DansTrans Memoria, présenté en compétition dans la section Diagonales, Victoria Verseau retourne sur les traces de son amie Meril, en Thaïlande, où elles se sont rencontrées. À la fois documentaire, film de fantômes, et profonde méditation sur la vie et la mort, Trans Memoria est un film protéiforme d’une grande densité émotionnelle.
En 2012, Victoria se rend en Thaïlande pour une opération de réassignation de genre. Là-bas, elle y fait la rencontre de Meril, venue de France pour la même opération. Les deux femmes nouent une amitié très forte. Elles sont chacune l’une pour l’autre leur première amie trans, et traversent ensemble ce moment charnière de leur vie. Elles rêvent des mêmes choses, comme de tomber amoureuse et « d’appartenir au monde des hétéros ». Une fois l’opération réussie, Victoria retourne en Suède, et Meril à Paris, où elle vit. Seulement, quelques années plus tard, cette dernière s’y donne la mort.
Le deuil
Victoria décide alors de retourner en Thaïlande pour restituer une partie de son histoire et de celle de Meril. Elle est accompagnée d’Athena et d’Aamina, venues dans la même clinique pour cette opération. Initialement embauchées dans le film pour interpréter les rôles de Victoria et de Meril, Athena et Aamina incarnent les débuts de transition. Elles permettent de donner corps à la réflexion que mène la cinéaste, sur la transition, l’identité, la féminité et le rapport au corps. Elles rappellent l’importance que constitue une communauté : un endroit où l’on peut faire circuler l’espoir, la joie, mais aussi débattre, et se confronter ensemble à la douleur et au deuil.
Athena et Aamina se font aussi témoins, comme le·a spectateur·ice, du lien profond qui unit encore Meril et Victoria. On entend même Athena dire que Meril lui manque, alors qu’elle ne l’a jamais rencontrée. Un sentiment qu’on ne peut que partager. Tout le film circule autour de ce trou béant laissé par la mort de Meril. Le récit s’articule autour de cette double présence/absence dont la porosité est sans doute sa plus grande réussite. Il y a notamment ces plans, tournés dans le village où a grandi Meril : des plans hantés par sa disparition. Comme lors d’un travelling, où la caméra de Victoria Verseau remonte la route et s’engouffre dans le noir. Dans ce bout de la France un peu triste, sa mort est désormais inscrite dans le paysage.
Passage du temps
Plusieurs temporalités se mêlent et se chevauchent dans Trans Memoria. Victoria Verseau y intègre notamment des images datant de 2012 où elle se filme, à l’aune de son opération, et juste après. Ce sont des images d’une extrême vulnérabilité, qui témoignent aussi bien de la peur et de l’anxiété que peuvent générer une telle opération, que de l’urgence absolue d’y procéder. Elle y documente ainsi son odyssée médicale, qui est aussi une odyssée existentielle, métaphysique.
Cette opération est souvent un enjeu narratif majeur dans les films racontant des parcours de transition. Et elle y est souvent abordée de façon grossière. Mise en scène comme un passage obligé pour légitimer la transition aux yeux d’un public cisgenre (personnes qui s’identifient au genre assigné à la naissance). Souvent dramatisée à l’extrême, et montrée comme une expérience douloureuse ou exotique (dans Girl, ou bien plus récemment Emilia Perez). L’opération devient un outil narratif qui, paradoxalement, enferme le personnage dans un discours essentialisant sur le genre et l’identité, en se focalisant sur ses parties génitales.
Trans Memoria récuse toute simplification ou essentialisation de cette expérience. La transition médicale est présentée comme un des volets de l’expérience trans, mais elle n’est pas abordée comme une fin en soi. Il y a aussi dans le film une forme d’expérimentation visuelle et plastique à l’œuvre, qui permet une lecture plus métaphorique, imagée et moins univoque de la transidentité.
Les souvenirs de cette opération se mêlent aux images du présent, qui est, lui, fantomatique. La caméra arpente les lieux du passé. Des lieux désaffectés, comme une plage, ou un centre commercial désormais complètement laissé à l’abandon. Revisiter ces lieux, c’est ainsi faire l’expérience de l’écoulement du temps, et de la perte. C’est enregistrer une forme de disparition, et ressentir le vide et le silence qui les abrite. C’est aussi, à travers la mise en valeur de ces espaces liminaux, faire l’expérience d’espaces de transition. En ce sens, le film montre comment le passage d’une vie s’articule autour de ces espaces que l’on ne fait que traverser, pour accéder à soi et aux autres.