CINÉMA

« Animale » – Des taureaux et des hommes

« Animale » réalisé par Emma Benestan © June Films
« Animale » réalisé par Emma Benestan © June Films

Présenté en clôture de la semaine de la Critique au Festival de Cannes, Animale est un western écoféministe puissant, racontant la résistance face à la violence patriarcale. Le film d’Emma Benestan captive surtout par ses hybridations entre les genres et les luttes, et la performance magnétique d’Oulaya Amamra.  

On reçoit Animale comme une claque inattendue — et pourtant prévisible — sur la violence patriarcale. Le film prend pour arène un milieu extrêmement masculin  : celui des courses camarguaises. Durant ce concours, les participant·es, appelé·es «  raseteur·ses  », défient les taureaux en tentant de retirer des attributs accrochés à leurs têtes. Malgré les réticences de ses proches et le machisme ambiant, la jeune Nejma décide de s’entraîner sans relâche pour remporter la prochaine course. C’est sans compter sur de mystérieuses disparitions qui menacent la saison. Elles laissent présager la présence d’une bête sauvage dangereuse pour les travailleur·ses des manades, ces exploitations des taureaux «  libres  » dans laquelle Nejma travaille.

Dans l’arène des hommes

Emma Benestan met en scène une héroïne qui se heurte à la domination exercée sur les femmes. Elle fait le choix de montrer cette violence métaphoriquement et progressivement, plutôt que de façon frontale. Nejma est incarnée par une Oulaya Amamra flamboyante, que la réalisatrice connait bien après trois collaborations. Ce duo transmet aussi, tout au long du film, le sexisme dans sa dimension la plus symbolique et la plus insidieuse. Celle-ci prend la forme de marques de condescendance ou des réflexes de «  protection  » des proches de Nejma face à son désir de performance. « Une corne dans le ventre et tu ne pourras plus avoir d’enfants  », lui assène ainsi sa mère pour la décourager. En exprimant ses craintes qu’elle ne se blesse à la course, son entourage la renvoie à une place assignée que Nejma refuse.

Western fantastique au pays des taureaux

La réalisatrice s’inspire, mais s’éloigne radicalement de ses précédents documentaires tournés en Camargue. Dans Prends garde à toi (2019), elle racontait l’expérience de la première raseteuse connue dans la région, Marie Segrétier. Si ce personnage d’outsider nourrit celui de Nejma, Animale est une proposition de fiction ancrée dans des mythes et codes de films de genre.

Cadre oblige, la réalisatrice emprunte naturellement au western, à la manière du Rider (2018) de Chloé Zaho. La réalisatrice s’en inspire en allant même jusqu’à reprendre certaines scènes de chevauchées. Filmant les taureaux dans leurs environnements de marais et d’étangs, elle parvient à faire ressentir la puissance des paysages et l’omniprésence des bovins. Sa vision grandiose et tendre de la région est servie par sa connaissance du territoire, y ayant elle-même grandi. En mettant en scène cette cow-girl moderne, la réalisatrice se réapproprie ainsi un genre historiquement genré et raciste. Son film tord définitivement le cou à la tradition de whitewashing d’Hollywood et cette figure virile du cow-boy.

Au-delà de son aspect documentaire et ses airs de westerns, le récit prend un tournant fantastique, voire horrifique, après la disparition de plusieurs membres de l’exploitation. La réalisatrice file ainsi une analogie mythologique avec le taureau, figure monstrueuse qu’elle questionne. Un glissement surnaturel qui s’affirme comme une métaphore de l’expérience violente de l’héroïne.

L’écoféminisme à l’écran  ?

Au-delà de sa dimension sur une contre-violence que les spectacteur·ices jugeront sans doute légitime, c’est surtout par son exploration de l’animalité qu’Animale fascine. Le film se présente comme une immersion parmi les taureaux, filmés comme des personnages à part entière par leurs points de vue. Le  film dévoile la continuité humain-animal par l’empathie créé, ainsi que par un processus d’hybridation. Il dévoile une performance de transformation impressionnante par sa technicité, son magnétisme et son intensité.

Emma Benestan tisse ainsi les prémisses d’un corpus cinématographique écoféministe encore balbutiant. Cette grille de lecture esquisse un parallèle entre la violence exercée sur les femmes/minorités de genre et celle des écosystèmes et animaux non-humains (ici, les taureaux). Cette perspective théorique et incarnée reste encore peu visible à l’écran. Pourtant, la question de l’animalité commence à prendre de la place au cinéma. On peut penser au film expérimental Mi Bestia de Camila Beltrán (2024) dans lequel la transformation animale est synonyme d’émancipation. Ou au Règne animal de Thomas Cailley où la mutation est aussi révélatrice de violences sociétales. Dans cette lignée, Animale marque un mouvement d’ouverture du cinéma aux monstres et aux «  bêtes  », qui interroge la violence, les corps et les alliances inter-espèces.

Animale d’Emma Benestan est en salles depuis le 24 novembre.

You may also like

More in CINÉMA