LITTÉRATURE

« On n’est pas des bourgeois » – L’album photo de la pauvreté

© Bruno Doucey éditions
© Bruno Doucey éditions

On n’est pas des bourgeois, le dernier livre de Fabienne Swiatly, vient de paraître aux éditions Bruno Doucey. D’habitude on trouve des poèmes dans les livres de la collection Soleil noir, mais peut-être que la poésie n’est plus à la mode.

Encore déçu par les poètes contemporains qui s’essayent à des ersatz de prose poétique. Quand on a lu ne serait-ce que « Le joujou du pauvre » de Charles Baudelaire dans Le Spleen de Paris, on sait qu’il est possible de dresser un tableau émouvant, éloquent et poétique de la misère qui nous entoure. Si l’on veut absolument éviter de verser dans le pathos, de risquer de jeter un regard condescendant (noble parti pris que laisser au lecteur le choix d’éprouver ou non de la compassion), on peut donner la parole aux pauvres, comme le fait par exemple Ascanio Celestini dans son magistral Lutte des classes.

Fabienne Swiatly choisit plutôt de nous fournir une série de brèves descriptions d’individus subissant, à différents degrés, la pauvreté. Mais la parole est-elle vraiment ici donnée aux pauvres ? Ne tombe-t-on pas dans le piège qu’on tente d’esquiver, en portant un regard presque impersonnel sur des sans-abris, en ne proposant aucune interprétation de cette réalité étalée, morcelée comme des photographies dans leur solitude ?

Adossé contre le pilier en béton de la gare, un homme, visage avenant, bonnet et pull en laine épaisse, lutte contre l’endormissement. Il pique du nez, redresse la tête d’un coup puis replonge dans le sommeil. Il râle contre le monde entier avec des mots lourds d’alcool et de fatigue. L’affiche collée sur le pilier réclame du Travail pour Tous.

On n’est pas des bourgeois, Fabienne Swiatly

Surtout pas de politique !

D’abord, qu’est ce qu’on entend par politique ? Simplement ce qui est relatif à l’organisation de notre société, et à la manière de la conduire ou de la changer. Ainsi, faire le constat de la pauvreté, ce n’est pas tout à fait de la politique. C’est tout du moins dire la vérité – pratique en voie de raréfaction dans le paysage médiatique – et pour cela on peut déjà remercier l’autrice de ce recueil. Mais pour un lecteur qui ne vivrait pas dans une grotte, les pauvres sont une réalité qu’il côtoie chaque jour, avec son lot d’indifférence ou d’indignation, selon l’état de son humanité. Quid des causes de cette pauvreté ? Quelle est l’étendue de la misère ? Et la conscience de classe s’arrête-t-elle au timide constat de n’être pas un bourgeois ?

Certains pensent peut-être que la politique ne fait pas bon ménage avec la poésie. Si l’on veut refaire le monde, on achète un essai ou un journal de critique radicale. De jeunes auteurs nous assurent pourtant le contraire. On pense à Théo Plantefol, pour qui la poésie est un acte de résistance et la première étape d’une révolution. Le recueil de Fabienne Swiatly manque de ce souffle subversif, de cette magie de la rupture qui prend le réel à bras-le-corps pour le transcender. La pauvreté est un sujet éminemment politique, qui ne se contente pas d’un regard attendrissant. Nombre de nos concitoyens pensent aujourd’hui que les pauvres méritent leur sort, qu’ils ne sont pas des victimes d’un système injuste mais les artisans de leur propre échec. Comment sortir de cette impasse idéologique et inhumaine ? Ce recueil, malgré son titre racoleur, ne répond pas à ce défi.

Une dizaine d’hommes réunis autour d’une table et la formatrice qui se tient en face d’eux. Ils apprennent la langue d’un pays que, pour la plupart, ils n’ont pas choisi. La migration les a arrêtés là. […]

On n’est pas des bourgeois, Fabienne Swiatly

On n’est pas des poètes

De plus en plus d’auteurs tentent de s’affranchir du carcan des genres littéraires. Leurs textes ne sont plus tout à fait des poèmes, ou plus vraiment des récits. Ce sont parfois des expérimentations très intéressantes. Mais il arrive aussi que l’on se perde dans le flou artistique. Ce recueil paraît dans la collection Soleil noir, qui se veut vouée « aux poètes qui cherchent une lumière au plus sombre de la nuit ». On s’attend logiquement à de la poésie, mais il s’agit d’autre chose.

Chaque texte de ce livre est composé d’un seul paragraphe (parfois assorti d’une phrase en italique qui semble être une citation anonyme) dans lequel Fabienne Swiatly décrit de manière simple et efficace un instant de la vie d’une personne pauvre. Ses descriptions sont souvent très touchantes, très justes et humaines. Mais une description n’a rien de poétique en soi : en général cela sert uniquement à poser un décor, à donner du corps ou de la profondeur au reste du texte. Si l’on s’amusait à extraire des passages descriptifs d’un roman pour les assembler dans une anthologie, cela ne susciterait peut-être pas beaucoup d’intérêt.

Alors qu’est-ce que c’est ? Quelle est le but de la manœuvre ? S’il s’agit d’un livre naturaliste, comme un album photo de la pauvreté, c’est assez réussi. Et c’est encore malheureusement d’utilité publique : quand on voit la déconnexion dont sont capables certaines élites, une petite piqûre de rappel humaniste ne fera pas de mal. Oui, les pauvres sont des gens comme les autres, avec des bonnes intentions, des préoccupation nobles autant qu’ordinaires, et leur vie ne tient parfois qu’à un fil. Mais, on l’a dit, cela n’est pas suffisant.

Alors pourquoi ne pas utiliser la puissance de la poésie au service de cet humanisme ? « La poésie doit être faite par tous  », écrivait Lautréamont, et elle est définitivement du côté des opprimés, des humbles, des inadaptés, de ceux qui bousculent l’ordre. Beaucoup mieux qu’une description, la poésie permet de retrouver une dignité, de lutter, de refaire le monde.

On n’est pas des bourgeois de Fabienne Swiatly, éditions Bruno Doucey, 88 p., 14,00€.

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