Pour Britney est une lettre d’amour aussi bien qu’une lettre d’excuse. Louise Chennevière s’adresse conjointement à Britney Spears et Nelly Arcan, réunissant les vies des deux artistes autour de la question du corps.
Curieux rapprochement que celui du destin de la chanteuse Britney Spears avec celui de l’autrice Nelly Arcan. D’un côté la superstar américaine propulsée dans le show-biz dès sa plus tendre enfance, de l’autre l’écrivaine québécoise prostituée, suicidée à l’âge de 36 ans. Il y a pourtant entre Britney Spears et Nelly Arcan des similitudes invisibles d’abord, évidentes ensuite, savamment décortiquées par Louise Chennevière. Toutes deux ont en effet dû vivre le corps passé au crible par un regard omniprésent. C’est ce regard, celui de l’industrie du spectacle, du patriarcat mais aussi le nôtre que Louise Chennevière interroge et politise. Pour Britney analyse un regard qui tue et qui enferme littéralement les corps des femmes.
et c’est parce que Nelly avait fini par en mourir, parce que Britney avait été pendant treize ans enfermée, parce que ce sont non seulement des possibilités dans ce monde-là mais des choses qui se passent chaque jour, chaque jour des femmes finissent par mourir d’avoir été faites femmes, qu’on ne pourra pas me demander de la mesure.
Pour Britney, Louise Chennevière
Objets de désir
C’est « l’économie tout entière qui ne tourne que sur le dos de ce corps-là, que tous travaillent à avoir, que les femmes s’acharnent à forger » écrit Louise Chennevière dans Pour Britney. Si la phrase se réfère à Britney Spears, elle pourrait tout aussi bien convenir à Nelly Arcan. Tout au long des 150 pages que compte son livre, Louise Chennevière mêle presque sans transition les parcours et les paroles des deux femmes, choisissant de mettre en évidence ce qui les unit. Dans ce flux d’images ressorties du passé, ce qui frappe c’est l’omniprésence quasiment obsessionnelle du corps. Britney Spears incarnait pour la société puritaine américaine à la fois un objet de désir façonné par l’industrie du spectacle et « ce personnage de jeune vierge avec déclaration sur l’honneur à la télé américaine ». Nelly Arcan de son côté se sentait si réduite à « ce corps qui s’était trop vendu, tellement et jusqu’à ne plus s’appartenir du tout » qu’elle « en avait fini par se pendre ».
Comme pressé par l’urgence de dire et la peur d’être interrompu, Pour Britney ressasse, avance, recule et fluctue. Les phrases y sont longues et denses pour un format court, parfois saccadées de façons inattendues. Ces arrêts brutaux, comme une pensée en ébullition et une colère sourde, forment un flux. L’autrice au début de son livre, place en exergue une citation du Putain de Nelly Arcan qui fait écho à son propre processus créatif : « […] ce livre est tout entier construit par associations, d’où le ressassement et l’absence de progression, d’où sa dimension scandaleusement intime ». L’hommage est posé, d’entrée ; le dialogue instauré.
Sujets intimes
L’intime justement, étroitement lié au corps, est l’une des idées obsédantes du livre. Dès le titre, la sphère intime est présente : le livre s’offre au regard par une adresse à une amie. Comme un cadeau : pour Britney. On peut alors se demander si en ouvrant un livre qui ne nous est visiblement pas adressé nous ne perpétuons pas une énième fois la violation de la vie privée de Britney Spears. La dimension intime vient également de la relation qu’entretient Louise Chennevière avec les deux femmes. Britney Spears a été pour l’autrice une compagne de toujours, une figure d’enfance. Jusqu’à ce que la honte du vulgaire les séparent. Nelly Arcan a quant à elle été illisible à cause de la honte tenace éprouvée face aux couvertures aguicheuses des éditeurs. Jusqu’à la découverte littéraire. Intime enfin, parce que Louise Chennevière part de sa vie propre pour éclairer celles des deux artistes.
Pour Britney renverse la vapeur et affirme que la honte doit changer de camp. Pour des questions de vie ou de mort. Elle joint ainsi sa voix à celles des activistes du mouvement #FreeBritney. À celle de la chanteuse Pomme qui s’adressait à Nelly Arcan dans sa chanson éponyme. Au regard de l’artiste Claire Tabouret et sa série Because of you. Lettre d’amour, lettre d’excuse : « Pour cela, oui, je voudrais demander pardon [à Britney], pardon d’avoir ri avec tous, pardon d’avoir si vite et si bien appris la leçon ».
se sachant par tous partout vue, de ses propres mains elle s’exclut, et tout le monde a dit alors qu’elle était folle, car ne faut-il pas être folle pour ne plus, vouloir être désirée par ce regard ne plus, vouloir être immédiatement sexuellement disponible pour vouloir ne plus, servir à rien et pourtant elle le dit […] qu’elle ne veut plus qu’on la touche, et pour ça il lui fallait ne plus être-femme car une femme c’est toujours d’abord cela que l’on touche effectivement ou potentiellement, dans le métro ou à travers l’écran
Pour Britney, Louise Chennevière
Pour Britney de Louise Chennevière, éditions P.O.L, 144 p., 15 €