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Assises 2024 du Collectif 50/50 – État des lieux sur l’égalité et l’inclusion dans le cinéma et l’audiovisuel

Comité d'administration du Collectif 50/50. ©Laurie Bisceglia
Comité d'administration du Collectif 50/50. ©Laurie Bisceglia

Ce lundi 9 décembre se tenait, au Forum des Images, l’édition annuelle des Assises du Collectif 50/50. L’occasion de dresser un état des lieux réaliste et prospectif de l’évolution des questions d’égalité et d’inclusion dans une industrie qui poursuit, tant bien que mal, sa nécessaire prise de conscience.

Succédant à l’association Le Deuxième Regard, fondée en 2013, Le Collectif 50/50 œuvre depuis 2018 à sensibiliser et à agir contre les inégalités ancrées dans les différents secteurs de l’industrie cinématographique. En englobant toute la chaîne de la fabrication et de la diffusion des films, l’association élabore et met à disposition des études quantitatives et des outils concrets pour avancer vers une répartition égalitaire des pouvoirs.

Porté par des administrateur·ice·s et des adhérentes investi·e·s, et résolument tourné·e·s vers un avenir plus juste, Le Collectif 50/50 renforce sa transparence en rendant notamment ses Assises publiques depuis 2023. Entre tables rondes, keynotes, et restitutions d’enquête, le programme de cette édition 2024 était aussi dense que prometteur. Alors que, ce même jour, s’ouvrait à Paris le procès de Christophe Ruggia, accusé d’agressions sexuelles aggravées sur mineure, les différents échanges s’inscrivaient sous le signe d’un soutien collégial à Adèle Haenel, et à toutes les victimes d’un système historiquement permissif.

« Fabrique à rêves », fabrique à illusions

Si le cinéma offre à voir des milliers de nouveaux récits parallèles et foisonnants d’idées, il est aujourd’hui évident que le réduire à cela est non seulement illusoire, mais aussi préjudiciable envers celles et ceux qui font les frais du « beau rêve ». Parce qu’il induit un processus de fabrication impliquant des dizaines de personnes pendant plusieurs années, un film se regarde par la totalité de ce parcours. Il est important de réfléchir « au-delà de son exégèse esthétique », affirmait lundi Sandra Onana, cheffe adjointe du service culture de Libération. Depuis quelques années, Libération et Télérama ont notamment creusé cette perspective, à travers la création de cellules spécialisées en enquête. Bien que percutantes, ces dernières n’échappent pas au système de concurrence, et à la mise en jeu de la réputation des journalistes qui en sont à l’origine.

Des enquêtes et des études, Le Collectif 50/50 en mène aussi. Et ce, sur tous les fronts. Forte de ses diverses expertises, l’association ne se repose pas sur ses acquis. Elle dit « être perfectible, mais travailler vers l’excellence ». Et ce, jusqu’aux récents changements de terminologie. Ainsi, l’engagement du Collectif maintient son combat pour l’égalité et, de « paritaire », évolue en « inclusif ». La question du genre était un premier point de départ à de nombreuses pistes de réflexion et de discussions. Cette année, Le Collectif s’ouvre ainsi à davantage d’intersectionnalité. Cette prise en compte de l’ensemble des minorités appuie sa volonté de lutter contre les VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels), ainsi qu’envers toute forme de discrimination. Encore bien trop présentes derrière la caméra, il est crucial de renforcer les mesures mises en œuvre pour les contrer.

Ces mesures, pour certaines, ne sont que des esquisses, des mots sur des règlements. En chef de file, celui de « diversité » : un euphémisme trop flou, trop creux, amplifiant les tabous. Et dans les faits, ce langage ne fait pas le poids face à d’autres mots bien mal choisis. En témoignent certaines — piètres — annonces de casting, et autres « qualifications » assignées au générique : « le Maghrébin », « la femme de ménage ». Se pencher sur la terminologie, quelle qu’elle soit, s’impose alors, insistent les universitaires Sarah Lécossais et Maxime Cervulle. S’appuyant notamment sur cent entretiens, leur étude sur La Couleur des rôles sera disponible en intégralité en 2025. Un travail de fond, dont le but est clair : permettre un « vrai changement culturel ».

Concernant les chiffres — données de prédilection du Collectif 50/50, et arguments de taille de ces Assises — ils parlent d’eux-mêmes. L’évolution de l’industrie est certes sur une pente ascendante, mais le degré d’inclinaison reste faible. Si les changements continuent de s’opérer au même rythme qu’à l’heure actuelle, l’ajustement n’est pas pour demain. L’on peut espérer, sur la question de la parité à la réalisation, une égalité totale… en 2041 pour la France, et en 2048 pour l’Europe. La route est encore longue, et il est temps de redoubler d’efforts.

« Le combat est épuisant, mais joyeux »

Ces mots encourageants de Louise Roussel, chargée de coordination du Collectif 50/50, venaient clore la journée d’échanges. Avec une volonté tangible d’ouvrir le champ des possibles et de pointer du doigt des solutions concrètes – à commencer par l’allocation de budgets plus conséquents – les Assises ont passé au peigne fin un large panel des combats actuels, et ceux qui restent à venir. Les questions de parité et d’inclusion étaient au cœur des échanges. Tour à tour, les discussions ont porté sur la question des films dits « abîmés », sur la responsabilité envers la présence de mineur·e·s sur les tournages, et sur l’avenir inclusif du genre documentaire. Ce dernier aspect témoigne, d’ailleurs, de l’ouverture du Collectif vers le secteur audiovisuel.

Certes, la réalité actuelle soulève de réelles interrogations quant au délai des changements attendus. Il n’en reste pas moins que l’engagement collectif bat son plein. Depuis plusieurs années, et avec l’impact du mouvement #MeToo, les (bonnes) initiatives académiques et associatives se décuplent. Ce lundi, plusieurs de leurs représentant·e·s venaient apporter leur témoignage.

Outre Sarah Lécossais et Maxime Cervulle, les Assises ont vu se succéder, entre autres, Christelle Murhula et l’Association des journalistes anti-racistes et racisés (AJAR), Anne Ouvrard et l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai (AFCAE), Fabienne Silvestre et le Lab Femmes de cinéma, Karine Dusfour et Nous, réalisatrices de documentaires, et enfin, Estelle Walton, avec la Guilde des auteurs-réalisateurs de reportages et documentaires (GARRD).

Certes, davantage de diversité concernant le stade d’intégration des intervenant·e·s dans leurs secteurs professionnels respectifs aurait été pertinent au regard des sujets du jour. Chacun·e bénéficiait ici d’une certaine reconnaissance dans leur domaine. Il n’en reste pas moins que l’ensemble de ces échanges étaient à l’évidence instructifs et constructifs. Le dialogue était ouvert, et chacun·e exprimait avec réalisme ses propres limites, tout en affirmant sa volonté de poursuivre le travail vers davantage de déconstruction et de communication. Car c’est là la clé, du moins l’une d’entre elles, selon Lénaïg Bredoux (Médiapart). Elle en est convaincue, appelant à sortir de la culpabilité, faire face à ses incohérences, s’ouvrir au dialogue, et pratiquer l’indulgence. De manière collective.

Salle comble au Forum des Images pour l'édition 2024 des Assises du Collectif 50/50.
©Laurie Bisceglia
© Laurie Bisceglia

Au-delà des informations cruciales et des chiffres évocateurs partagés lundi, quelques éléments enthousiasmants restent également à souligner pour garder le cap. Par exemple, au niveau européen, la France est le pays prenant le plus de mesures concrètes, catégoriques, et, théoriquement, concluantes. Entre autres, dès janvier 2025, chaque tournage parisien — au nombre de 7000 en 2024 — sera notamment conditionné par la signature d’une Charte contre les VHSS. Les équipes auront également l’obligation de suivre des formations hybrides en ce sens. L’on ne peut qu’espérer une nette accélération des changements et la disparition du trop répété « de tous temps, en tous lieux ». Hélène Bidard (adjointe pour l’égalité femmes-hommes à la Mairie de Paris) l’affirmait en début de journée : « On peut en finir ».

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