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PREMIERS PLANS 2025 – Rencontre avec Laura Carreira : « Dès mon premier emploi, j’ai ressenti à quel point notre travail contrôle notre vie »

© Carlos Alvarez / Getty Images
© Carlos Alvarez / Getty Images

Réalisatrice de On Falling en compétition à Premiers Plans, Laura Carreira propose un film d’un cruel réalisme inspiré en partie par sa propre expérience du travail.

On Falling est un film d’une grande dureté. Le travail rythme la vie d’Aurora, cette jeune Portugaise immigrée en Écosse. Sa vie sociale est quasi inexistante, et aucune échappatoire ne s’offre à elle. Premier film de Laura Carreira, cette histoire tragique met en avant la banalisation et l’invisibilisation d’un mode de vie précaire. En s’inspirant de sa propre vie, la jeune réalisatrice force les spectateur·rice·s à vivre cette expérience déshumanisante.

Votre film a été produit par Sixteen Films, la société de production de Ken Loach. Quelle influence a-t-il eu sur votre travail ?

J’ai découvert les films de Ken Loach vers l’âge de 18 ans et je suis tout de suite devenu fan. À cette période, ma vie devenait de plus en plus centrée autour du travail. Et là où, dans les films que j’avais vus jusqu’ici, les personnages semblaient ne pas avoir d’emploi et tout le temps libre qu’iels voulaient, je découvrais pour la première fois dans ses films, et ceux d’autres réalisateurs comme les frères Dardenne, des protagonistes ayant des vies similaires à la mienne.

Le travail de Ken Loach dans la représentation de personnes ordinaires ayant des problèmes de tous les jours m’a énormément influencée. En travaillant avec Sixteen Films, j’ai reçu son soutien, mais aussi celui de Paul Laverty, son scénariste. Ce fut un plaisir de travailler avec eux.

Vous vous placez dans la continuité du travail de Ken Loach mais vous importez, dans ce film, des éléments de votre propre vie, n’est ce pas ?

Dès mon premier emploi, j’ai ressenti à quel point notre travail contrôle notre vie. Parce que notre salaire et le nombre d’heures de travail qu’il faut pour répondre à nos besoins vitaux sont énormes. Selon moi, c’est quelque chose d’extrêmement problématique, mais qui a été tout à fait banalisé.

Pour les besoins du film, j’ai fait beaucoup de recherches sur les préparateur·rice·s de commandes pour comprendre ce travail. J’ai découvert que beaucoup de personnes faisant ce métier étaient des travailleur·euse·s immigré·e·s, et ça a résonné avec ma propre expérience de Portugaise ayant immigré en Écosse. Je sais à quel point cette expérience est difficile à vivre, surtout les premières années, et à quel point le travail prend le dessus sur nos vies. C’est pourquoi j’avais envie de centrer le film autour de cela.

C’est pour cela qu’il y a une grande importance donnée à la monotonie dans votre film ? Vous vouliez que les spectateur·rice·s ressentent ce sentiment ?

Tout à fait, c’était important pour moi de montrer le travail. C’est quelque chose de très difficile à filmer, puisque ça ne fait pas avancer le scénario, et que c’est très monotone. Il est délicat d’imposer cette monotonie à un public. Mais j’avais très envie de passer du temps avec Aurora pendant son travail, ne serait-ce qu’une minute. Une minute pendant laquelle elle prépare une commande, c’est très long pour un·e spectateur·rice, et pourtant, ce n’est qu’une minute sur une journée de dix heures. Ce n’est qu’une fraction de ce que vivent les personnes qui font ce travail.

Il semble ne pas y avoir d’échappatoire à cette monotonie dans votre film, seulement quelques répits temporaires ou la mort. Vous vouliez faire un film pessimiste ?

Je voulais faire un film réaliste. Le travail est au centre de la vie de beaucoup de personnes, donc je pense qu’il est important de projeter cette réalité sur le grand écran. Je n’ai pas voulu que ce soit un film pessimiste, mais en filmant la réalité comme elle l’est, il est possible que le côté sombre ressorte.

L’entreprise dans laquelle travaille Aurora semble promouvoir une déshumanisation des employés. Vous la comparez à un zoo, une prison. Est-ce que ce sont pour vous des attributs propres à ce métier, ou se retrouvent-ils dans toutes les entreprises ?

Je pense que, dans cette entreprise, l’idée du contrôle des employé·e·s est plus présente et visible que dans d’autres. De plus, la précarité des travailleur·euse·s fait qu’iels doivent absolument garder leur emploi pour pouvoir se loger et se nourrir. Cela renforce la position dominante de l’employeur et le contrôle qu’il a sur eux. Mais, pour moi, c’est une idéologie qui existe dans la plupart des métiers et quelque chose que mon film cherche à montrer.

L’isolement social est très présent dans votre film. Est-ce que vous pensez que la société contemporaine a renforcé l’isolement des travailleur·euse·s ?

Oui, tout à fait. Dans le cas d’Aurora, elle essaie de se lier aux autres, mais son rythme de vie ne lui donne pas les opportunités de créer des liens. C’est quelque chose que plusieurs des préparateur·rice·s de commandes que j’ai rencontré·e·s ont mentionné. Ce manque de liens et d’opportunités est si extrême que, même au travail, les pauses étant trop courtes, iels ne peuvent pas échanger entre eux. Certains ne connaissent même pas le nom de leurs collègues. C’est une des raisons pour lesquelles le téléphone d’Aurora est aussi important. Il est un peu son meilleur ami. Il est tout le temps là et, grâce à lui, elle peut s’ouvrir au monde. Quand il se casse, elle perd cette connexion et son isolement devient insupportable.

La fin de votre film est elle un appel à l’union des travailleur·euse·s ?

Pour moi, c’était surtout centré sur le jeu. Le film est un peu déprimant, et je pense que c’est une bonne chose de se rappeler que, des fois, le système s’arrête, et que ce n’est pas la fin du monde. Le jeu qui se met en place devient une sorte de fenêtre sur ce qui pourrait être, sur le partage entre humains. C’est une chose qui pourrait exister, mais que la société a décidé de réprimer au profit du travail. En somme, c’est le jeu contre le travail, et c’est un message important du film.

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