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Rencontre avec Laurent Bonneau : « On a tous dessiné dans l’enfance ! »

© Laurent Bonneau
© autoportrait, Laurent Bonneau

Déambulations de Laurent Bonneau est un livre d’illustrations. Cette errance visuelle nous fait voguer de portraits en paysages, réalisés dans des techniques plurielles. Rencontre.

Artiste visuel, Laurent Bonneau a fait paraître plus d’une vingtaine de livres. Il a collaboré avec plusieurs scénaristes comme Damien Marie, Mathilde Ramadier, Alain Bujak ou Jim avec qui il a créé la bande dessinée, L’Etreinte (2021).  Il se définit comme « metteur en scène » pour mettre l’accent sur le travail de mise en images des textes d’auteurs avec lesquels il travaille. Son livre Le Bruit de l’eau, réalisé avec Alain Bujak, vient d’être sélectionné pour le prix Eco-fauve Raja du festival d’Angoulême 2025.

Ses livres les plus autobiographiques sont édités par les éditions Des ronds dans l’O : Le Regard d’un père (2021), L’essentiel (2022) et le dernier paru, Déambulations. Pour ce livre de croquis, il puise dans les soixante-cinq carnets qu’il tient depuis ces quinze dernières années. Il a choisi plus de trois cents dessins, entrecoupés par un texte dans lequel il évoque sa pratique du dessin mais aussi de son rapport à la représentation, à la mémoire et au temps passé avec les êtres qui nous sont chers. 

© Laurent Bonneau / Des ronds dans l’O
Quel a été votre premier choc esthétique  ?

Dans ma famille, il n’y avait pas spécialement d’accès à l’art mais une grande ouverture d’esprit. Mes parents m’ont laissé découvrir l’art par moi-même et m’ont permis de faire le métier que je fais aujourd’hui ! Très tôt, j’allais à la bibliothèque de quartier. Vers dix ans, j’ai lu Violent Cases de Dave Mckean. Ce livre m’a beaucoup marqué. Avant j’avais lu Spirou et Tintin mais j’ai compris, à ce moment-là, que l’on pouvait faire des livres en mélangeant les arts. 

Quand avez-vous découvert que le dessin serait votre médium ?

Petit, je dessinais et je faisais de la musique mais, très vite, les facilités ont décidé pour moi. Je me suis aperçu que je prenais plus de plaisir au dessin. J’ai donc persévéré assez instinctivement. En maternelle, tous les enfants dessinent. Certes, il y a ceux qui aiment ou pas, ceux qui y arrivent ou n’y arrivent pas et ceux qui sont encouragés ou pas. Ces critères liés au contexte éducatif et social ont une influence. Néanmoins, on a tous dessiné dans l’enfance mais certains arrêtent et d’autres continuent  ; je fais partie de ceux-là. 

© Laurent Bonneau / Des ronds dans l’O
Avez-vous toujours préféré le réel à l’imaginaire ? 

Le dessin est mon rapport au monde. Avant même que cela ne devienne mon métier, que cela soit une pratique quotidienne et que je sois capable de l’intellectualiser, c’était ma façon de regarder le monde.

Cependant, mes images sont plus proches d’un réalisme mystérieux. Mes dessins portent sur le réel mais ne sont pas pour autant documentaires. C’est un regard singulier sur la réalité qui amène à la ressentir différemment. Le réel n’est pas la vérité. Il est différemment perçu par chacun. Un chat ne voit pas comme un humain. Cela reste très subjectif. 

Un dessin est comme un prisme d’émotions. Il porte sur le réel mais aussi sur ce que l’on ressent au moment où on le réalise. Dessiner c’est aussi dialoguer avec soi-même. C’est, pour moi, une pratique sensitive et introspective. 

Déambulations rassemble des dessins de paysages, des portraits de vos proches et de quelques inconnus. 

Il y a finalement peu de dessins d’inconnus car ce sont des dessins anciens que je faisais quand je prenais beaucoup le train. Je dessinais de façon frénétique dans les transports, les gares, un peu partout. En grandissant, ce n’est pas tant mon dessin que ma vie qui a changé. Maintenant, j’habite dans un village, j’ai deux enfants en bas âge. La vie s’est recentrée autrement.

Vous utilisez des techniques très différentes pour dessiner. Est-ce le signe d’un désir d’expérimentation ? 

Il y a toutes les techniques possibles de dessin dans ce livre : l’acrylique, le pastel à l’huile, la gouache… La peinture à l’huile est la seule technique que je n’utilise pas. Je ne veux ni me lasser, ni m’installer dans un confort. Alors, je cherche le renouvellement. Aussi, le choix des outils permet de varier les sensations qui passent au travers du dessin. Si je fais un dessin à l’encre de Chine et un autre au pastel à l’huile, le paysage aura beau être le même, on ne le ressentira pas de la même manière. En recherchant une sensation, il est aussi possible d’être emmené ailleurs  ; cela est agréable. 

© Laurent Bonneau / Des ronds dans l’O
Vous dites que votre ligne suit « le mouvement du trait ».

J’aime l’idée de suivre le cheminement de la pensée de l’artiste dans un dessin. J’ai en tête le documentaire de Henri-Georges Clouzot, Le Mystère Picasso (1956), dans lequel on assiste au processus de création. Il passe, repasse au même endroit, efface, crée. J’aime l’idée du dessin comme trace laissée par la chorégraphie d’un corps après avoir dansé sur scène. 

Je fais aussi régulièrement des concerts dessinés. C’est une autre pratique de création. On partage, en direct, la trace, le doute, l’effacement. Dans Déambulations, il y a des dessins déjà faits mais j’aime rendre sensible les hésitations et le vivant plutôt que des images complètement finies. C’est pareil pour mes lectures, je préfère les questionnements aux certitudes. 

Pensez-vous à des textes importants pour vous ?

J’ai été sensible très jeune à la philosophie antique comme amour de la sagesse. Je pense au Manuel d’Épictète que j’ai lu des centaines de fois ! Je suis tombé dessus par hasard dans une médiathèque à Narbonne. C’est fou comme ça m’avait parlé. ll y a aussi Le Manifeste incertain de Frédéric Pajak. C’est une série de huit ou neuf livres qui réalise plusieurs biographies comme celles de Walter Benjamin, Émilie Dickinson, Vincent Van Gogh. Il arrive à combiner une belle écriture critique et une forme d’enquête sincère et sensible. Il mêle texte et image en agrémentant ses mots avec des dessins, très photographiques, en noir et blanc. 

Quel est votre rapport à l’écriture des textes qui accompagnent vos images ?

En tant que lecteur, j’aime autant les mots que les images mais en tant que créateur je me sens moins légitime pour écrire. Cela m’arrive de le faire. Il y a des petits textes dans Le regard d’un père ou dans Déambulations. Cependant, je doute toujours. Je me demande si cela a du sens ou de l’intérêt.

Comment réussissez-vous à représenter les êtres qui vous sont intimes en conservant une certaine pudeur ? 

Après Le regard d’un père, dédié à mon père, j’ai fait L’essentiel dans la foulée. C’est un livre sur ma femme et mes enfants, une déclaration d’amour. Les livres que je fais seul regroupent, certes, des dessins qui ont été faits dans des moments d’intimité mais c’est aussi une preuve de confiance que de les mettre entre les mains de personnes qui peuvent y être, à leur tour, sensibles.

Je crois qu’il y a deux temps dans la création de ces livres. D’abord, je réalise les dessins puis, dans un second temps, je pense à la forme du livre qui va être diffusé. Je me demande alors si cela peut parler à d’autres. Quand ces livres sont publiés, les retours sont souvent émouvants et cela donne raison au choix d’avoir partagé ces images. 

© L’Essentiel – Des ronds dans l’O (extrait)
Dans le livre, vous distinguez le « sentiment d’amour » de l’« émotion d’amour ».

C’est toujours à partir d’un questionnement sur mes enfants que j’apprends ces choses-là. Dire que j’aime mes enfants est une évidence mais, malgré tout, en une journée, ils peuvent nous faire vivre tout et son contraire. C’est à cet endroit que je distingue le sentiment de l’émotion. Le sentiment est plus global et n’a pas la même temporalité que l’émotion. L’émotion, elle, est davantage un instantané. Elle est quelque chose que l’on ressent fugacement et qui peut être de l’agacement ou de l’irritation.

Depuis tout petit, j’essaie de prendre du recul – je n’y arrive pas toujours  ! Cependant, cette volonté dépasse ma simple pratique du dessin. J’essaie de prendre du recul sur l’actualité, les gens, les sentiments. En distinguant sentiment et émotion, je cherche à analyser des situations qui peuvent paraître compliquées comme ce peut être le cas en amour. Si une chose est difficile à un instant donné, il y en a sûrement une autre, plus forte, qui nous lie de manière intense. Quand l’émotion est négative, on peut avoir tendance à croire que le sentiment est mort. Pourtant, je crois que ce sont deux choses différentes. 

Vous faites des livres seul mais vous réalisez aussi des livres en collaboration. Qu’est-ce que cela change dans le travail ? 

Je travaille régulièrement avec trois ou quatre mêmes scénaristes qui ont chacun leur manière de travailler. Chaque projet est très différent.

Pour L’Étreinte, on a travaillé avec Jim, le scénariste, à la manière d’un cadavre exquis. Je dessinais un ami sculpteur et sa femme à Narbonne dans leur vie réelle. Puis, j’envoyais les dessins à Jim qui en faisait une fiction. C’était un vrai ping-pong créatif  ! On devait se surprendre et surprendre l’autre. C’était très jouissif. Pour les dessins, j’ai fait le choix d’une certaine homogénéité. Comme je ne réalisais pas les planches de façon chronologique, il était important qu’une cohérence d’ensemble permette ensuite des réajustements. 

Avec Damien Marie, c’est encore un autre processus. On se connaît bien et on sait comment on travaille. Il écrit le scénario dans une forme théâtralisée avec principalement des dialogues et je m’approprie ce scénario en le mettant en scène. 

Vous avez aussi travaillé avec Mathilde Ramadier.

On a d’abord fait Rêves syncopés, une BD sur le DJ, Laurent Garnier. Après proposition, il a été hyper réactif et très enthousiaste du projet. Nous l’avons rencontré à Aix-en-Provence puis nous l’avons suivi un peu partout, à Berlin, à Paris, à Nîmes. C’était notre première collaboration. On s’est très bien entendu. On a fait une deuxième BD, Et il foula la terre avec légèreté, une fiction qui se passe en Norvège. C’est un récit plus écologique sur l’industrie pétrolière et le rapport à la nature.

Vous venez d’être sélectionné pour le prix Éco-Fauve RAJA du Festival d’Angoulême 2025 pour votre livre, Le bruit de l’eau, réalisé, avec Alain Bujak. Comment s’est construit ce livre-ci ?

Je suis parti avec Alain Bujak, photographe, dans la vallée de la Roya dans l’arrière-pays niçois. C’est un lieu alternatif. Il a été médiatisé notamment car Cédric Herrou y lutte pour l’accueil des migrants qui passent de l’Italie à la France mais aussi, il y a quatre ans, suite à la tempête Alex. On est allé sur les lieux pour voir comment la vallée s’était reconstruite des suites de la tempête.

En France, il y a une réflexion très riche autour du vivant. Je pense notamment au documentaire vu récemment, Vivant parmi les vivants de Sylvère Petit, sur la pensée de Baptiste Morizot et Vinciane Despret. Cependant, je ne suis pas un spécialiste et nous ne voulions pas faire de livre didactique.

© Le Bruit de l’eau – Futuropolis (extrait)

Sur place, on a rencontré des habitants du lieu. Je faisais des portraits dans mon carnet de croquis de chaque personne interviewée avec une technique différente pour conserver ce pluralisme dans les ambiances. Je nous ai aussi mis en scène, Alain et moi, dans la BD. Le Bruit de l’eau est donc le résultat d’un assemblage de deux regards où se mêlent photographies et dessins. Plutôt que de BD documentaire, je préfère parler de BD du réel comme on parlait du cinéma du réel dans les années 90. Ce cinéma se distinguait du cinéma documentaire ou du cinéma de reportage.

Avez-vous de futurs projets en cours ? 

Je reviens de Nantes où l’on est parti quatre jours, avec l’auteur Camille de Toledo, pour assister à des échanges et des débats intellectuels. C’était philosophiquement très intéressant. Camille se bat pour que soit mise en place une législation autour de la Nature en France. Nous sommes donc en train de créer une BD ensemble sur le tournant des droits de la Nature qui paraîtra aux éditions Futuropolis.

L’artiste est à retrouver sur son site

Déambulations de Laurent Bonneau, éditions Des ronds dans l’O, 26euros.

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