À quelques heures de monter sur scène lors de la 46e édition des Trans Musicales, A Strange Wedding, nous a parlé entre autres de son parcours, de ses liens avec Positive Education, et de sa fascination pour la collecte sonore.
Ancien membre du collectif Positive Education à Saint-Étienne, Adrien – de son vrai nom – s’est imposé comme une figure incontournable de la scène électronique, et mêle avec brio trance psychédélique, dark ambient et EBM. En 2018, le DJ-producteur avait sorti l’EP Meta Romance sur Worst Records, le label du festival Positive Education, avant de dévoiler en 2021 son premier album aux influences chamaniques, l’excellent Black Magic Rituals. À l’image de son nom, A Strange Wedding fait sa propre loi, et laisse une marque indélébile dans la techno. Rencontre
C’est la première fois que Maze.fr te rencontre. Peux-tu te présenter succinctement ?
Bien sûr ! Je m’appelle Adrien Van de Velde, j’ai 30 ans, je suis concepteur de synthétiseurs, c’est mon travail quotidien. Je suis également producteur et DJ. J’habite à Marseille, mais j’ai beaucoup voyagé. J’ai vécu à Paris, à Saint-Étienne… Et je fais de la musique sous le nom de A Strange Wedding. En fait, je fais de la musique depuis 15 ans !
Pourquoi « A Strange Wedding » ?
Ah, c’est la question que l’on me pose souvent ! C’est drôle, mais ce n’est pas du tout épique. À l’époque, je venais d’un projet techno où j’avais beaucoup expérimenté, et je sentais qu’il était temps de tout changer. C’était il y a 8 ou 9 ans. Je voulais vraiment repartir de zéro, et cela coïncidait avec mon arrivée à Saint-Étienne, où j’ai rencontré l’équipe de Positive Education. En marchant dans la rue un jour, je me suis dit « A Strange Wedding ». C’était mystérieux, un peu étrange, ça mélangeait différentes choses, et c’est exactement ce que je voulais faire à ce moment-là. C’est venu naturellement, sans trop de réflexion. Et j’aime ce que ce nom véhicule.
Tu as beaucoup travaillé avec Positive Education d’ailleurs.
J’ai vécu 8 ans à Saint-Étienne, et cela a été une révolution sur plusieurs plans. J’ai rencontré le collectif assez rapidement et je suis devenu un membre actif pendant quelques années. Puis, avec mes études et mes projets, j’ai peu à peu quitté l’opérationnel, mais je suis resté très proche d’eux. Ce sont devenus de très bons amis, presque une famille. Sur le plan musical, ça a été un bouleversement pour moi. Je venais de Toulouse, une ville où la scène était très segmentée, entre techno et house. Mais à Saint-Étienne, ils mélangeaient tout : industriel, down tempo, lo-fi, trance, rock, psychédélique… C’était un véritable choc. A Strange Wedding est né de cette rencontre. Toute cette énergie, toute cette diversité sonore m’a beaucoup inspiré.
Qu’est-ce que tu penses de la manière dont le paysage de la musique électronique évolue aujourd’hui ?
C’est une scène en constante évolution, très rapide. D’un côté, cela me convient : j’adore expérimenter, mélanger les genres et les sons. Mais il faut aussi suivre le rythme des réseaux sociaux, des plateformes de distribution, et des moyens de communication qui évoluent constamment. Parfois, j’ai l’impression d’être un peu déconnecté, même si je ne suis pas vraiment vieux !
Je trouve que la scène électronique aujourd’hui se trouve à la croisée entre la musique et l’image, et que la notion de « starification » de l’artiste est très forte. Ce n’est plus seulement la musique qui compte, mais aussi l’image qu’on projette. Il y a aussi tout le travail autour de l’image et de la communication. Ce n’est pas forcément ce qui m’intéresse le plus, même si pour avoir une carrière, il faut jouer ce jeu, être présent sur les réseaux. C’est un vrai défi, et je me rends compte que je ne suis pas toujours très à l’aise avec ça.
Tu as cette sorte de fascination pour les mystères, les rituels, et j’ai entendu dire que tu utilisais souvent des sons venant du dark web. Est-ce encore le cas ?
Je n’ai jamais pris de sons du dark web, c’est une rumeur (rires) ! Mais oui, je suis très intéressé par la collecte de sons. J’ai fait un master en design et un autre en informatique, et j’ai beaucoup travaillé sur cette idée de collecte sonore. J’ai des centaines de gigas de sons, allant des sons très synthétiques créés avec des synthétiseurs, aux sons enregistrés par des gens un peu partout dans le monde. C’est une sorte de fascination pour ces paysages sonores, réels ou imaginaires, que cela peut créer. Dans ma musique, j’aime jouer avec cette tension entre ce qui est naturel et ce qui est synthétique, c’est ce que j’appelle un peu le « mimétisme sonore ». J’aime aussi que mes morceaux créent des atmosphères, qu’ils poussent l’auditeur à visualiser des paysages.
C’est justement ces paysages sonores que tu cherches à créer dans ta musique ?
Pas nécessairement, c’est souvent plus instinctif. Parfois, je travaille avec d’autres artistes, et c’est toujours assez difficile de mettre des mots sur les sons. J’ai souvent une dizaine de mots qui me viennent en tête pour décrire une ambiance, mais ce n’est jamais aussi précis que la musique elle-même. Ce que j’aime, c’est l’idée que la musique doit créer une atmosphère, un état particulier, que ce soit dans un club, un festival ou même chez soi. La musique doit pousser à l’immersion, à la synesthésie, comme un voyage sensoriel.
Et quand tu joues devant un public, qu’est-ce que tu ressens ?
Il y a beaucoup d’émotions, mais qui disparaissent souvent pendant la performance, car je suis très concentré. C’est un état de trance, presque. Je me laisse porter par la musique, j’oublie le monde autour de moi, et souvent c’est quand je « reviens » à la réalité que je vois tout le public en folie. C’est toujours un moment spécial de partager cette énergie avec autant de personnes. C’est un mélange de joie, de gratitude et parfois de surprise. Il y a aussi une forme de « non-perception » de soi, je ne me vois pas jouer, c’est un peu comme un univers parallèle.
Peux-tu nous parler de ton dernier projet, Gentiana Paradoxakis Tempora ?
Ce projet est sur Fané.e, le nouveau label Anetha, un label expérimental. L’idée, c’est que la musique a une durée de vie limitée, comme une fleur qui fleurit pendant trois mois, puis se fane, et finalement revient comme une archive. Cette idée d’évolution et de transformation dans le temps me plaît beaucoup. Je trouve que cela correspond bien à la manière dont la musique électronique évolue aujourd’hui.
Et qu’en est-il du projet Useless Seconds ?
C’est un nouveau label que nous avons créé avec des amis. L’idée, c’est de mélanger des sonorités expérimentales et psychédéliques avec des éléments de musique de club plus dansante. On lance notre premier EP à la mi-décembre, mais on a déjà publié quelques avant-premières. C’est un projet excitant, avec un univers bien particulier.
Si tu pouvais écouter une seule note ou un seul son pour toujours, qu’est-ce que ce serait ?
Je choisirais quelque chose de très apaisant, un son calme et profond, mais pas ennuyeux. Une sorte de « mmmmmh » que l’on pourrait écouter pour s’endormir, quelque chose de doux, presque imperceptible, mais qui me permettrait de rester calme sans que cela ne devienne une torture à écouter toute ma vie.