Coup d’œil sur nos coups de cœur en bande dessinée de cette année 2024. Au programme de l’aventure et beaucoup de second degré.
De la BD indépendante encore et toujours au programme de notre sélection de coups de cœur de l’année. 2024 signe le retour de grands noms déjà bien identifiés comme Emil Ferris, mais 2024 annonce aussi des premières apparitions, des rééditions et des premières traductions.
Épinette noire – Aurélie Wilmet
Épinette noire est résolument l’une des propositions artistiques singulières qui ont garni la production bédéesque de l’année. Si ce nouveau récit d’Aurélie Wilmet après Rorbuer (2020) s’ancre dans un contexte bien précis – les enjeux d’une compagnie postale aérienne dans le Grand Nord canadien au siècle dernier -, il trouve une véritable universalité dans la générosité avec laquelle il approche les émotions, ainsi que la place de l’être vivant dans une nature dominante. Navigant entre la complexité des liens sociaux, le sens des responsabilités, ou encore le rapport au rêve, cet album apporte à ces thématiques un regard nuancé et authentique.
Planche après planche, l’autrice belge utilise ses crayons de couleur et ses Copic pour explorer les trajectoires des personnages, ainsi que les richesses de la biodiversité du Nunavik. Le rigoureux travail de recherche documentaire effectué en amont par Aurélie Wilmet confère à ce roman graphique une belle gravité, permettant au récit de déconstruire les stéréotypes longtemps véhiculés sur les habitant·e·s de ces espaces. Laissant libre cours à l’interprétation, Épinette noire réveille le goût des joies simples – la chaleur de l’âtre, un repas partagé – et des imaginaires magiques.
Aude Cuilhé
Épinette noire de Aurélie Wilmet, Super Loto Éditions, 29€
Ernestine – Salomé Lahoche
Salomé Lahoche a ouvert le bal des publications graphiques avec superbe. En janvier 2024, elle faisait paraître sa BD Ernestine. Son personnage éponyme tire la gueule – mais on ne lui en veut pas – et passe son temps la clope au bec à potasser de la philosophie existentialiste. À sept ans, ça pose le décor. Imprimée en quadrichromie, l’histoire de cette petite fille lucide et trash a le mérite de secouer nos idées toutes faites.
Marie Viguier
Ernestine de Salomé Lahoche, éditions Même pas mal, 120p., 20,00€
Ballades – Camille Potte
On continue ce TOP avec Camille Potte qui signe un bijou graphique et scénaristique. Ballades convoque les archétypes de nos contes de fée qu’elle met sens dessus dessous. Ainsi, chevalière, sorcières, prince et princesse échangent leur rôles, font bifurquer leur destins et partagent la page avec le peuple des grenouilles rigolotes et musiciennes. En rebattant ainsi les cartes, Camille Potte invente un univers qui possède sa langue (cocktail de franc-parler et de vieux français) et un imaginaire désirable. Le tout réalisé dans un dessin élastique avec des couleurs acidulées.
Marie Viguier
Ballades de Camille Potte, éditions Atrabile, 144 p., 22.00€.
Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, livre deuxième – Emil Ferris
Suite du premier volet très remarqué des aventures de Karen Reyes, Moi ce que j’aime c’est les monstres convoque dans ses pages aussi bien l’histoire de l’art que les séries B horrifiques. Une œuvre immense de quelques 400 pages qui foisonne de références et de beauté. Située dans le Chicago crapuleux des années 60, l’histoire suit le point de vue de Karen Reyes, lycanthrope obsédée par les monstres comme elle. Emil Ferris réalise toute son œuvre au stylo bille, ce qui donne du relief à son trait. Un troisième tome et un préquel seraient en préparation.
Anaïs Dinarque
Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, livre deuxième de Emil Ferris, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Charles Khalifa, éditions Monsieur Toussaint Louverture, 416p., 34,90€
Les Contradictions – Sophie Yanow
Sophie vient de débarquer à Paris, un peu paumée et dépaysée de son Amérique natale. Le jour où elle rencontre Zena, toute de noire vêtue sur son vélo, c’est l’urgence de la connaitre qui la fait se précipiter vers elle. Parce que qui dit « vélo dit punk. Peut-être » et « Punk peut vouloir dire queer ». Les voilà donc liées cahin caha, de vols à l’étalage en road trip vers le nord de l’Europe. Pour son crush, Sophie est prête à mettre de côté ses envies et à faire beaucoup de concessions. Avec humour et subtilité, Sophie Yanow expose les dissonances entre ses personnages, à l’âge des contradictions.
Anaïs Dinarque
La Chiâle – Claire Braud
Brune, toujours vêtue de son trench vert, Carilé est inconsolable. Ses larmes ne tarissent pas face à la souffrance et l’atrocité tant universelle qu’intime. Ce flux continu matérialise le flot d’horreurs que tracte le monde : un drame personnel, les attentats du 13 novembre à Paris, les massacres de milliers de Tamouls au Sri Lanka. On pense à Judith Butler qui dit qu’être humain c’est être capable de pleurer et de reconnaître l’égale dignité de toutes les vies. Pleurer ce n’est pas être vivant, c’est être humain. Claire Braud a un dessin surprenant, rapide et pressé comme encore brouillé du liquide lacrymal où les histoires dramatiques côtoient des scènes tout à fait burlesques. Elle se transforme littéralement en femme fontaine au milieu du livre.
Marie Viguier
La Chiâle de Claire Braud, Dupuis éditions, 216p., 29,95euros.
J’aime les filles – Obom
Avez-vous déjà senti votre coeur menacer de sortir de votre poitrine ? Artiste québécoise, Obom discute avec ses amies et en fait un livre. Très beau. Elle leur adresse cette question et cueille – avec une attention infinie – leurs mots. Elle sait que ce sont des confidences rares, des trésors souvent. Obom les met en images au travers de figures longilignes à l’allure animalesque. J’aime les filles ouvre un éventail tendre, burlesque parfois, sur les amours adolescentes lesbiennes. Primée du jury des Prix Bédélys en 2015, elle vient d’être rééditée.
Marie Viguier
J’aime les filles d’Obom, éditions L’Oie de Cravan, 92p., 17euros.