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À l’Odéon, Stéphane Braunschweig peine à faire décoller « La Mouette »

Simon Gosselin

Vingt-trois ans après son premier essai et pour son dernier spectacle en tant que directeur de l’Odéon, Stéphane Braunschweig remonte le classique d’Anton Tchekhov. L’occasion pour le metteur en scène d’en proposer une nouvelle lecture dans un spectacle qui, en dépit de sa bonne facture, peine à convaincre.

Qu’est-ce qui pousse un metteur en scène à remonter, plus de vingt ans après, une pièce ? Pour Stéphane Braunschweig, le désir est né en 2018 à la suite de la création d’« Oncle Vania » avec une troupe de comédiens russes. Il se rend alors compte de la pertinence de la pièce de Tchekhov sur les thématiques écologiques et germe en lui le désir de retravailler « La Mouette », cet autre texte qu’il avait déjà monté dans ce nouveau contexte.

Publiée en 1895,« La Mouette » observe la vie d’une petite société russe sur le point de se déliter. La grande actrice Arkadina et son amant auteur à succès Trigorine viennent passer l’été dans la maison de campagne de la première. Ils y retrouvent tout le microcosme local : le frère et le fils d’Arkadina (Treplev) mais aussi les intendants du domaine et leur fille, le médecin et l’instituteur du village. Tout se dérègle après que Treplev présente la pièce qu’il a écrite pour Nina, son amoureuse et aspirante actrice. S’enclenche alors la métaphore de la « mouette », l’animal auquel s’identifie Nina : un homme (Trigorine) découvre et aime cette mouette mais, par ennui ou peut-être habitude, finit par la tuer.

Une mouette classique

La Mouette oppose des êtres et des générations qui ne se comprennent pas dans un monde en plein déclin. Les personnages mènent des quêtes qui n’ont presque pas de sens au regard de ce qui attend la société dans laquelle ils vivent. Ils s’obstinent dans leurs amours déçus ou trompeuses, dans leurs rêves de célébrité ou dans la nostalgie d’une vie passée. On aimerait les délivrer mais rien ne semble pouvoir les sauver d’eux-mêmes.

Dans cette nouvelle lecture, Stéphane Braunschweig lie la disparition de ce petit monde à l’effondrement écologique. Il situe sa pièce dans le décor de celle de Treplev, un lac asséché peuplé d’épaves et d’herbes jaunies. Mais cette lecture, très pertinente pour une pièce comme « Oncle Vania » où Tchekhov semble vraiment faire preuve d’un avant-gardisme écologique, ne fonctionne pas tout à fait pour La Mouette. Cette évidence paraît d’ailleurs s’imposer au metteur en scène lui-même qui, une fois la pièce de Treplev sur la fin du monde présentée, abandonne complètement cette thématique.

Finalement, en dehors d’une scénographie pseudo post-effondrement écologique, Stéphane Braunschweig livre une version assez traditionnelle du texte. Le seul aspect sur lequel il convainc un peu, c’est la représentation des relations hommes/femmes. Mais c’est la moindre des choses dans une société où les débats sur l’emprise et les abus sont – et à raison – omniprésents. Certes, il parvient parfaitement à révéler les mécanismes d’emprise que Trigorine, 40 ans et auréolé de succès – très bien campé en sorte de dandy littéraire – déploie pour séduire Nina, 18 ans et bouchée bée d’admiration pour lui. Mais, encore une fois, c’est la moindre des choses et on ne voit pas bien motif à félicitations dans ce minimum syndical.

© Simon Gosselin

D’autres possibles

Il y avait pourtant d’autres relectures possibles. Arkadina pourrait être la figure d’une «  boomeuse  ». Celle qui a eu la chance de vivre à une époque d’abondance où le succès était facile. Celle encore qui ne cesse de donner des leçons à une jeunesse qu’elle trouve soit molle soit dévorée d’ambitions déplacées lorsqu’elle commet le crime d’exiger un petit bout du gâteau sur lequel elle est assise. Il aurait aussi été possible de relire à l’aune des débats actuels les rapports de classe entre les citadins privilégiés et les ruraux marginalisés au ressentiment grandissant. Ces relectures probablement qualifiées de «  woke  » auraient-elles été plus intéressantes  ? Pas forcément. Mais elles auraient eu pour elles un peu d’originalité et d’audace, ce qui manque franchement à ce spectacle.

Évidemment, l’ensemble reste de très bonne facture et n’est pas foncièrement désagréable. La scénographie léchée et lugubre fonctionne même si elle flirte un peu avec le kitsch (les mouettes en plastique qui descendent des cintres sont-elles vraiment du meilleur goût ?). La troupe de dix comédiens joue bien, les costumes sont (comme toujours) très beaux. Mais, en l’absence d’un véritable propos, l’émotion du texte peine à affleurer et c’est ce qu’on regrette probablement le plus alors que cette pièce est une des plus émouvantes (et tristes) de son auteur.

«  La Mouette  » d’Anton Tchekhov, mise en scène de Stéphane Braunschweig à l’Odéon Théâtre de l’Europe jusqu’au 22 décembre 2024. Durée 2h20. Tarifs  : 7-43€. Informations et réservations : ici

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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