Un an après l’EP Jours sauvages, l’artiste nous dévoile enfin son premier album intitulé ON VA JAMAIS MOURIR. Introspectif, ce long format laisse place à des inspirations musicales rafraîchissantes. Rencontre.
Après avoir écumé la scène rock underground au sein du groupe Sergent Papou, Chien Bleu a troqué le chant pour un rap brut et authentique. Depuis 2018, sa plume exacerbée et ses rimes percutantes agissent comme une thérapie. Ce nouveau projet ne déroge pas à la règle et vient puiser dans de nouvelles sonorités. Plus orchestral et toujours aussi intimiste, Chien Bleu partage avec son public ses joies, ses peines mais surtout sa sincérité.
Comment vas-tu en ce jour de sortie d’un premier album ?
Je suis content, je me réjouis. Ça fait longtemps qu’on bosse dessus donc au bout d’un moment faut que ça sorte.
Tu as débuté ta carrière en tant que chanteur au sein du groupe de rock Sergent Papou, pourquoi cette envie soudaine de te lancer en solo ?
Ce n’est pas tout à fait une envie soudaine. J’ai commencé à faire de la musique quand j’avais treize ans, avec les gens qui m’entouraient. Tu vas dans une cave avec un gars qui a pris des cours de batterie, un qui sait jouer un peu de guitare. Et moi, j’ai pris un micro même si je ne savais pas chanter. C’était un peu mon groupe d’adolescent avec des amis mais, très rapidement, ce n’était plus la musique que j’écoutais. Je me suis mis à écouter du rap, beaucoup de Booba et mes potes ne comprenaient pas.
Tu sens quand un cycle se termine. Puis, j’ai remarqué que ce qui me touche, c’était des choses plus perso, plus calmes. Chose que je retrouvais pas dans la musique qu’on proposait. Je faisais plus la musique que je voulais donc j’ai pris le temps de réfléchir et j’ai commencé à sortir des morceaux humblement.
Qu’est-ce que cette expérience en groupe t’a apporté, appris ou permis dans la réalisation d’une carrière solo ?
C’est la genèse de tout. J’ai l’impression que je ne serais pas moi-même en tant qu’être humain si je n’avais pas eu cette expérience. Je me suis construit autour de ça, on faisait des concerts, on allait dans des squats, c’était un milieu très underground. Je pense même que l’imagerie que j’ai dans la tête fait partie de ce vécu tout comme certaines valeurs que je porte. J’ai sûrement des sonorités qui me restent même si je ne m’en rends pas forcément compte.
Tu parlais des valeurs et c’est un sujet très intéressant. J’ai vu avec ton activité notamment sur Instagram que tu as l’air assez proche de ton public. Tu mets beaucoup en avant Lupa, le beatmaker avec lequel tu travailles. Tu as cette réelle envie d’amener toutes les personnes qui t’entourent dans cette aventure ?
À mort, à mort. La stature de star m’ennuie beaucoup. Je ne m’y retrouve pas du tout. Et puis, je suis tatoueur donc je rencontre plein de gens au quotidien et, dans la musique, c’est pareil. J’en discutais hier avec Lupa, c’est vraiment mon frère, c’est avec lui qu’on fait tout. Quand on fait des morceaux, on en discute, on cherche, on passe beaucoup de temps sur des petits détails. On se disait que quitte à ne pas faire d’argent autant que l’aventure soit belle. Le mec du public que j’ai croisé, ça me va très bien si ça devient mon pote, j’ai pas envie qu’il y ait de barrière.
A l’écoute de l’album on ressent les influences rock dont tu parlais dans les sonorités. Ça créé un mélange entre des productions trap et orchestrales à la fois. Est- ce que tu travailles avec des musiciens en studio ?
Tu fais trop plaisir de relever ça ! Lupa est musicien, il est bassiste et, évidemment, on fait venir des gens en studio : des pianistes, des guitaristes. Quand j’ai arrêté de faire du « rock », j’ai vraiment essayé de montrer patte blanche en proposant quelque chose de complet. J’ai cherché en moi ce qui me plaisait en faisant une sorte d’introspection de mes goûts. Quand on est arrivé pour bosser l’album, on croyait avoir fait quatre-vingt pour cent du projet. On l’a écouté avec l’Œil Écoute (la personne qui m’enregistre à Bruxelles et qui fait beaucoup d’arrangements) et on s’est rendu compte qu’on avait que trente pour cent. Quatre titres ont été retenus, tout le reste était hors DA.
On s’est posés pour faire un tri en se mettant quelques mots-clés qui représentaient ce qu’on voulait dire mais aussi créer musicalement. C’est pour ça qu’il y a autant de vrais instruments. On voulait quelque chose de granuleux avec des aspérités, que ce ne soit pas lisse.
Justement, quelle est la dynamique de travail avec Lupa ?
La plupart du temps, je fais une maquette avec une idée puis, on en discute. Pour « NEW YORK », je lui disais : « Gars, je veux un truc qui fasse cette rythmique là et je veux un son où quand je commence je suis direct en train de chanter mal ». Chanter haut mais pas très bien, tu vois. On a cherché pendant un mois puis « NEW YORK » est sorti.
Chien Bleu, ton nom, est-elle une référence au livre pour enfants de Tomi Ungerer ?
Hé oui, c’est exactement ça. C’est ma mère qui me lisait ça quand j’étais petit. Et j’aime bien cette imagerie de chien qui s’est fait adopter par une petite fille et qui finit par la protéger. Au-delà de ça quand tu dis Chien Bleu t’as une image en tête.
Ce nom est un parallèle avec l’enfance, thème présent dans l’album, qui aussi baigne dans des thèmes d’adultes, de grandes personnes. Est-ce une façon de laisser s’exprimer l’enfant en toi malgré les obstacles du quotidien ?
J’ai vraiment l’impression d’avoir pris le temps de mettre les mains dedans tu vois. De regarder ce qu’il s’est passé et puis ça m’aide à comprendre qui je suis maintenant. C’est vraiment ça que j’ai voulu faire.
Le titre de ce projet ON VA JAMAIS MOURIR sonne, justement, comme les promesses qu’on se fait enfant. On y voit la naïveté et la spontanéité de l’enfance. Est-ce cela que tu as cherché à retranscrire ?
Complétement, c’est un peu à double sens. J’adore ces sortes de mensonges que tu dis avec tellement d’assurance que ça sonne vrai. C’est beau à mort. C’est presque une image d’adolescent sur une plage qui a ses premières sensations. Et, en même temps, je suis à un moment de ma vie où je sais que je vais mourir et on créé des choses pour ne pas mourir. Tant que tu laisses une trace, d’une certaine manière, tu ne meurs pas.
Même en faisant un enfant, je transmets mon ADN dans un corps qui va vivre plus longtemps que moi et c’est une manière d’être éternel. L’histoire que t’as raconté à ton enfant, si il la raconte à son tour, peut-être que ton son sera écouté dans cinquante ans. C’est une manière de ne pas mourir.
Si tu devais dédier cette promesse, à qui ça serait ?
J’aimerais la dédier aux gens qui ont fait l’album avec moi. Parce qu’il y a cette envie d’être plus grand que soi-même. Et c’est ce qu’on a fait dans cet album.
On ressent un rapport fort au temps. On pense aux morceaux « TOUT L’ÉTÉ » ou « SAISONS » mais aussi à ton rapport à tes souvenirs. Est-ce un aspect que tu as recherché ?
Un des mots-clés dont je parlais juste avant c’était la sincérité. On a voulu faire un projet très vrai quitte à parfois être moche en se permettant la laideur ou la maladresse. Le temps, ça me travaille, j’ai pas de souci à en parler. Je suis à un âge qui est un carrefour et je pense que ça ressort particulièrement dans l’album.
À la première écoute, un titre a retenu mon attention : « TOUS LES MÊMES ». L’ambiance du morceau renvoie une image dystopique, avais-tu cette idée au départ ou avais-tu autre chose en tête ?
Dans les couplets, je fais des sortes de tableaux actuels de ce qu’on vit et de ce qu’on connait. Les parties un peu sulfureuses que je vois et connais. Le message est que ça traverse les âges. L’idée du morceau vient de là. Y’a un côté fédérateur dans le refrain puisque on est beaucoup à connaître la même chose.
On note la présence d’un seul featuring, est-ce pour conserver un aspect introspectif ?
En fait, on s’est dit qu’on faisait tout l’album sans feat et qu’ensuite on les demandait. Il se trouve que c’est très compliqué d’en avoir (rires). Je peux en parler, j’ai aucun problème. On a demandé des featurings qu’on nous a refusé, soit on n’a pas eu de réponses, soit des gens ont fait des pirouettes acrobatiques pour pas être sur l’album.
Il faut préciser que je voulais des feats de fou, parce que je me trouve fort et que je voulais des gens forts. Finalement, ça me va très bien. J’ai l’impression que l’album est hyper pur comme ça. Je ne voulais pas de feats seulement pour remplir et qui ne rentrent pas forcément dans le thème de l’album. Y’a aussi des gens que j’admire mais à qui je n’aurais jamais osé demander.
Bien que tu abordes des sujets forts, l’album n’est pas plombant. Grâce aux sonorités, on ne ressort pas abattus de l’écoute. C’est important pour toi d’avoir une musique sur laquelle célébrer tout en ayant des paroles profondes ?
Ce qui est important c’est de ne pas faire du ton sur ton. J’aime pas trop la lamentation et quand c’est trop pleurnichard, ça m’ennuie. Un propos est plus fort s’il y a plusieurs couches. J’adore les sons tristes où tu peux danser dessus, ça me touche énormément, j’adore. Y’a rien de plus beau qu’être triste en soirée et de danser.
Est-ce que le fait d’être tatoueur te guide pour l’esthétique de tes clips ?
C’est sûr que je mets énormément de moi pour les visuels. J’en parle beaucoup avec Twohvnds qui bosse sur Bruxelles. On créé la DA ensemble, c’est aussi lui qui fait mes pochettes. J’ai beaucoup d’implication là-dedans. Le tatouage retranscrit mon goût particulier pour le visuel. Quand j’étais ado, je consommais cinq films par semaine. J’ai jamais eu la télé, par contre, j’avais des disques durs remplis de films, tout le temps.
Dans le morceau « Ok », de ton Ep Jours sauvages, tu dis : « Peut-être que l’échec me fait peur, peut-être autant que la réussite ». Es-tu toujours dans cet état d’esprit avec ce premier album ?
J’ai vachement moins peur des deux. Je crois que je suis à l’aise avec moi-même. Tu vois y’a un mec qui va me voir en concert à Genève avec le public qui chante mes paroles et il va se dire que j’ai bien réussi. Et puis y’a Damso qui va me regarder et se dire que c’est rien. Je suis ok avec la notion d’échec ou de réussite.
Tu évoques Damso, c’est une de tes influences en termes de rap ?
C’est hyper dur de connaître exactement ses influences. Ce qui est sûr c’est que je l’ai énormément écouté et qu’il m’a poussé à mettre le pied à l’étrier. J’écoutais sa musique quand j’allais en convention de tatouages à Liège. Je trouvais ça trop fort. C’est un truc un peu pop/rap. Il a vraiment cassé des codes et a été très inspirant.
On te sent totalement décomplexé dans la musique que tu proposes. Observes-tu une évolution par rapport à tes projets précédents ?
Pour revenir à la question de l’échec, ne plus avoir peur de l’échec permet de faire un album comme ça. C’est pas du tout calibré comme un album. C’est quinze titres d’un trentenaire avec une grosse tête au crâne rasé, qui rappe deep sur des sons qui parfois sonnent rock. Je vois pas le public cible là-dedans. Ça permet de faire exactement ce qu’on veut. On le fait pour nous, pour notre histoire personnelle.
Qu’est-ce que cette musique canalise en toi ?
L’écriture c’est une manière de se comprendre. Dans un des textes, je dis que fais partie d’une génération qui ne va pas chez le psy. On a été bercés à être des tough guys, avec des icônes de mecs balèzes. Quand j’étais petit, je voulais ressembler à Vin Diesel. C’est une manière d’aller humblement chercher des choses au fond de soi. Parfois, je parle de l’album avec ma copine, elle l’écoute, me conseille. Ou avec un frère, en fin de soirée. C’est plus une manière de décortiquer le puzzle.
Tu évoques ton entourage proche, est-ce qu’il a une implication particulière dans ta musique ?
J’en parle souvent donc ils font partie de mon paysage proche. Je leur fais écouter, notamment à ma sœur et ma copine. Et puis c’est des auditrices lambdas donc quand elles hochent la tête ou qu’elles chantent pendant deux jours le refrain, c’est qu’il est réussi.
Dans le dernier morceau, tu dis qu’être différent te rend de plus en plus commun. Ça fait le lien avec la peur de l’échec et du succès. Comment te retrouves-tu dans ce projet d’un univers personnel ?
C’est marrant parce que tu t’es arrêté sur deux morceaux : un où je dis qu’on est tous les mêmes et l’autre où je dis que je suis différent et que ça me rend commun. J’ai deux personnages en moi qui combattent.
Y’a le moi qui a beaucoup d’égo et persuadé d’être différent. Parfois, je le suis vraiment. C’est moche à dire mais je suis persuadé de me sentir plus grand que je ne le suis. Et puis, y’a le moi dans les petites actions du quotidien, dans ma simplicité. Dans une vision d’ensemble, on est très semblables. On a des aspirations très communes. Je passe tout l’album à parler de moi et, à la fin, je dis que je suis comme toi.
Tu dois avoir des attentes avec ce projet. Qu’est-ce qui te tient le plus à cœur dans la compréhension de cet album ?
J’aimerais bien que les gens l’écoutent déjà et bien sûr qu’ils captent ce que j’ai voulu dire. J’ai essayé d’être très franc, de simplifier mon écriture et de mettre moins de métaphores. J’ai essayé d’être comme un documentaliste. Je peux attendre de moi de faire le meilleur album possible mais c’est dur d’attendre des autres.