CINÉMA

« Planète B » – Hunger Games climatiques

@ Les Films du Bal, Wrong Men

Aude Léa Rapin signe une dystopie politique hybride aux ambitions audacieuses, prônant la désobéissance civile face à la répression croissante des miliant·e·s écologistes.

2039, une France dystopique en proie à l’effondrement. Dans un Grenoble ravagé et ultra-militarisé, des activistes résistent en sabotant et détruisant des infrastructures jugées néfastes. Elles sont les symboles d’un État « démissionnaire en matière de protection de l’environnement ». Suite à une attaque qui tourne mal, une membre de l’organisation « la R » disparaît et se retrouve dans un monde inconnu, Planète B. Julia Bombarth (Adèle Exarchopoulos) y est rejoint par d’autres camarades activistes. Tous⸱te·s sont propulsé⸱e·s dans cet univers d’apparence paradisiaque.

Après Les Héros ne meurent jamais, road-movie fantomatique sorti en 2019, Aude Léa Rapin se lance dans la science-fiction. Malgré le soutien du CNC au cinéma de genre, les films de science-fiction français restent rares. Une « malédiction » qui s’explique en partie par des moyens insuffisants face aux ambitions d’univers parallèles. Le budget de Planète B est ainsi limité, en comparaison aux grosses productions hollywoodiennes du même genre. La réalisatrice compose avec les moyens à disposition et une production «  zéro déchet  ». Elle propose un film de genre audacieux qui mélange science-fiction, horreur, thriller et action. La fiction d’anticipation prend des allures cauchemardesques et de course contre la montre. La tension du film est servie par des effets de trucage ingénieux, un travail de sound design, et une bande-originale organique, du cinéaste-compositeur Bertrand Bonello.

Dystopie pas si dystopique

Dès la scène d’ouverture où une activiste pose une bombe pour détruire une infrastructure écocide, Planète B captive par sa résonance avec la situation politique et écologique de 2025. Ce monde de 2039 se caractérise par la répression des militant·e·s écologistes par des forces armées, et par une nouvelle forme de détention virtuelle.

Planète B © Les Films du Bal, Wrong men

La répression concerne aussi tous·te·s les citoyen·ne·s. Cette société dystopique est marquée par l’hyper-surveillance par le biais de technologiques invasives. Les drones y sont omniprésents. Chacun·e doit avoir une lentille, fonctionnant comme un badge pour travailler et se déplacer. Ce QR code contient toutes les informations d’identité et de statut politique. On découvre les rouages et les outils de l’organisation de cette société futuriste à travers l’expérience de Nour (Souheila Yacoub). Journaliste irakienne réfugiée en France, la jeune femme n’a plus que cinq jours avant d’être expulsée du territoire français.

Son personnage s’inspire de celui de Mohammed Alzaidawi, ce journaliste irakien contraint à l’exil après un reportage peu apprécié par le pouvoir. Par sa démarche d’enquête et sa tentative de révélation des agissements étatiques, Nour incarne une forme d’éthique journalistique salvatrice, face à des pouvoirs autoritaires. Le film met également en avant le rôle de contre-pouvoirs des médias.

Planète B © Carole Bethuel

Ainsi, Aude Léa Rapin prône une forme de radicalité nécessaire face à un appareil d’État répressif et inactif climatiquement. Ces éléments de scénario dystopiques résonnent avec la situation actuelle. On pense par exemple à la répression des militant·e·s écologistes et à l’utilisation de drones par la police. Dans ce contexte tendu, la réalisatrice montre la légitimité de l’action directe. Un mode d’action que prônent des collectifs écologistes bien réels comme Les Soulèvements de la Terre ou Extinction Rébellion.

“Le sujet du film, c’est la désobéissance civile dans une société clivée entre ceux qui prônent l’ordre et la morale, et ceux qui défendent une certaine idée du vivre ensemble et la protection des biens communs que sont l’air, l’eau, l’accès aux ressources”.

Aude Léa Rapin dans Télérama.

Le film reprend le concept d’arène, chère à la franchise Hunger Games, et transposé dans un univers virtuel. Les activistes atterrissent dans un paradis artificiel composé d’une villa avec piscine au bord de la mer. C’est dans ce cadre ultra-lumineux que s’incarne la maxime « L’enfer, c’est les autres ». Les participant·e·s parachuté·e·s dans cet univers parallèle ne sont pas en combat direct l’un·e contre les autres. Mais iels subissent des conditions de détention insoutenables. Ils font face à d’horribles cauchemars qui constituent une forme de torture inouïe ancrée dans leurs pires peurs. Face à cette souffrance, dénoncer un·e camarade est tentant. Cela l’est d’autant plus quand toute révélation utile au démantèlement de la supposée cellule écoterroriste peut vous faire hypothétiquement sortir.

Planète B © Les Films du Bal, Wrong men

Super-héroïnes face au collectif  ?

Cette pression psychologique révèle chez chacun·e des détenu·e·s leur propension bien humaine à la dénonciation, ainsi que l’angoisse de cohabiter en huit-clos avec d’autres individus. En cela, le film se rapproche d’un Sans Filtre (2022) de Ruben Östlund. Il révèle avec lucidité les faiblesses humaines et les limites à la solidarité dans un contexte de survie et de souffrance.

Le film montre peu de solidarité collective dans un univers fracturé. Il met en lumière presque exclusivement les résistances individuelles de ses deux héroïnes principales. Après de nombreuses péripéties, le duo Nour/Julia finit par «  sauver le monde  ». Cette décision découle d’une volonté assumée par la réalisatrice  :

J’ai aussi eu à cœur d’écrire une histoire de femmes qui sauvent le monde, une histoire d’héroïnes. Pas seulement pour une question de représentation de la femme, mais aussi et surtout, parce que c’est un récit qui m’a manqué.

Aude Léa Rapin dans Télérama.

Ce choix scénaristique se distingue des productions où des hommes blancs sauvent le monde seuls. Un schéma assez récurrent dans la science-fiction, de Minority Report de Steven Spielberg (2002) à Blade Runner (1982).

Planète B © Les Films du Bal, Wrong men

Néanmoins, le film témoigne un peu trop d’un « star system » activiste, comparable à celui du cinéma. On ressent finalement peu la force du collectif pendant la majorité du film. C’est peut-être dû au fait qu’Adèle Exarchopoulos prend beaucoup de place à l’écran. Son personnage d’héroïne apparait exemplaire face à la manipulation mentale. La complicité entre les deux jeunes femmes combattantes est admirable, mais participe du fait que le film peine à incarner la puissance de la lutte collective et la nécessité de chérir les liens d’entraide.

Cet aspect allié à des lacunes scénaristiques font de Planète B un film de SF qui peine à se hisser à la hauteur de ses ambitions. Il néanmoins a le mérite de projeter des craintes fondées sur l’avenir de nos démocraties et de mettre à l’écran des réponses possibles face à l’urgence climatique.

Planète B d’Aude Léa Rapin est en salles depuis le 25 décembre.

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