CINÉMA

« Le Royaume » : Road-movie meurtrier sous le soleil corse

Une jeune fille tient un fusil et vise quelque chose au loin. Derrière elle se tient un homme, son père, qui lui indique quand relâcher la gâchette.
Le Royaume © Ad Vitam

Avec Le Royaume, le réalisateur Julien Colonna dévoile un premier film à la mise en scène très maîtrisée, entraînant le spectateur avec lui dans un road-movie tourmenté au cœur de l’Île de beauté.

Corse, 1995. La jeune Lesia, 15 ans, profite de son été. Mais l’apparition de son père Jean-Paul, chef de clan en planque, interrompt très vite la douceur estivale. Débute alors une guerre sans merci, durant laquelle père et fille vont apprendre à se connaître, à s’aimer et à se comprendre. 

Le royaume de la violence

Dès le début du film, la couleur est annoncée : le doux son des cigales, symbole d’un été paisible, est stoppé net. Dans Le Royaume, présenté en compétition Un Certain Regard au Festival de Cannes de 2024, la violence est maître. La partie de chasse aux sangliers qui ouvre le film en est la preuve.

Une partie de chasse riche en symboles. C’est Lesia qui, sans broncher, ouvre le corps d’une des bêtes et plonge ses mains à l’intérieur. Du sang plein le visage et les mains, elle rejoint sereinement le reste du groupe. La violence coule, malgré elle, dans ses veines. Rapidement, les chasseurs deviennent les proies, et cet été là, la mort n’est jamais très loin pour Jean-Paul et ses compagnons. Ce dernier, chef de clan dont on ne connaît pas le positionnement politique, mène la danse. Les querelles s’intensifient entre les factions mafieuses. Les balles partent vite, les fusillades s’enchainent. Dans le film, tout s’accélère et, petit à petit, les têtes tombent. 

En filmant des plans idylliques de sa Corse natale, le réalisateur crée un contraste saisissant entre la beauté des paysages et les règlements de compte barbares. Ce n’est pas le premier film de cette année qui joue avec les décors de la Corse. Comme pour Stéphane Demoustier dans le thriller carcéral Borgo, et dans le puissant À son image de Thierry de Peretti, l’Île de beauté est un terrain de jeu fantastique où Julien Colonna se sert des éléments naturels pour ancrer un récit sanguinaire. 

Dernier été

Mais cette trame hautement dramatique est empreinte d’une réelle douceur, apportée notamment par le jeu maîtrisé du duo père/fille. Ghjuvanna Benedetti et Saveriu Santucci, révélés par l’œil de Julien Colonna, incarnent leurs personnages avec une grande justesse. Leurs rencontres se faisant rare, cet été se passe avant tout sous le signe des retrouvailles pour le père et sa fille.

Les dialogues partagés entre les deux sont rares mais toujours pertinents. Le réalisateur, grâce à des gros plans, montre des échanges de regards hauts en émotion. De fil et en aiguille, une complicité se tisse entre Lesia et Jean-Paul, avec en arrière-plan un sentiment doux-amer très présent.

Cette sensation du dernier été, similaire à celle d’Aftersun de la réalisatrice écossaise Charlotte Wells, amène le spectateur à savourer chaque instant de discussion entre les personnages. 

Des instants de sérénité qui ne semblent jamais vraiment sincères, car constamment voilés par la dure réalité du monde mafieux. Les vacances au camping « undercover » ne sont qu’un prétexte et les baignades ne sont jamais de longue durée. Tout semble rappeler que cet été là, le bonheur n’est qu’un simulacre.

Récit initiatique

Malgré la brutalité des événements auxquels Lesia est confrontée, ces moments passés avec son père sont pour elle fondateurs. D’une grande maturité, la jeune femme, pourtant à peine âgée de 15 ans, écoute tout. Et si elle ne saisit pas tout, Lesia a une grande conscience de ce qui se trame autour d’elle. 

Extrait du film Le Royaume. Une jeune femme regard vers la caméra, les sourcils froncés. Elle est dans un champ et semble faire un travail manuel.
Ghjuvanna Benedetti, dans le rôle de Lesia © Ad Vitam

Avec un regard perçant, la sublime Ghjuvanna Benedetti fait de Lesia un personnage féminin fort, qui s’intègre étonnamment bien à une troupe d’hommes belliqueux. Autour d’eux, elle s’impose, s’exprime, tout en sachant quand se retirer. Portée par l’amour inconditionnel qu’elle ressent pour son père, Lesia est prête à le suivre partout. Comprendre son père devient alors sa vocation.

C’est donc avec la mort aux trousses qu’elle apprendra à vivre. En mélangeant les univers cinématographiques, du « coming of age » au thriller haletant, Le Royaume ouvre une voie très prometteuse d’un nouveau genre pour le réalisateur corse.

Le Royaume est en salle depuis le 13 novembre.

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