Théâtre

« Edelweiss [France Fascisme] » aux Célestins – Les années Vichy décryptées

Jean-Louis Fernandez

Repris au Théâtre des Célestins de Lyon jusqu’au 29 novembre, « Edelweiss [France Fascisme]  » examine dans une farce politique enlevée et érudite la France des années 1940.

Créé en 2023 et présentée au Théâtre de l’Odéon dans le cadre du Festival d’Automne, « Edelweiss [France Fascisme] » dissèque le fascisme français en prenant comme point de départ le procès de Robert Brasillach en 1945. L’écrivain collaborationniste tente alors de se défendre, va jusqu’à chanter fébrilement à cappella une comptine de son enfance pour émouvoir l’assistance, mais finira fusillé pour « intelligence avec l’ennemi ».

Pendant 2h10 qu’on ne voit pas passer, Sylvain Creuzevault fait le procès de« l’expérience fasciste » française à compter de 1941. Il met en scène la progression des pions de la collaboration au sein de l’administration mais aussi de la vie intellectuelle.  C’est précisément cette dernière qui est au cœur de cette pièce dense aux allures de tribunal. Brasillach donc, mais aussi Rebatet, Drieu La Rochelle et Louis-Ferdinand Céline apparaissent successivement. À ces auteurs viennent s’ajouter quelques aspirants politiciens tels Marcel Déat et Jacques Doriot, tous deux fondateurs de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF) dont les membres s’engageront au sein des troupes allemandes sur le front de l’Est. On retrouve également des responsables de premier plan, à l’image de Pierre Laval, chef du gouvernement et d’Otto Abetz, francophile ambassadeur d’Allemagne alors en poste à Paris.

Ces figures d’un fascisme « à la française » défilent au gré de l’évolution du conflit mondial : lois anti-juives et rafle du Vel d’Hiv, fin du pacte germano-soviétique, chute de Mussolini, entrée en guerre des États-Unis. On a beau connaitre l’issue, l’exposé n’en demeure pas moins passionnant. Les amitiés se font et se défont, la haine des discours augmente tandis que les dissensions entre les différentes branches de l’extrême droite s’accentuent.

© Jean-Louis Fernandez

Éviter le cours d’histoire 

Sylvain Creuzevault et son dramaturge Julien Vella parviennent à construire une pièce historique et précise sans tomber dans le cours assommant. Certes, comme souvent chez le metteur en scène, la quantité d’informations déversée sur le public est importante mais jamais le rythme du spectacle n’en pâtit (au contraire !). Ces dernières années, Sylvain Creuzevault a beaucoup monté Dostoïevski. Il le dit lui-même, cela lui a été d’une grande aide pour concevoir cette fresque historique aux ramifications complexes. La construction est tenue et les dialogues aiguisés n’ont rien à envier à ses adaptations des Frères Karamazov ou des Démons

Cela doit beaucoup à l’interprétation des acteurs qui jouent tous plusieurs rôles avec un engagement constant. On retiendra notamment Charlotte Issaly (stupéfiante Robert Brasillach) et Lucie Rouxel (terrifiante Lucien Rebatet). Aux côtés d’Arthur Igual ou Valérie Dréville, ils donnent tous chair à ces figures qu’on a parfois tendance à amalgamer sous l’étiquette de « collabo ». «  Edelweiss [France Fascisme]  » oblige à se questionner sur la responsabilité des intellectuels qui, à un moment donné, ont fait de leur œuvre littéraire une arme et de leur engagement politique une priorité. 

À ce travail sur la langue et le jeu, il faut ajouter la fabuleuse attention portée au son. Du début à la fin, le musicien Antonin Rayon (présent sur scène) et Loïc Waridel assurent un accompagnement sonore et musical très immersif qui participe assurément à l’intensité de la pièce. 

© Jean-Louis Fernandez

Peut-on rire de tout ? 

Évidemment, les origines de cette pièce sur le «  fascisme français  » sont à chercher dans le contexte politique national actuel. Le spectacle s’amuse à citer Laurent Wauquiez et Michel Houellebecq à plusieurs reprises, comme pour dresser un parallèle avec la scène politico-intellectuelle du début des années 1940. Malheureusement, l’humour (parfois un peu scatologique) dans lequel baigne l’ensemble à tendance à un peu émousser la portée des observations politiques énoncées. On pourrait d’ailleurs reprendre les propos du philosophe allemand Théodore Adorno, cité dans le spectacle, et qui estime que les comédies qui tournent en dérision le fascisme le font sur la base d’un cliché erroné, à savoir que le fascisme serait par nature voué à l’échec car il s’opposerait au sens de l’histoire universelle.

En dépit de ce registre un peu léger reposant beaucoup sur le grotesque et le ridicule des personnages, le spectacle parvient à se positionner de manière juste et non équivoque sur le plan politique. On ne rit jamais avec les fascistes mais -évidemment- contre eux. Sylvain Creuzevault ne signe donc pas la «  grande  » et définitive pièce sur le fascisme français mais il réussit une farce efficace, engagée et érudite. C’est déjà motif très bien. Très bien aussi, le choix du Théâtre des Célestins de programmer ce spectacle à Lyon, ville où les groupuscules d’extrême droite qui se revendiquent de cet héritage fasciste sont particulièrement bien implantés et violents.

Edelweiss [France Fascisme] de Sylvain Creuzevault, jusqu’au 29 novembre au Théâtre des Célestins de Lyon. Durée : 2h10. Tarifs : 6-40€. 

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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