À la UneCINÉMAFestivals

PREMIERS PLANS 2025 – Rencontre avec Damian Kocur : « Je montre l’état émotionnel que génère la guerre »

© Dorian Coudreau

Dans Under the Volcano, Damian Kocur met en scène une famille ukrainienne en vacances à Tenerife qui se retrouve soudain réfugiée, alors que la guerre éclate en Ukraine. Un film qui s’interroge sur le cinéma en ces temps troublés de guerre.

Venu présenter en compétition Longs-métrages son deuxième film Under the Volcano, Damian Kocur permet au public de saisir l’état dans lequel les Ukrainien.ne.s sont plongé.e.s depuis le début de l’invasion russe, il y a bientôt deux ans. Kocur subvertit le genre du film de vacances où, progressivement, chaque activité montrée à l’écran renvoie à l’invasion russe qui reste, elle, hors-champ. Le film de Kocur traite, à l’écran, le basculement d’un rapport au monde.

La guerre a éclaté en février 2022. Quand avez-vous tourné votre film ?

Il y a exactement un an, en février 2024.

Avez-vous toujours eu l’idée formelle du volcan ?

Oui, parce que je connais très bien Tenerife et que, depuis le début, je savais que l’histoire devait se passer là-bas.

Il y a quelques films qui sont programmés ici au festival Premiers Plans, sous le thème des « Voisins-Voisines ». En tant que cinéaste polonais, voisin de l’Ukraine, comment est-ce que ce terme résonne dans ce contexte et à l’heure de la diffusion d’Under the Volcano  ?

Pour moi, c’était très important. Je ne pouvais pas faire grand-chose d’autre. Je ne suis pas quelqu’un de très courageux. Je ne suis pas allé là-bas pour récupérer des gens et les aider à traverser la frontière comme beaucoup de mes amis l’ont fait. Donc, je me suis dit : je suis un cinéaste et tout ce que je peux faire pour sortir de ce sentiment de culpabilité et d’impuissance est de faire un film.

Au début, j’avais l’impression que ce n’était pas très bien, en tant que réalisateur polonais, de faire un film sur la guerre ukrainienne, parce que c’est leur guerre. Mais, comme beaucoup d’Ukrainien.ne.s me l’ont dit  : « Nous sommes très heureux que vous touchiez à ce sujet, parce que c’est très important pour nous de parler de la guerre. » Cela m’a donc encouragé à rester dans ce processus, et à faire ce film. C’était la première grande guerre qui s’est déroulée près de mon pays, donc c’était une évidence que d’y porter mon attention.

Est-ce que vous connaissez des cinéastes ukrainiens ?

Bien sûr, bien sûr.

 Et comment vont-ils actuellement ?

Certains sont au front, d’autres sont morts pendant la guerre et d’autres sont partis et ne veulent pas vraiment retourner au pays. Il n’y aura pas de chance de sortir de l’Ukraine.

Il y a aussi beaucoup de gens qui se sentent coupables des choix qu’ils ont faits comme celui de rester dans d’autres pays. Surtout en ce moment, quand votre pays aurait besoin de vous comme combattant. Cependant, je ne les juge pas parce que je ne suis pas l’un d’entre eux. C’est facile pour moi de me demander si j’irais au front ou pas. Mais je sais que beaucoup de gens sont au front. Certains ne le sont pas, car le pays est très divisé. Il y a des gens qui ne s’intéressent pas à la guerre et d’autres qui sont vraiment engagés dans le conflit. Il y a encore beaucoup de volontaires qui ne se battent pas, mais qui essayent d’aider les gens. J’espère que cela finira bientôt.

Est-ce que vous savez s’ils ont de l’espoir, qu’ils soient sortis du pays ou non ? Pensent-ils que la guerre va se terminer bientôt ?

Je pense que le moral est en train de baisser. Ils ne croient plus en leur victoire. Ils ne croient plus qu’ils pourront gagner la guerre. Les émotions sont donc complètement différentes de ce qu’elles étaient au début de la guerre.

Est-ce qu’ils ont vu votre film ?

Oui, il y a eu une avant-première au festival de films de Molodist à Kiev. C’était il y a deux mois [le festival a eu lieu du 25 octobre au 2 novembre 2024, ndlr]. On a un distributeur en Ukraine et il y aura une sortie en salles. Je pense que le film incarne un cinéma un peu lent, un cinéma art et essai. Ce ne sera pas un film populaire. Les gens en Ukraine sont habitués à une façon complètement différente de raconter des histoires. Ce film-là est plus exigeant.

Peut-être que c’est trop tôt pour eux.

Peut-être, mais on ne voit pas la guerre dans le film. Vous ne pouvez pas voir des gens directement en souffrance à l’écran. Certaines personnes ont été en colère. Comment peut-on faire un film sur la guerre en état de souffrance et dans son propre pays ? Beaucoup d’Ukrainiens qui vivent en dehors de l’Ukraine ne veulent pas regarder le film parce qu’ils se sentent en colère. Ils ne veulent pas se confronter à ce genre de choses.

Avez-vous ressenti une difficulté morale à faire un film sur une guerre toujours en cours ?

Bien sûr, je ne ferais pas un vrai film sur la guerre sinon. Je pense que c’est immoral de faire ce film, particulièrement pour moi car je n’ai pas été sur le front. Je n’ai pas vu des gens en souffrance. Je n’ai pas vu les bombes. C’est immoral mais, je ne fais pas un film sur la guerre ; je montre le genre d’état émotionnel que génère la guerre. Pas seulement pour les Ukrainiens d’ailleurs, mais aussi pour les Européens, comme les Français ou les Polonais, qui sont sains et saufs et à l’abri dans leur territoire.

Dans le film, les personnages sont en sécurité. Ils ne souffrent pas de la manière dont les gens souffrent en Ukraine. Dans la réalité, toutes ces personnes [les acteur.ices du film, ndlr]  n’ont jamais quitté l’Ukraine. Elles ont seulement quitté le territoire pour le tournage. C’est pourquoi, dans la dernière scène, Sofiia [Berezovska, actrice du film, ndlr]  a eu cette attaque de stress post-traumatique. Cela faisait deux ans qu’elle n’avait pas entendu de feux d’artifice.  

You may also like

More in À la Une