Après Dans la forêt, Jean Hegland poursuit l’histoire de ce best-seller. Nous retrouvons les deux sœurs, toujours en pleine nature, élevant un enfant loin de la technologie et de la société. Le Temps d’après est une robinsonnade délicieuse.
Eva et Nell vivent dans la maison de leurs parents en pleine forêt dans une ambiance post-apocalyptique alors que la civilisation s’est effondrée. Sans plus d’électricité, ni de technologie, les deux soeurs décident de brûler la maison pour éviter tous dangers. Elles doivent survivre dans un paysage déserté par les humains. Dans la forêt se terminait alors qu’Eva venait d’accoucher d’un petit garçon ; Le Temps d’après reprend l’histoire alors que les deux filles sont devenues adultes. Désormais mères, elles élèvent Burl dans ce monde méconnaissable qu’elles rendent pourtant poétique.
Véritable histoire éditoriale, Jean Hegland publie Dans la forêt en 1996 aux États-Unis après de nombreux refus. Il faut attendre vingt ans pour que les éditions Gallmeister le publient en français en 2017. C’est un véritable succès. Jean Hegland écrit une histoire qui anticipe certains des affres et des questionnements de notre début de siècle. Au-delà de ce pouvoir de voyance, son écriture décrit deux êtres changeants du tout au tout leur mode de vie grâce à la débrouillardise et à l’entraide. En 2015, elle fait paraître la suite de cette histoire, Still Time. Ce deuxième volet est traduit par Josette Chicheportiche et paraît en cette rentrée littéraire 2025 avec pour titre : Le Temps d’après.
La vie en autosuffisance
Nous sommes quinze ans après l’effondrement. Burl est celui qui fait le récit dans une langue étrange. Il scinde certains mots en deux et use de néologismes qui surprennent, arrêtent, questionnent.« Noutrois » désigne l’ensemble formé par ses deux mères et lui. Il parle aussi de « capane », de « stupeurfaction », ou de se « transmorpher ».
Entourée d’« inhalants » et d’« exhalants » (noms donnés aux êtres vivants), la troupe s’accommode d’une vie rythmée par les saisons mais soumise aux dérèglements climatiques, aux aléas extérieurs comme la menace du peuple des Marchands de la Côte qui rôde. Pour leur survie, ils fabriquent ce qu’il faut : leur habitat, des vêtements de peau, des couverts sculptés en bois, des bols d’argile. Ils entretiennent un potager, chassent, concoctent des potions analgésiques.
Cependant, Burl grandit et ne se satisfait plus du cercle que lui proposent ses mères. Sa curiosité croissante est d’autant plus attisée par un feu qui, une nuit, s’illumine dans la vallée. Aucun d’eux ne sait déterminer la cause. Il ressent d’abord le besoin d’en savoir plus sur le monde d’Avant. Il n’a saisi que des bribes à la dérobée lors de discussions écoutées. Aussi, ses fantasmes prennent de la place et l’envie furieuse de se faire des amis devient forte. Aussi, Eva et Nell, les seuls humains qu’il connaisse, gardent un oeil attentif sur ce changement.
Raconter des histoires
Le Temps d’après est une histoire sur les histoires que l’on se raconte. Le récit peut apaiser nos peurs les plus universelles, comme la solastalgie, désolation ressentie face à l’inéluctable changement climatique. Il peut aussi jouer un rôle pragmatique comme dans l’éducation de Burl. Il lui permet d’acquérir le sens de certaines valeurs, de comprendre certaines situations entre humains sans les vivre ou encore d’apprendre à rêver. Mais le récit peut aussi être l’arme du mensonge. Raconter soit, ne pas dire la vérité, pour se sauver.
Commencer une histoire c’est comme plonger dans une rivière, c’est ce que dit tout le temps Nell.(…) Eva dit qu’une histoire qu’on raconte est une histoire morte. Elle dit que chaque nouvelle seconde est une étincelle qui absorbe la chose qu’elle éclaire, elle dit qu’une histoire est juste ce qui reste après que cet éclat lumineux a été réduit en cendres.
Jean Hegland, Le Temps d’après
Modelé par l’imagination, le quotidien de Burl est bercé par les histoires que lui racontent ses mères. Un savant mélange entre des faits du monde passé, des références à la mythologie nordique et des récits sur la résonance des plantes. Cependant, cette croyance dans le récit est peu à peu nuancée au fur et à mesure du livre. Ne faut-il pas dire la vérité à Burl ? Quel risque y a-t-il à taire les mauvaises rencontres et les évènements tragiques ?
Écrit dans une langue qui coule de source, Le Temps d’après de Jean Hegland est un roman survivaliste et contemplatif ponctué d’images vivaces, de rencontres impromptues, de solidarités fortes.
Le Temps d’après de Jean Hegland, traduit par Josette Chicheportiche, éditions Gallmeister, 23,90euros.