est hyper chronophage. J’ai des convictions très fortes sur le collectif, et c’est pour ça qu’il y a neuf personnes sur l’album. Mon label était hyper étonné. C’est un truc qui se fait de moins en moins, d’autant plus sur un projet solo. Mais je reste convaincu que tous les musiciens qui ont travaillé sur ce disque ont apporté quelque chose.

Quand on était en studio, même si je savais que le temps était compté, on répétait, on jouait… Et à chaque fois, je prenais le temps de leur demander : « Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que ça t’inspire un truc ? » Parce que je peux m’en sortir tout seul pour la composition et la création, mais je suis convaincu que cet apport de plein de gens, c’est ça qui fait un album avec de la profondeur et une richesse. Tant que je le pourrai, je ferai bosser plein de gens ! Je trouve ça trop beau, je ne fais pas de la musique pour être tout seul.

Cover Tout peut durer © Estévez + Belloso

Victor Solf sera en showcase et dédicaces le 29 janvier 2025 à la Fnac Montparnasse (Paris) et le 3 avril 2025 à la Cigale (Paris).

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