Après le succès de À l’Ouest, rien de nouveau, récompensé de quatre Oscars, Edward Berger revient avec Conclave, une adaptation du roman éponyme. Religion et politique se mélangent dans un thriller audacieux et d’une grande modernité.
Comment un pape est-il élu ? Presque personne ne sait comment se déroule cette élection, tenue secrète par le Vatican. Mais c’est bien cet événement exceptionnel qui est au cœur du récit de Conclave. Un récit qui va vite démystifier le sujet. Les cardinaux ne sont pas unis, ils ne votent pas à en étant guidé par Dieu. Des camps, presque des partis politiques, s’affrontent pour gagner des voix et élire le prochain dirigeant de l’Église catholique.
Illumination imagée
Déjà remarqué pour la beauté des images et de la mise en scène de À l’Ouest, rien de nouveau, Edward Berger continue de se forger une image de cinéaste plasticien. Conclave est d’une incroyable beauté. Tout est pensé, tout est calculé pour faire passer des messages aux spectateur·rice·s. Ainsi, les teintes froides que privilégie le réalisateur sont toujours aussi dominantes et forcent le contraste avec le rouge porté par les cardinaux, aux centre de l’intrigue, tandis que le bleu arboré par les sœurs intensifie leur effacement.
Cette importance de la couleur va de pair avec une mise en scène presque picturale. Le film privilégie les sensations avant tout, quitte à prendre ses distances avec la réalité. Dès lors, les pensées du cardinal Lawrence (Ralph Fiennes), le doyen du Collège des cardinaux et personnage principal du film, n’ont pas besoin de s’exprimer par les mots. En délaissant les représentations objectives de la réalité, Edward Berger retourne aux sources du cinéma et en fait ressortir tout son potentiel.
Entre religion et modernité
Dans l’imaginaire collectif, la religion, et plus encore, le Vatican, ne rime pas avec smartphone et domotique. Ce préjugé du spectateur est utilisé avec brio par Edward Berger qui va, tout au long du film, mettre en avant la technologie. Ainsi apparaissent des smartphones, des volets électriques, des ordinateurs, et même une vapoteuse. Cette omniprésence permet un appel du pied aux spectateur·rice·s, rappelant la contemporanéité du récit par rapport aux espaces qu’il traverse.
En effet, Conclave se veut avant tout moderne. Les candidats à la papauté ont des opinions divergentes sur certains sujets sensibles pour l’Église. En conséquence, des débats sur l’immigration, le multiculturalisme, l’homosexualité et le rôle des femmes dans l’église parcourent le film. L’on pourrait s’attendre à ce que le film privilégie un point de vue conservateur, auquel la religion catholique est bien souvent attaché par préjugé, mais Conclave propose l’exact opposé et prône une position progressiste.
Ainsi, Edward Berger joue avec les idées préconçues des spectateur·ice·s pour proposer un film moderne dans sa forme, et avant-gardiste dans ses idées. En partant d’un film sur la religion, soit, un exploit.
Crise de foi, crise politique
Conclave est, avant tout, un film critiquant l’Église dans sa structure même. Évidemment, rien d’étonnant de la part d’un réalisateur allemand, le pays de la Réforme et du protestantisme. Mais cette critique ne prend pas le pas sur le scénario. Elle accompagne le tout, et est justifiée par une désillusion, née des querelles et manigances des cardinaux, et antérieure au récit. Ainsi, la possible crise de foi qui transparaît dans certaines scènes se révèle être une crise institutionnelle.
La mise en scène de l’élection du pape permet de renforcer cette sensation de crise. En retirant le voile de mysticisme et de spiritualité qui l’entoure, l’élection se présente avant tout comme un jeu de pouvoir. Les scandales qui entachent les démocraties se retrouvent au sein même du Vatican : corruption, chantage, dissimulation de preuve. Toutes ces machinations finissent par instaurer un climat de doute permanent, mais aussi questionner l’idée de pureté à laquelle doit aspirer un élu.
Faut-il élire le « moins pire » des candidats ? Est-il moral d’élire une personne ayant eu, dans son passé, des gestes déplacés, des histoires de corruptions ? Les secrets des candidats au Saint-Siège doivent ils être révélés ? Toutes ces interrogations finissent par devenir un miroir politique. Les spectateur·rice·s sont invité·e·s à réfléchir à l’état des institutions démocratiques et aux rôles des politiques de leur pays pour un constat souvent peu encourageant.
Toujours croire
Malgré tout, Conclave se veut un film plein d’espoir. En effet, le doute est un élément central du récit. Le cardinal Lawrence doute de lui-même, des autres, du principe électoral, mais il garde toujours la foi. La foi en Dieu, évidemment, mais aussi en un système qui, s’il est bien surveillé et réglementé, fonctionne. La foi en une tolérance entre croyants de nationalités différentes, entre croyants de fois différentes, entre progressisme et religion.
Il est évident que le film fera grincer des dents les croyant·e·s et non croyant·e·s les plus conservateur·rice·s, mais les spectateur·rice·s plus modéré·e·s apprécieront sans doute le film le plus audacieux, le plus intelligent, traitant de la religion catholique ces dernières dizaines d’années.