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« La Montagne entre nous » – L’amour à rude épreuve

© Sarbacane éditions

Plus de trente ans après s’être aimées, Florence et Marcia se retrouvent. La Montagne entre nous est un one-shot sur un amour brutalement arrêté à cause de l’homophobie et d’actes manqués.

Le livre s’ouvre sur des planches silencieuses. Marcia, dans le train, retourne dans son village natal. Elle a réservé une chambre d’hôtel pour venir s’occuper de sa mère très âgée. Elle veut aussi revoir Florence, tant aimée, qui vient de perdre son époux. Les premiers mots sont échangés avec la tenancière de l’hôtel qui met un certain temps avant de reconnaître la fille de celle qui fut son amie. 

Après Lucie sous la lune (Les Enfants Rouges éditions, 2022) et Adieu mon royaume  (éditions 6 pieds sous terre, 2024), Marcel Shorjian fait paraître La Montagne entre nous. Il a, cette fois, écrit le scénario et confié la réalisation graphique à son amie Jeanne Sterkers. Ce récit réaliste contemporain met en scène les retrouvailles de Marcia Jacquet et de Florence Perrin, deux femmes sexagénaires, qui se sont aimées et perdues de vue. Marcia a fui ce village rural de montagne pour rejoindre Paris où elle a vécu son homosexualité et a exercé comme graphiste. Florence, elle, s’est mariée sans jamais quitter ce village. Toute sa vie, elle l’a vécue ici. 

© Sarbacane éditions

Reviendras-tu ?

Histoire empêchée, La Montagne entre nous essaie de débrouiller les fils d’un amour qui s’est arrêté net. Nous suivons ces deux femmes, traversées par une myriade d’émotions – agacement, méfiance, tristesse, désir, joie, lassitude – alors qu’elles se retrouvent et cherchent à comprendre cette rupture qui n’est pas due à la fin du sentiment d’amour. Au travers de son récit, Marcel Shorjian représente deux personnages qui réfléchissent à leur histoire. C’est l’occasion, rare et parfois désespérante, de se pencher sur ce qui a pu abimer ce lien qui semblait pouvoir braver les épreuves. Beaucoup de questions s’ouvrent sans, toujours, donner de réponses claires. Quel a été le rôle de l’homophobie dans tout ça ? Quel vertige y a-t-il à découvrir que les événements ne se sont pas passés comme on le croyait ? Comment supporter la prise de conscience d’avoir pu passer à côté de quelque chose de grand pendant tant d’années ?

© Sarbacane éditions

La temporalité fait s’entremêler deux trames narratives. Le présent des retrouvailles est régulièrement interrompu par des flashbacks qui font ressurgir des événements forts de leur adolescence. Ce parallélisme matérialise la conception qu’à Marcia de l’amour. De tous les phénomènes physiques que Florence lui a expliqué c’est celui de la « persistance rétinienne » qui l’arrête. Ainsi, l’image perçue de quelqu’un reste encore, un court instant sur la rétine, après la personne disparue. Cela lui évoque le lien qui l’unit à Florence. Même absente, une secrète insistance. Elle lui écrit, dans une lettre : « Depuis que j’ai posé le regard sur toi (…) Tu ne pars jamais ».

Jeanne Sterker, avec ses feutres alcool, dépeint une atmosphère onirique et automnale. Les plans comme les silhouettes sont labiles. Le trait, au pinceau feutre noir, détoure les personnages dont le mouvement est suggéré par les débordements la couleur. Aussi, les cases sans ligne de contour laissent l’oeil vagabonder animant les scènes. La Montagne entre nous joue des effets de superposition des temporalité comme des images et donne ainsi une profondeur de champ à cette histoire d’amour.

La Montagne entre nous de Marcel Shorjian (scénariste) et Jeanne Sterkers (dessinatrice), éditions Sarbacane, 24euros.

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