Adolescentes, Anima et Charlie font leur rentrée au lycée où elles découvrent la possibilité de s’aventurer dans un monde magique. Sentimental Kiss de Camille Van Hoof est une BD pop avec un angle fantastique sur l’exploration de l’érotisme. Rencontre.
Autrice illustratrice belge, Camille Van Hoof est diplômée de La Cambre et de Saint Luc. Elle a déjà réalisé deux albums jeunesse, Les Petits commandeurs (Seuil Jeunesse) en collaboration avec Valérie Larrondo et Drôle d’arbre (Versant Sud) pour lequel elle a imaginé le scénario et les images. Elle publie sa première bande dessinée pour ado et adultes, Sentimental Kiss aux éditions L’employé du moi.
Charlie et Anima sont amoureuses. Elles mènent leur vie de lycéennes et grandissent notamment à mesure d’amitiés nouvelles. Elles découvrent aussi le nouveau jeu du lycée, la magie, qui demande de comprendre certaines règles et protocoles pour accéder à ce monde énigmatique. Une BD aux couleurs peps qui file la métaphore magicienne avec humour et subtilité.

Quel a été un de vos premiers chocs esthétiques ?
Un choc esthétique auquel je suis beaucoup revenu à l’occasion de cette bande dessinée est Cardcaptor Sakura et Sailor Moon. Deux mangas fantasy du genre « Magical Girl » dans lesquels des petites filles combattent le crime dans de très beaux habits.
En quoi les « Magical girls » ont orienté votre histoire ?
J’adore les codes des Magical Girls depuis l’enfance. J’ai d’abord un peu dénigré ce genre au début de ma vie adulte. Il y a donc surement quelque chose d’un peu politique à revenir à la BD pop et girly. Sentimental Kiss adopte le code du récit adolescent et raconte une transformation au cours de laquelle on change de vêtements. J’ai emprunté ce code que j’ai détourné. Dans le genre original, c’est une transformation de type super-héroïque où les scènes d’habillement sont très esthétisées et belles. Elles sont aussi super érotiques bien que ce ne soit jamais vraiment explicite. Dans mon livre, je suis revenue à un érotisme explicite en faisant le lien entre – attention, je révèle ma métaphore !– la magie et la découverte de la sexualité.
Comment avez-vous pensé la thématique du vêtement ?
L’adolescence est une période au cours de laquelle on cherche l’adulte que l’on va devenir. Le vêtement joue un rôle important. J’ai beaucoup travaillé le look de mes personnages et pensé la possibilité qu’ils puissent s’influencer vestimentairement parlant en devenant ami.es. Anima porte des vêtements avec des manches bouffantes pour son costume magique alors, Charlie cherche, la scène d’après, à porter des vêtements un peu bouffants. Quand les personnages sont tristes, ils portent des couleurs sombres. Ce sont de micro-détails mais qui donne du corps aux personnages.
Comment présenteriez-vous vos personnages ?
Charlie et Anima sont deux adolescentes de quatorze ans. Elles sont en couple mais sont très différentes. Anima est plutôt timide, réservée et a un style plus rock. Elle a envie de grandir vite et se pose beaucoup de questions sur le monde adulte. Charlie est plus extravertie et farfelue. Elle a des tenues très colorées et beaucoup d’accessoires. Elle a plus de facilité à se faire des ami.es pourtant le monde adulte lui fait davantage peur.
Anima et Charlie sont déjà en couple quand l’histoire commence. Vous avez fait le choix d’une histoire d’amour dont la résolution n’est pas la rencontre.
Oui, je voulais raconter une histoire d’amour différente du modèle classique. L’intrigue tourne souvent autour de la question : vont-ils se mettre ensemble ou pas ? Je pense, à plus forte raison car ce sont des filles, que je n’étais pas intéressée par le fait qu’elles se demandent si elles étaient lesbiennes ou pas, etc … Je voulais raconter une histoire d’amour proche d’une amitié, avec une bonne communication et sans trop d’obstacle extérieur.
Sentimental Kiss questionne le fait de grandir à plusieurs niveaux mais le niveau le plus visible et le plus déstabilisant est l’expérimentation de la magie comme image de la découverte du sexe et des émois érotiques. Au début de l’histoire, les personnages sont en couple mais dans une relation platonique car elles se sont mises ensemble très jeunes. La rencontre dans l’histoire n’est donc pas la rencontre entre les personnages mais la rencontre du désir et de ce monde magique.
Grâce à ce monde magique, vous parvenez à mettre en image le désir et à interroger nos représentations de la sexualité.
Dans mes souvenirs d’adolescente, la sexualité était taboue. Si on voyait une image sexuelle, il ne fallait surtout pas regarder. C’était même un peu dégoûtant puis, presque du jour au lendemain, c’est devenu un sujet super fascinant.

Dans la sexualité, on ne nous apprend pas à parler. Dans les films, les personnages ne se parlent jamais. Je voulais donc aborder la question du consentement notamment en cherchent à normaliser le fait d’échanger pendant l’acte. Même si dans le livre, je ne précise pas de quel acte il s’agit, Anima et Charlie se posent un tas de questions. Elles cherchent à savoir si tout est OK et si elles sont d’accord pour aller plus loin ou pas. Il me semble que le conflit arrive souvent des choses qu’on ne formule pas.
Charlie écrit et dessine une histoire. Que vouliez-vous montrer en mettant l’imagination au centre de leur vie ?
Charlie écrit même plusieurs histoires. Elle fait une BD mais elle participe aussi à des jeux de rôle. Le thème de l’imagination est lié à la découverte de la sexualité et au monde adulte. Je voulais montrer que l’on peut faire preuve d’imagination pour sortir des protocoles préétablis en inventant de nouveaux modèles qui nous conviennent mieux, sans reproduire ceux qu’on a appris. Cependant, l’imagination est aussi une pratique assez solitaire comparable à une bulle. Cette qualité est donc ambiguë puisqu’elle permet de grandir mais est aussi associée à l’enfance.
Vous utilisez beaucoup d’onomatopées qui rendent les scènes très vivantes. Est-ce que cela vient naturellement ?
Cet usage est lié à deux influences principales. D’abord, le manga, dans lequel il y a beaucoup beaucoup d’onomatopée souvent très stylisées, plus présent que dans la bande dessinée européenne. Par exemple, le bruit des portes qui s’ouvrent au Japon – souvent des portes coulissantes – fait « chhhhhh ». C’est un bruit très spécifique et courant. Je crois que cela m’a marquée.
La deuxième influence vient du cinéma et du cinéma d’animation. Je pense ma bande-dessinée comme si je devais placer ma caméra et créer une ambiance sonore. J’ai essayé de trouver la bonne atmosphère sonore en représentant des scènes dans des lieux intimistes, comme les chambres, avec beaucoup de gros plans. Ces décisions me permettent de créer un aspect cinématique.
L’emplacement des bulles et la forme des cases donnent aussi des indications sur la circulation du son dans l’espace.
Oui, je pense notamment au personnage de Nobu qui parle beaucoup. Iel parle presque plus vite que sa pensée. Pour rendre cet effet visuellement, son texte sort et dépasse parfois même de la case. Il y a aussi plusieurs qualités de silences. Un personnage qui a une bulle avec « … » laisse penser qu’il va réfléchir durant un court silence, en revanche, s’il y a une case avec un personnage sans texte du tout, il me semble qu’on pense à un silence plus long.

Vous représentez aussi le lien au téléphone de façon jubilatoire.
J’ai essayé de raconter une utilisation du téléphone proche de celle que j’ai. Je ne sais pas si c’est celle des ados mais, au moins, elle est authentique. Les écrans sont incontournables mais difficile à représenter.
J’ai essayé de piocher ce qui était intéressant avec ces objets. Charlie et Anima ont des petits accessoires, des charmes, accrochés à leur téléphone. Il y a aussi leurs photos de profil et les bruitages. Lorsqu’elles reçoivent des notifications, les notes ne sont pas écrites au hasard. Ce sont des mélodies bien précises. Quand Charlie reçoit un appel par exemple, la sonnerie est un petit bout de la partition du générique des Supers Nanas.

J’utilise aussi les smileys, surtout le smiley triste. Quand je pense les scènes, j’ai une intonation bien précise en tête, malheureusement, c’est souvent impossible à retranscrire à moins de mettre un smiley. Au début quand Charlie est un peu déprimée, elle dit « oui :( », c’est comme une indication du ton de sa voix.
Vous aviez déjà abordé l’adolescence dans un projet de fanzine nommé « Rasoir ». Pouvez-vous nous en parler ?
Rasoir est un projet de fanzine que je voulais un peu bonbon. Il est présenté dans un petit emballage. C’est un format court de six pages imprimé en risographie à deux couleurs mais les artistes ne respectent pas les consignes (hihihi) et ont parfois mis juste une ou bien trois couleurs. Je voulais aussi que ça puisse être fait rapidement et que ce ne soit pas un objet trop cher.

Chaque artiste a fait un fanzine entier sur le thème de l’adolescence. C’est une période où tout est viscéral et exacerbé. On peut raconter des histoires assez simples et les rendre méga-dramatiques. Le format court oblige à choisir un sujet très précis pour aller à l’essentiel. Il y a des textes qui parle de se réveiller le matin, d’autres de musique ou de changement dans leur corps.
Votre BD s’appelle Sentimental Kiss. Quelle est l’origine de ce titre ?
C’était difficile de trouver un titre qui évoque la magie ou la romance. Finalement, on a choisi ce titre d’une chanson japonaise, un peu nunuche, qu’elles écoutent dans l’histoire. Elle parle de s’embrasser sans être tout à fait au même rythme et en se posant beaucoup de questions. Par ailleurs, j’aimais le mot « sentimental ». On peut le prendre au premier degré : oh, elles vont s’aimer ! mais ça peut aussi être un peu mélancolique et évoquer des émotions fortes. C’est un mot qui a plusieurs sens et ça me plaisait bien.
Quelle technique utilisez-vous pour réaliser vos projets ?
Ma technique a beaucoup changé depuis mes deux premiers albums jeunesse. Aujourd’hui, je travaille avec l’outil le plus simple de la terre : un porte-mine du supermarché. C’est un outil qui me convient bien et que j’utilise pour la plupart de mes projets maintenant. Je fais la mise en couleur numériquement.
Comment choisissez-vous vos couleurs ?
Quand j’ai fait Les petits commandeurs (au feutre) et Drôle d’arbre (à l’acrylique), j’avais déjà un attrait pour les contrastes forts et les couleurs vives mais j’utilisais encore des teintes très naturelles avec beaucoup de verts et des rouges un peu chaud. Au fil du temps, je me suis déplacée vers quelque chose de plus frais et mentholé. Une source importante d’inspiration pour le livre ont été les couleurs des dessins animés des années 1990 comme Sailor Moon, Max et compagnie ou Ranma ½. Mes décors sont dans des teintes pastels, assez neutres. Les personnages, au contraire, sont dans des couleurs presque fluos, ce qui les fait bien ressortir des fonds. Je trouve que ça rejoint ce que l’on disait sur le son, la couleur aussi participe à la création d’une ambiance.
Quel est votre usage des carnets ?
Je me sers des carnets principalement pour faire des dessins. J’ai plusieurs carnets. Un carnet de travail avec des dessins de recherche ou je note des références. Un carnet A5 de chez Muji. En plus, j’ai un autre petit carnet que je prends partout avec moi et qui me sert plus à écrire mon journal, Soupe de nombrils, que je poste sur les réseaux. Un Moleskine, plus petit que du A6. Aussi, j’ai traversé une période où j’étais pas mal déprimée, durant laquelle j’ai fait encore un autre carnet. Comme c’était un peu plus sombre et plus personnel, je ne l’ai pas partagé.
Comment pensez-vous votre journal, « Soupe de nombrils », dont le titre annonce déjà la bonne dose d’autodérision ?
Soupe de nombrils est un journal en noir et blanc que je poste depuis 2019 sur Instagram de manière prolifique. J’ai besoin de dessiner souvent et de partager dès que je fais quelque chose. Je pense que si on fait un journal où l’on raconte sa vie, il faut pas se prendre au sérieux !
Le titre Soupe de nombrils renvoie certes au nombrilisme mais fait aussi référence à un petit potage avec des tortellinis, des petits raviolis, qui ressemblent à des nombrils. C’est un plat que je fais en hiver quand je suis un peu déprimée parce qu’il me fait rire et qu’il est très réconfortant et donne un peu d’énergie. Et, c’est aussi un peu le but du journal : que ça rechaaaauffe le cœur !

Est-ce que vous avez des habitudes pour vous mettre au travail ?
Je n’ai pas beaucoup de rituels mais j’aime travailler avec des ami.es. Aussi, j’ai une histoire amusante. Pour moi, la partie la plus difficile d’un projet est l’écriture de l’histoire. Quand j’ai commencé ce livre, je recommençais tout le temps l’histoire, ça ne me convenait jamais et ça me donnait envie de pleurer. Alors, à un moment, j’ai fait des contrats avec des ami.es qui m’engageaient à finir à une date précise et à ce que la version du scénario sur laquelle j’étais en train de travailler ne bouge plus. Je pouvais la retravailler mais pas la changer. C’était très important. Il fallait qu’il y ait des conséquences qui sont des private joke !
Vous avez parlé du manga et de l’animé. Quelles sont vos autres influences ?
Pour Sentimental Kiss, j’ai surtout puisé dans le cinéma. Sinon, il y a les romans que je lisais adolescente et qui apparaissent dans la chambre des héroïnes. Je pense à La quête d’Ewilan de Pierre Bottero qui reprend aussi d’une certaine manière les codes des Magical girls. C’est une héroïne adolescente qui a des pouvoirs. Elle vient de notre réalité et passe dans un autre monde. C’était vraiment un livre que j’adorais ado.
L’art médiéval est aussi une source qui me fascine. Surtout les visage très stylisés et hyper expressifs représentés en quelques traits seulement. Certains personnages, avec notre regard de Modernes, ont l’air un peu ahuris. J’aime beaucoup cet aspect-là. Sinon il y a tellement d’autrices dont on entend peu parler et qui m’influencent beaucoup aujourd’hui comme Lisa Blumen, Tamos le thermos, Delphine Panique, Emilie Plateau, Lisa Hanawalt.
Et si vous étiez un pouvoir magique, lequel seriez-vous ?
Ouh, c’est dur… Je les veux tous ! Je serais peut-être le pouvoir de Rogue dans les X-Men. Elle n’a pas à proprement dit de pouvoir mais peut aspirer celui des autres. C’est quelque chose de très intime et de fusionnel. Elle aspire un peu de leur énergie vitale et, si elle le fait trop longtemps, ça les tue. Je pense que c’est le pouvoir le plus stylé mais aussi le plus tragique.
L’artiste est à retrouver sur Instagram (@camille.vanhoof) et son site.
Sentimental Kiss de Camille Van Hoof, L’employé du moi, 19euros.