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TOP – Les meilleurs livres de l’année 2024

© Guillaume Lacoste

Il y a les livres que l’on feuillette, ceux qui amusent et ceux qui restent dans un coin de l’esprit pendant des années. Voici une petite sélection de nos coups de cœur de l’année 2024.

Des essais, des romans, des essais romancés et des romans essayistes. Cette année les choix de formes sont variés pour notre petite sélection mazesque. Le fond en revanche, gravite résolument autour de thématiques communes, chères à la rédaction depuis des années : une réflexion féministe arrogante et joyeuse, des livres qui parlent de la vie, dans ce qu’elle a de plus insaisissable et fragile à la fois. Un beau bilan littéraire 2024, pour accueillir l’année suivante.

Baumgartner – Paul Auster

Dernier livre d’un romancier qui se savait mourant, Baumgartner n’est pour autant ni un testament, ni une œuvre «  somme  ». Au contraire, ce portrait de vieillesse d’un professeur d’université frappe par sa légèreté. Comme toujours chez Paul Auster, de petits enjeux naissent d’une vie minuscule. Avoir un corps c’est toujours autant de problèmes quand on vieillit. Ce court texte explore calmement les sensations et les souvenirs, indissociables, de son héros en bout de course. Ce dernier opus ponctue l’œuvre du New-yorkais avec une retenue et une élégance qui en font un des très beaux romans de cette année.

Enzo Hanart

 © Actes Sud

Baumgartner, de Paul Auster, traduit de l’anglais (Amérique) par Anne-Laure Tissut, éditions Actes Sud, 208 p, 21.80€.

Pour Britney Louise Chennevière

Il faut le marteler, l’écrire, le répéter, le marteler encore : la honte doit changer de camp. Avec Pour Britney, court texte de moins de 150 pages, Louise Chennevière unit son parcours à celui de Britney Spears et Nelly Arcan. Trois trajectoires à priori inconciliables, que l’autrice associe pourtant avec évidence. Il n’y a pas que la blondeur qui leur soit commune – un détail qui a son importance si l’on mesure tous les clichés sexistes que charrie cette simple couleur de cheveux – il y a aussi les nombreuses violences sexistes et sexuelles, qui conduisent l’autrice à la colère, Britney Spears à l’enfermement et Nelly Arcan au suicide. C’est d’un seul souffle, presque d’un seul bloc que Louise Chennevière construit ses phrases et son récit. Avec urgence et réflexion. C’est aussi ça le féminisme.

Anaïs Dinarque

 © P.O.L

Pour Britney de Louise Chennevière, éditions P.O.L, 144 p., 15 €

Border la bête – Lune Vuillemin

Deuxième roman de Lune Vuillemin, Border la bête est un roman sur l’ambivalence humaine : blesser, chasser mais aussi réparer, prêter secours. Jeff et Arden, responsables d’un refuge pour animaux sauvages blessées, accueillent la narratrice qui passe un séjour au milieu de cette lande canadienne gelée. Face à Arden – la femme aux doigts d’araignée -, elle sent naître et gonfler un désir ardent toujours mêlé d’une détresse sèche. Des coccinelles pullulent comme un cauchemar. Dans le sillage du nature writing , la forêt parle, les bêtes se livrent à des danses nuptiales, la peau du lac se ride. Un très beau roman que l’on ne lâche pas si tôt des mains, sur la volonté tenace de donner une chance au vivant de survivre.

Marie Viguier

© La Contre Allée

Border la bête de Lune Vuillemin, éditions La Contre Allée, 19 euros.

Le Château de mes sœurs – Blanche Leridon

Ce livre est construit comme un château, où chaque chapitre est une pièce, une petite porte ouverte vers une piste de réflexion pour penser les sorories. Même s’il ne le porte pas en étendard, l’essai Le Château de mes sœurs a le mérite de dépoussiérer un terme méconnu, de mettre le doigt sur le mot manquant de « sororie », à peine présent dans les dictionnaires quand son pendant masculin, la « fratrie » et son dérivé font partie intégrante de notre devise nationale. Convoquant aussi bien les sœurs de chair telles Woolf, de Beauvoir ou Dorléac et celles de fiction à l’instar des March, de Fleurville et les sœurs dans Fleabag, Blanche Leridon dresse le portrait des sœurs, entre rivalité construite par le patriarcat et sororité réelle. Un très bel essai accessible, inattendu et enrichissant !

Anaïs Dinarque

 © Les Pérégrines

Le Château de mes sœurs, des Brontë aux Kardashian, enquête sur les fratries féminines, de Blanche Leridon, éditions Les Pérégrines, 240 p., 20 €

L’art de passer à l’acte – Léa Bismuth

Abrégé de sa thèse, L’art de passer à l’acte de Léa Bismuth est un essai limpide et exigeant. Elle y renverse le concept psychanalytique de « passage à l’acte ». À partir de ce « passage à l’acte », initialement conceptualisé comme pure négativité, pulsion de mort et agissement irréfléchi, l’autrice pense son pendant positif : passer à l’acte pourrait être un choix créatif, un geste de vie mais aussi le désir conscient d’un évènement. Le plus bel exercice de pensée de cette année. 

Marie Viguier

 © Presses universitaires de France

L’art de passer à l’acte de Léa Bismuth, éditions PUF, 176p., 14 euros.

En salle – Claire Baglin

Lors d’un repas chez MacDonald ou dans un autre fast-food du même genre tout semble transparent. On aperçoit l’équipier qui assemble les burgers dans les cuisines ouvertes, celui qui nettoie les tables en salle ou le manager qui nous tend en souriant notre commande dans un sac en papier kraft. Pourtant, ce qu’on ne voit pas, c’est l’aliénation des employés, entre cadence effrénée, compétition malsaine et répétition mécanique des gestes jusqu’à épuisement de tout sens. Avec son premier roman En Salle, Claire Baglin nous ouvre les coulisses d’un fast-food comme un autre où l’héroïne commence son premier petit boulot. Le lecteur y fait des allers-retours entre ce monde dystopique de la restauration rapide et ses souvenirs d’enfance marqués par la figure d’un père ouvrier. Après En Salle, vous ne commanderez plus jamais des frites de la même façon.

Lisette Pouvreau

 © Les éditions de minuit

En salle de Claire Bagin, Les éditions de minuit, 144 p., 8,50 €

Devenir chienne – Itziar Ziga

Itziar Ziga a grandi dans les rues bruyantes du Pays basque, où elle a appris à se rebeller contre les normes imposées aux femmes. Avec Devenir chienne, elle signe un brûlot radical et insolent qui explose les codes, secoue les certitudes et donne la parole aux marges. Traduit pour la première fois en français, ce texte publié en 2009 est une déclaration de guerre à la féminité sage et conforme, au patriarcat comme au féminisme bourgeois et policé.

Chaque page est une ode à la subversion : une féminité assumée comme un rôle, excessive et parodique, des talons hauts aux boas à plumes, tout est mis en scène pour tourner en dérision le grand théâtre du patriarcat. Mais derrière cet apparent carnaval, Ziga offre un véritable arsenal politique. Avec sa langue acérée, elle démonte les discriminations contre les travailleur·se·s du sexe, les personnes trans et racisées, et oppose à la pureté du féminisme institutionnel une féminité explosive, « bâtarde, malpolie, exaltée, décalée ».

Nourri de portraits et de témoignages, le texte déplace constamment les frontières entre sacré et profane, théorie et pratique. Ziga convoque autant Sainte Agathe que la performeuse post-porn Annie Sprinkle, l’artiste queer Pedro Lemebel ou la féministe afghane Meena Keshwar Kamal. Ce manifeste est aussi un hommage vibrant à ces figures qui l’ont sortie de l’ombre : Alaska, icône punk de la Movida, ou encore Nell Kimball, maîtresse d’un bordel au XIXe siècle, dont les mémoires transgressives résonnent avec l’activisme des rues de Barcelone. Dans la lignée du SCUM Manifesto de Valerie Solanas, Devenir chienne est une conversation ardente entre les « vraies salopes », ces femmes sûres d’elles, arrogantes et exubérantes qui font exploser les carcans. Avec humour, rage et tendresse, Ziga offre un espace à celles que l’histoire voudrait invisibiliser. Un espace radical, joyeux, et furieusement nécessaire.

Romane Fragne

 © Cambourakis

Devenir chienne de Itziar Ziga, traduit de l’espagnol par Diane Moquet et Camille Massy, éditions Cambourakis, 176 p., 21€

Un désir démesuré d’amitiéHélène Giannecchini

Qu’est-ce qu’une famille ? N’excède-t-elle pas toujours les liens dits « biologiques » ? Quelles dynamiques, joyeuses et malheureuses, implique-t-elle ? Hélène Giannecchini, autrice du très beau Voir de ses propres yeux, propose un nouveau livre à la croisée de la littérature, de la théorie et d’une expérience concrète de l’amitié. En invitant au creux de ses pages les pensées de Butler, Wittig, Lorde mais aussi des archives et des images comme celles de la photographe Donna Gottschalk, elle pense au présent la possibilité d’inventer de nouvelles façons de faire récit, de faire amitié, de faire famille. Un désir démesuré d’amitié travaille ce sentiment pour montrer qu’il est un terme aux bras grands ouverts qui peut accueillir autant nos relations affectives que des généalogies intellectuelles. Petite merveille.

Marie Viguier

© Seuil

Un désir démesuré d’amitié d’Hélène Giannecchini, éditions du Seuil, 21euros.

Hot Milk – Deborah Levy

Mois d’août, sud de l’Espagne, 2015. Sofia accompagne sa mère se faire soigner dans une clinique privée hors de prix à Almería. Le séjour est loin d’être une sinécure puisque mère et fille s’entendent comme chien et chat. Loin de l’Angleterre et de son job de serveuse troqué contre sa thèse inachevée, Sofia fait des rencontres et voit renaitre son désir. Deborah Levy revient tout en grâce et en mystère avec un roman, après son cycle autobiographique passionnant. Hot Milk est un livre aussi ardent qu’entêtant, où les méduses, les bottes de cowboy et les chats blancs forment des images qui marquent encore longtemps après la lecture.

Anaïs Dinarque

 © Les éditions du Sous-sol

Hot Milk de Deborah Levy, traduction Céline Leroy, Éditions du Sous-sol, 22,50 euros. 

Frapper l’épopée – Alice Zeniter

Après plusieurs années à faire la navette entre la Métropole et le Caillou (le nom que ses habitants donnent à la Kanaky-Nouvelle-Calédonie), Tass, qui vient de rompre avec son petit ami, est définitivement de retour sur son île. La jeune femme, devenue prof de français après la crise du Covid, est piquée de curiosité lorsqu’elle observe chez deux de ses élèves, des Kanaks, des signes d’appartenance à un groupuscule indépendantiste… L’intrigue de ce dernier roman d’Alice Zeniter tient dans un mouchoir de poche : et pour cause, elle sert surtout à assouvir l’immense curiosité de l’autrice vis-à-vis de cette île française mais mal connue des Français, que les révoltes de l’an passé ont remis au cœur de l’actualité. Entre Kanaks, Caldoches, Communards, engagés volontaires pour vivre la grande vie de colon et autres bagnards — parfois déportés d’Algérie ! — sur ce lieu qui a longtemps servi de prison à la France, l’autrice dresse un fin portrait de ces communautés de destins, qui n’ont pas grand-chose en commun sinon une terre et un passé jalonné d’injustices.

Emma Poesy

© Flammarion

Frapper l’épopée, d’Alice Zeniter. Éditions Flammarion. 22 euros.

Les âmes féroces – Marie Vingtras

Dans une petite bourgade des États-Unis, le corps inanimé d’une jeune fille est retrouvé le long d’un cours d’eau au petit matin. C’est la shérif de la ville nouvellement arrivée et ouvertement lesbienne, Lauren Hobler, qui mène l’enquête pour retrouver le meurtrier. Les premiers indices laissent penser qu’elle aurait été assassinée par son professeur de français, dont le bruit court en ville qu’il aurait eu des penchants pédophiles. On a l’impression d’avoir déjà lu mille fois le scénario de ce polar américain — la scène d’exposition de la géniale série Mare of Eastown, avec Kate Winslet, est presque la même —, pourtant, Marie Vingtras réussit à mener cette intrigue sans prétention d’une main de maître. Ici, il est moins question du crime que du motif du crime, des intériorités de ces petites vies qui se font et se défont dans le creux d’une Amérique qui tourne en vase-clos. Une petite révolution dans un genre fort viril, le polar, qu’à coups de petits détails et de changements de focales, l’autrice de ce roman passionnant parvient à dévier de sa route toute tracée. Le résultat est certes féministe, mais c’est surtout un grand page-turner. Chapeau !

Emma Poesy

© éditions de l’Olivier

Les Âme féroces de Marie Vingtras. Éditions de l’Olivier, 21,50 euros.

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