Rose. Histoire d’une couleur est le dernier épisode de la saga de Michel Pastoureau qui explore les évolutions de notre palette colorée. Cet essai est dédié au rose et à ses déclinaisons : rose bonbon, fuchsia, incarnat, corail.
Si la science ne reconnaît pas le rose comme couleur authentique – absente du spectre de la lumière – il a pourtant une existence véritable. Il n’y a qu’à voir le film Barbie de Greta Gerwig pour ne plus en douter. Un monde saturé d’un rose permanent. Rose. Histoire d’une couleur est le dernier paru de l’enquête chromatique de Michel Pastoureau.
Historien, Michel Pastoureau travaille depuis cinquante ans sur l’évolution de notre perception des couleurs qu’il définit comme « deuxième peau » qui enveloppe les corps et les surfaces. Il étudie leurs variations lexicales et symboliques dans le champ social et culturel des sociétés européennes.
En 2000, il publie Bleu. Histoire d’une couleur puis, viennent ensuite le vert, le noir, le rouge, le jaune et le blanc. Le rose vient compléter son arc-en-ciel théorique. Il approche cette couleur en suivant quatre grandes parties chronologiques pour réaliser une histoire de ses ambivalences et symboliques.
La couleur concerne tout le monde et touche à tous les problèmes de la vie en société.
Michel Pastoureau, Rose. Histoire d’une couleur
Une couleur tardive
Dans les grottes du paléolithique ou sur les fresques de Pompéi, on croit deviner un rose qui n’est – selon l’historien – sûrement qu’un rouge dont la teinte se serait atténuée avec l’effet du temps et de la météo. Il faut attendre longtemps avant que l’on produise nous-même du rose. Les premières traces remontent, en effet, au haut Moyen Âge.
Au 14ème siècle, le rose arrive sur le devant de la scène. La teinte est de plus en plus maîtrisée. Les artistes l’utilisent dans leurs représentations plastiques (peinture, mosaïque, fresques murales ou vitraux). Il se développe aussi dans le domaine textile grâce aux teintures réalisées avec du bois de brésil (arbre exotique) importé d’Asie. Michel Pastoureau nous fait alors entrer dans la cuisine des pigments en montrant comment, du mélange de certaines poudres et laques, est né le rose. Peu à peu, la couleur se décline en de subtiles nuances – du saumon à l’orangé en passant par le bistre – utiles notamment pour rendre la carnation humaine en Occident.
La rose n’était pas rose
Au 18ème siècle, le rose est partout : vêtement, ameublement, art, littérature. Il est admiré pour sa douceur et symbolise le raffinement et l’amour. Innommée pendant des siècles, cette couleur qui se diffuse à l’ensemble de l’Occident prend le nom de rose. Pourtant, la rose n’a pas toujours été rose : la couleur prend le nom de la fleur seulement quand les horticulteurs parviennent à lui donner cette teinte.
« De nouveaux plans de rosier sont importés de Chine et croisés avec ceux d’Occident, donnant des variétés nouvelles. [Ainsi, vers 1750] le mot rose devient enfin un adjectif de couleur et remplace rapidement le terme incarnat, dont le champ sémantique et chromatique est moins étendu. L’admiration nouvelle portée aux roses roses et la vogue des étoffes, des vêtements et des décors de cette teinte explique ce passage de la fleur à la couleur ».
Michel Pastoureau, Rose. Histoire d’une couleur
Avançant dans la chronologie, Michel Pastoureau montre que l’histoire du rose est plus « délicate à tracer » notamment du fait « des limites relativement floues avec le rouge, l’orangé, le jaune et le blanc ». Il fait part de ses recherches, de ses difficultés à trancher entre certaines affirmations mais aussi des différents types de documents auxquels il se réfère. Nous suivons ainsi son travail d’enquêteur.
Au travers d’une iconographie riche et de la lecture de textes esthétiques, liturgiques ou héraldiques, il progresse dans la temporalité du rose dépliant les différentes étapes dans notre représentation de cette couleur. Il analyse comment le rose passe de mode au 19ème siècle, devenant signe du vulgaire et du sexuel, puis qu’il se féminise au 20ème siècle, en opposition au bleu masculin. Le rose est signe d’amour ou de pornographie, de délicatesse ou de kitsch. Il clôt son enquête avec deux emblèmes du rose : la Barbie commercialisée par Mattel (1959) mais aussi le dessin animé La Panthère Rose (1963).
Michel Pastoureau fait de cette demi couleur (mélange du rouge et du blanc) l’héroïne de cette exploration historique. Il a le mérite de démonter le cliché tenace qui associerait, une fois pour toute, une couleur à une symbolique. Accompagné de reproductions de très bonnes factures, ce beau livre fait naviguer d’un rose l’autre. Quelle sera la prochaine couleur à l’assaut de laquelle partira l’historien ? le violet ? le orange ? Mystère.
Rose. Histoire d’une couleur de Michel Pastoureau, éditions du Seuil, 39,90euros.